mardi 18 février 2025

 CHERCHER - VOIR (6)

 


 VOIR - CHERCHER où TROUVER (6).

Exister
d'un élan frondeur
tel le paille-en-queue
à l'horizontale des éléments
être la figure géométrique du paysage
aller de l'avant
tracer sa route
en équilibriste de la houle
et du vent
persister
sans se laisser distraire
même si quelquefois
les nuages abondent dans le ciel laiteux
savoir poser son bagage sur une barque
aspirée
par les strates du ciel
quand les verts charpentés entrent en correspondance
et que les bleus marins acceptent de répondre
la nuit épistolaire
continue
s'y meurt le jour
en spirales ajourées
viennent y naître les étoiles
comme autant de projets autant de certitudes
voguer de l'une à l'autre
se pelotonner dans leurs branches
faire de leur aura un châle-protection
et écouter
écouter la complainte 
qui s'élève des maisons endormies
aimer
aimer la lumière-confusion
blottie dans un croissant de lune
pour encore espérer

 (photo d'un paille-en-queue, La Réunion
"un ciel à Honfleur" de Nicolas de Staël
"Nuit étoilée" de Van Gogh)

 

6 / Ces endroits dont on ne revient pas 6/

          



Le vent soulève le sable de la plage et le fait danser, empêche les moustiques de se manifester, ils ont pourtant leur réputation à tenir car ici c'est leur royaume.

Des cocotiers balancent leurs palmes, à la saison, les tortues luth viennent pondre.

Presque une carte postale

Aucun bateau au large ni même au bord, dans les eaux boueuses, l'eau marron de l'embouchure du fleuve du même nom. A quelques kilomètres de là, le Suriname, Les fleuves et les rivières d'ici, des cimetières de forêts englouties.

"Un morceau de bois a beau séjourner dans l'eau il ne deviendra jamais un caïman", dit un proverbe. Mais une tête de girafe, si.


Un petit carbet désossé, un bâtiment de bagne taggué, croupissant ; des personnes devinées à l'abri dans leurs cabanes de tôle rouillée attendent les touristes pour leur vendre de l'artisanat.

Suis-je une touriste ? Suis-je un fantôme ? Suis-je un grain de sable ?

Les fantômes sont partout. Fantômes d'esclaves, de bagnards morts de maladie, fantôme de Raymond Maufrais sans doute englouti digéré par la forêt ou dans l'estomac d'un boa géant, à la poursuite de son rêve présomptueux.Voyage infernal mais choisi. Contrairement aux autres.

L'érosion gagne. On dit que d'ici quelques décennies, cette terre n'existera plus, la forêt transformée en savane, puis en désert ; les gens mourront de chaud. 

L'érosion gagne et les souvenirs restent. Les images se superposent, pourrissent, se transforment en chablis qui laissent pousser d'autres images sur leur tronc moisi.

Moi aussi j'ai choisi, et moi aussi je resterai sur la plage des Hattes, à Awala Yalimapo, avec le fantôme du jeune homme, Marron Guyane sans retour.

vendredi 14 février 2025

L'oeil et la source / 6




quelles archives à sauver des cavernes du jadis



assis tout contre soi, on régresse, on recule jusque dans les tréfonds, dans les recoins les plus secrets

là où s'entrechoquent les pensées de la langue perdue au sein des forêts de signes

des couleurs évanouies, des images sédimentées et

des murmures errants

 

                                  

archives – arché – archium – archivum – archeion – archê –

cela signifie à la fois le commencement ou le principe

ensemble de documents rassemblés répertoriés conservés

pour servir à l'histoire, de l'un, de tous, d'un monde

quoi de soi à extraire d'entre les poussières du temps

quoi témoin d'une vie, de son évolution, de ses métamorphoses


                                 

de la pointe des orteils jusqu'au sommet du crâne

une trace de lumière

un fil blanc à saisir, à tenir sans jamais le lâcher

entre les clairs et les obscurs

l'oeil est intérieur mystique et pénétrant

son errance est celle d'une marche dans Venise

sans itinéraire mais prêt à enlacer l'inattendu


                                 

quel fil rouge s'écrira-t-il alors

de quel passé pour le devenir à venir

sera-t-il nécessaire de nouer, de lier

pour le meilleur

ou peut-être le rire

 

