dimanche 3 décembre 2017

Catographie 3

Trop souvent j'ai glissé sur la face les choses, niant le mouvement de ces courants profonds, qui meuvent le présent.

J’ai subi tout enfant des volontés qui n’étaient pas miennes, j’essayais de survivre au basculement vers un autre lieu, milieu, centre d’un nouveau monde. Je ne connaissais rien de ces endroits et maintenant encore — les noms étaient des mots et les mots des musiques dont j’inventais le sens à l'aspect de couleurs.

De Saint Symphorien d’Ozon, je n’ai rien inventé; images anciennes, images récentes se recouvrent à peu près, j’y suis retourné; cinquante ans après, j’ai retrouvé la vieille rue Neuve, le mur de pisé, à gauche en s’éloignant du centre du village, se dirigeant vers l’école de madame Courtois, le nom m’est resté; à droite les maisons; la maison, l’avant dernière, avant le mur du jardin derrière lequel: les abricotiers, la luzerne, les deux figuiers et les roses comme un porche d’entrée du jardin sont cachés; tout au bout de la rue après ce mur, l’atelier du charron, fer rougi, roue de bois et vapeur d’eau qui fume.

Après mon retour à Saint-Etienne: «Tu viens d’où? — De Saint-Symphorien. — Sur Coise? — Non, d’Ozon. — Ah… »

Les noms des autres villages, des mots, qui passaient dans la conversation, je suis libre de leur réalité; je n’y suis jamais allé; je n’en ai pas de souvenir; ni qui daterait de l’époque dont je parle, ni plus récent; ce ne sont tout au plus, pour certains d’entre eux, que des dénominations de sorties d’autoroute ou des indications de direction que je n’ai jamais eu l’occasion de suivre.
Pour chaque nom, je n’imagine rien, je vois, en face de moi, sur la droite, une tache de couleur de forme rectangulaire, plus large que haute, une couleur, toujours la même, pour chaque nom; il en est ainsi depuis l’enfance.

Solaize est jaune, avec de la lumière; je voyais et je vois toujours, une atmosphère jaune, très lumineuse; je pense, sans en retrouver le goût, aux grains de blé; mâchés longtemps, ils se transforment en une pâte élastique, pâte à mâcher; je ne sais pas quel est le lien avec Solaize, ou si des souvenirs se mettent en désordre: un lien? Peut-être…peut-être pas…

Chasse est vert: le bas est plus sombre, le haut est un peu plus clair, à peine plus clair, je ne distingue rien qu’une masse floue, ce vert est un vert de feuillage, ça j’en suis sûr.
Il y a deux représentations de Chasse-sur-Rhône; l’autre, les voies ferrées alignées, les wagons, les locomotives, les trains un peu partout, les mêmes qu’à Saint-Etienne; la gare en réalité est aussi de Ternay; j’observais du haut du pont, quand le car franchissait le Rhône.

Sérézin-du-Rhône est bleu, sans raison apparente que le jeu sur le nom; du bleu des raisins que j’allais grappiller dans la vigne près de la ferme des Colombier; celle-là même où je l’ai vu, un jour, alimenter la batteuse d’énormes gerbes; elle ressortaient en ballot de paille, ficelés au carré, d’un côté, et en sac de grains de l’autre; les grains coulaient entre mes doigts comme quelque chose de précieux et tiède. A gauche du chemin, près de l’entrée de la cour, une mare à l’ombre d’un arbre qui porte des kakis; dans la mare, des poissons-chats.

Simandres est d’une couleur claire indéfini, une espèce de gris très clair, avec une pointe de jaune qui réchauffe ce gris presque blanc, qui sans cela serait froid; rien d’autre.


De Communay, je n’ai pas d’image; pas de couleur non plus, si se n’est celle du vent; lieu mythique d’avant ma naissance; sensation transmise… ressentie plutôt, d’un bonheur ancien dont j'ai décelé les effets.

7 commentaires:

Ange-gabrielle a dit…

J'aime beaucoup ton texte tout en souvenirs délicats et en couleurs pastels, vert, bleu, gris ... et lette première phrase, quelle merveille

MarieBipe REDON a dit…

moi aussi moi aussi, la première phrase !

Laura-Solange a dit…

Quel bonheur de te lire! et oui la première phrase....!

Lin a dit…

très chouette ces couleurs/lieux !
magnifiques images

MarieBipe REDON a dit…

j'ai relu tout du long et j'ai aimé aussi les autres phrases, le style glisse de ville en ville, on y entend même ta voix lire le texte, avec ces moments où à l'arrêt par émotion tu avales les images qui te submergent avant que, t'ayant "repris", de nous les redonner, dans un murmure où tu en gardes encore de ces souvenirs que tu ne sais pas encore pouvoir nous dire, de ce bonheur ancien et de ces volontés qui n'étaient pas tiennent.

Michelangelo a dit…

Merci, merci, merci !
Ce rythme d'écriture me va et les consignes qui ont un abord dure et contraignant, sont en fait très libératrices pour moi.

MarieBipe REDON a dit…

Je me rends compte que je connais Simandres pour un couple d'amis d'ami, elle s'occupe beaucoup de céramique andalouse et que ce nom me fait penser à salamandre, bien sûr; (Disque de bois qui appelait les fidèles à la prière sous la primitive Eglise, et qui tient encore lieu de cloche dans certains couvents grecs. ou signe)