mardi 26 décembre 2017

Collection 3

Qui de l'araignée ou de sa toile sera le sujet ici ?
Dans l'écurie, les toiles grasses épaisses vieilles de plusieurs années n'étaient volontairement jamais nettoyées. Ces filets solides avaient leur utilité pour garder les mouches prisonnières afin qu'elles n'aillent pas se coller dans les yeux ou les pis des vaches. Les araignées étaient aimées, jugées utiles et leur travail respecté. Les paysans avaient du respect pour elles et ne les chassaient ni des étables ni des maisons. Ils savaient qu'elles avaient un rôle stratégique pour l'agriculture et l'équilibre des écosystèmes qu'on ne nommait même pas à cette époque.




Leurs toiles se rencontrent partout, dans les coins des étables, des maisons, aux plafonds, dans les herbes, dans les arbres … Elles sont adaptées à tous les milieux, cavernicoles, montagneux, équatoriaux ou arctiques. Elles sont les plus grandes ubiquistes. Très discrètes, leur mimétisme, dans leur propre habitat les rend souvent indétectables. Ce sont elles les grandes contrôleuses des populations d'insectes et si nombreuses qu'elles représentent à elles seules deux fois la biomasse de tous les humains peuplant la planète.
Mais la plupart des humains éprouve crainte et méfiance quand ils les croisent : prédatrices dans les films d'épouvante, phobies multiples et hurlements quand on les voit.




Seules leurs toiles ont inspiré des légendes positives. Celles-ci extraordinaires par leur sophistication, leur résistance, leurs variétés évoquent toute une symbolique. Les araignées secrètent une soie par des filières situées à l'arrière de l'abdomen produisant de longs fils qui leur permettent de se déplacer, de tisser toiles et cocons emprisonnant leurs proies ou protégeant leurs petits, voire de construire un dôme leur permettant de stocker l'air sous l'eau douce. Ces toiles ne sont le résultat d'aucun travail laborieux, d'aucun plan concerté, tissées sans ces cartons qu'utilisent les tapissiers. Elles n'émanent d'aucun vouloir-faire ou projet-pensé ; disparue la nécessité du projet … et pourtant elles existent. Elles nous montrent ce que l'inné est capable de produire et l'araignée ressemble alors beaucoup à l'humain des mains duquel surgit une oeuvre non préméditée.


Par leur équilibre, elles ont inspiré les mandalas qui sont des structures qui se développent selon une double symétrie -cercle et carré- souvent supports de méditations, les schémas heuristiques qu'utilisent la science moderne, des mythes tels celui du filet d'Indra qui est une magnifique métaphore dont se sert la philosophie bouddhique. Le filet est multidimensionnel. A chaque noeud formé par les fils, il y a un joyau qui se reflète dans tous les autres, ils se réfléchissent l'un dans l'autre, reflet après reflet, à l'infini. Ainsi tout est toujours relié à tout, aucun être n'est jamais à part , mais comme chaque joyau, il est actif, envoie, reflète, donne, reçoit. Plus il y a de lumière, plus chaque joyau en reflète.
Tout dans la nature se développe selon ce schéma de réseau « ensemble permanent ou accidentel de lignes entrelacées, le tracé de la toile est aussi permanent que celui des lignes de la main » (F Deligny), y compris la vie sociale des humains. D'innombrables réseaux se trament constamment, c'est l'espèce qui parle et s'exprime, non le projet concerté.



Hier soir, j'ai bien cru avoir vécu un miracle. De mon fauteuil où je lisais, dans la lumière de la lampe de chevet descendait lentement une araignée d'or. Le fil totalement invisible, seules ses longues pattes dansaient. N'en croyant pas mes yeux, je me suis très lentement approchée : véritablement d'or étaient ses immenses pattes et son corps minuscule, elle se balançait, descendant, remontant, équilibriste de génie, d'une beauté inouïe. J'y ai vu un signe positif du destin, ne dit-on pas « Araignée du soir, espoir » ?





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