                               


prendre le temps de l'ombre

de fouiller dans les échantillons de mémoire

de les déposer dans l'écrin de lumière

de laisser les images se réanimer dans le cloître de l'esprit

se décomposer, se recomposer, se reconstruire



conduire le désir d'un devenir


                                                             

 

(Photo 1: un tableau de Safet Zec Luigi II

Photo 2: couverture du livre La vie sociale de Jérôme Orsoni (Editions Bakélite)

Photo 3: cloître de San Francesco della Vigna à Venise )

mercredi 29 janvier 2025

CHERCHER - VOIR/5

                                 


VOIR- CHERCHER TROUVER (5)

S'évader
Nager à contre-courant
Ne pas sombrer
Surtout ne pas sombrer
Prendre son corps par la main
Et avancer
Insidieusement
Lancer son cri avec ses bras
Précipiter l'ondulation
des vagues
Les yeux rivés sur le sable
si loin
Mais l'espérer
Jouer des pieds
Se traîner jusque vers les falaises
entrouvertes
miraculeusement
Telle la Mer Rouge devant Moïse
Puis valser valser jusqu'à
l'étourdissement
De la tête et du coeur
Valser jusqu'à l'oubli
des grilles
Alors découvrir un chemin
La liberté à fleur de la campagne
A fleur de la rivière
A fleur des gouttelettes sur
Les roseaux mouillés
A fleur de la lumière
De ses matins ourlés
Pour enfin se laisser tomber
Fermer les yeux
Respirer s'autoriser à
Exister

lundi 27 janvier 2025

L'œil et la source / 5

 

 

réemprunter le chemin des sources est-ce bon



propulser le regard loin des opacités sans fond

dans une crique une anse une matrice

une mosaïque d'un monde décortiqué à la loupe et

se laisser aspirer par l'image qui ouvre

 



dessous un rhizome

cette tige souterraine dotée de racines qui se terminent par un bourgeon, et dont on sait si peu

elle sinue, progresse creuse, improvise, cartographie des lieux des pensées des songes des espaces vitaux des vies de l'invisible

un bourgeon horizontal se redresse et sort de terre





le chaos souterrain poursuit ses avancées vers d'autres ailleurs

une chose a jailli, poussée par le milieu, a jailli comme une source haute

comme ces mauvaises herbes qui sont toujours plus hautes que les autres

plus velues, plus disgracieuses, plus voraces

et qui colonisent les domaines de l'entre





l'éclatement des bourgeons bâtit des châteaux de cartes

un chemin d'encre et de sang patine le passé

entretisse le devenir de ce qui s'écrit entre

les taches noires, ce que l'on barre ou efface

ce que l'on recouvre de la honte rouge sur le front

mais c'est bien dans ce fatras que l'on puise une sorte de lumière





cela pousse et déborde de toutes parts

des sentes inédites se dessinent, se dérobent, se perdent

des images muettes s'abandonnent

tout se fait mouvement, se fait autre

archive d'un avenir

sur le chemin des sources




 

(Les photos sont d'Hélène Bamberger, issues du coffret Marguerite Duras de Trouville aux Editions de Minuit)

samedi 18 janvier 2025

5/ Dans le secret des images 5/


      


Le texte s'ouvre sur des secrets, sur un portrait métaphore. La métaphore de la connaissance et de la reconnaissance. Entendre pour la première fois et ne pas en croire ses oreilles. Et moi la re-découvrir et ne pas en croire en mes yeux.

Harold Whittles ouvre les siens, presque effrayé, devant ce miracle en même temps qu'il nous est révélé, car le photographe a anticipé l'image ; il a appuyé sur le déclencheur de lumière au moment précis où l'enfant de 5 ans sourd de naissance, entend pour la première fois.

Harold c'est moi lisant Le Coeur ne cède pas, suivant l'auteur dans les méandres de son enquête à la recherche du journal d'agonie de Marcelle Pichon, moi qui n'en crois pas mes yeux de ces phrases qui m'enchaînent et font écho à mon histoire, pas mon histoire de sourde, pas mon histoire de femme qui se laisse mourir de faim, mon histoire nourrie d'une faim insatiable, de coïncidences, de synchronismes. Cette photo comme un signe de celui qui me l'avait montrée pour la première fois et l'avait mise en vitrine, celui dont j'ai accompagné l'agonie. Celui dont la Grand-mère, celui...

Scène de liesse. Cette photo retrouvée par hasard 40 ans plus tard sur le mur de crime du site web qui prolonge le livre et ne correspond à rien dans l'histoire. Alors j'écris à l'auteur pour lui demander ce qu'elle fait là, et nous correspondons un temps. Il m'explique que c'est vrai elle ne correspond à rien si ce n'est à l'enfance, si ce n'est qu'elle est sur son bureau depuis  20 ans. Nous correspondons jusqu'au jour où je ne corresponds plus. Quelque part, le coeur a cédé, quelque part du côté d'une poésie non partagée. Un malentendu, un mauvais appareillage.

Alors je mets dans mon sac une photo de mon enfant qui vient de naître et dort contre moi, et je retrouve celle-ci où grande jeune ado avec des bagues sur les dents, elle tient ce gros coeur blanc entre ses mains. "Mon P'tit Coeur" je l'appelle. Celui-ci non plus ne cède pas.

 

jeudi 26 décembre 2024

L'oeil et la source / 4

 




dans le labyrinthe de l'esprit s'acheminer et se perdre



face à l'homme reclus une paroi d'obscurité

des formes inattendues se manifestent

une langue d'aurore sur la pierre

quelque chose qui restera reclos

matrice d'imaginaire à l'apparence incertaine




un archipel de pensées fragmentaires, presque futiles, se festonne, pour ne pas perdre pied, conserver le contrôle

une langue sur une peau

la douceur d'une cicatrice

qui prendrait soin du temps qui passe

une présence-absence où quelque mémoire s'attise, se frotte, cherche le déjà-là



c'est une manière de voir migrante où

la lenteur à croître du lichen est lien

où s'incruste un alphabet d'énigmes

entre les thalles du lichen que l'on nomme crustacé

c'est alors le microscope qui serait utile

pour savoir qui, caché, nous nargue encore





dans une image y aurait-il incarnation d'une vérité

mystère et silence migrent dans la mosaïque

l'oeil s'égare dans ce labyrinthe

n'est pas Thésée qui veut et

il y a bien longtemps que le fil d'Ariane a été lâché

a-t-il même jamais été tenu sans parler d'avoir été serré



des visions s'entremêlent

des apparitions souffreteuses laissent percevoir quelque lumière bleutée

transfigurent un réel dans quelque repli de la raison

les failles s'élargissent dans le ciel que nous poursuivons de nos assauts qui peuvent se juger insensés

mais le silence de l'air et la vision floue s'épousent encore

alors on espère l'émergence d'un rhizome de sens



une harmonie secrète au cœur de la disharmonie




mardi 24 décembre 2024

LE CHAUFFEUR DE BUS par Elizabeth Gilbert

"Il y a quelques années, j'étais coincée dans un bus de New York à l'heure de pointe. La circulation était à peine fluide. Le bus était rempli de personnes froides et fatiguées, profondément irritées les unes contre les autres, contre le monde lui-même. Deux hommes s’engue... à propos d'une bousculade qui aurait pu être intentionnelle ou non. Une femme enceinte est montée et personne ne lui a proposé de s'asseoir. La rage était dans l'air ; il n'y aurait pas de pitié ici.

Mais alors que le bus s'approche de la Septième Avenue, le chauffeur prend la parole. Je sais que vous avez eu une journée difficile et que vous êtes frustrés. Je ne peux rien faire contre la météo ou la circulation, mais voici ce que je peux faire. Lorsque chacun d'entre vous descendra du bus, je lui tendrai la main. En passant, déposez vos problèmes dans la paume de ma main, d'accord ? Ne ramenez pas vos problèmes à vos familles ce soir, laissez-les moi. Mon itinéraire passe juste à côté de la rivière Hudson, et quand je passerai par là tout à l'heure, j'ouvrirai la fenêtre et je jetterai vos problèmes dans l'eau ».


C'est comme si un sort s'était levé. Tout le monde éclate de rire. Les visages s'illuminent d'une joie surprenante. Les gens qui, depuis une heure, faisaient semblant de ne pas remarquer l'existence de l'autre, se mirent soudain à sourire en se demandant si ce type était sérieux.

Oh, il était sérieux.

Au prochain arrêt, comme il l'avait promis, le conducteur a tendu la main, paume vers le haut, et a attendu. L'un après l'autre, tous les usagers qui sortaient ont placé leur main juste au-dessus de la sienne et ont mimé le geste de déposer quelque chose dans sa paume. Certains riaient, d'autres avaient les larmes aux yeux, mais tout le monde le faisait. Le chauffeur a répété le même rituel à l'arrêt suivant. Et au suivant. Jusqu'à la rivière."

Joyeuses Fêtes à toutes et à tous

Les 3 becs, Le col de la Chaudière & la chaîne de Couspeau

 

 

Les mêmes vus de ma chambre se reflétant dans la vitre des voisins d'en face

 

Que nos esprits et nos âmes soient aussi paisibles en 2025 que ce paysage.

Des mimis à vous toutes-s
 

dimanche 22 décembre 2024

4/ L'image fige un temps révolu 4/

 

   


Du bateau à aubes sur le Rio Magdalena au paquebot le France comme échoué sur des rivages craquelés de sécheresse, du canot dans les bras morts des affluents-rivières sur l'Amazone, de la savane du Soudan au Parc de la Tête d'Or, un parcours à la recherche de temps révolus, de migrations forcées et de paradis retournés au néant.

Dans ma collection de livres cultes, j'ai plusieurs fois erré dans cette forêt littéraire, baroque et musicale, cette forêt-piège avec ses zones interdites qui ne se laisse pas facilement spolier de ses trésors.

Dans les méandres du fleuve un indice à 3V sur un tronc indiquait le passage. Mais c'était sans compter ici avec les inondations, là avec la sécheresse ou les incendies. Avec les chasseurs, les chercheurs d'or, les braconniers, les producteurs de viande intensive. Les paysanges changent et deviennent des pays-démons.

Un jour le paradis ne suffit plus, il faut retourner faire provision de richesses qui n'existent que dans la civilisation des villes, un jour la girafe capturée sera privée de la course en bande dans la savane du Kordofan et exposée à l'ennui de l'enclos du zoo.

Mais il n'y a pas de retour possible. La route est redéfaite, le passage est perdu, sous les eaux, la girafe pleure dans son parc lyonnais, le France reste à quai.

Le texte se referme sur ses secrets et la symphonie de la forêt reste inachevée.

jeudi 19 décembre 2024

Balbutiement d'une pensée (4)


 

Je suis une baleine boréale, je navigue depuis très longtemps dans les eaux de l’Arctique, j’approche les 200 ans, je frôle les orques et les otaries à fourrure, d’un coup de queue ou de fanon, je les évite élégamment ; elles sont inquiètes comme moi. Et pourtant, est-il de plus grand bonheur que le nôtre ? Danser avec nos baleineaux sous la lumière presque irréelle d’une aurore boréale.

Mais plus rien n’est pareil dans nos profondeurs jadis si silencieuses où seuls nos chants résonnaient, on ne s’entend plus. Parfois un tel tintamarre retentit dans nos eaux que nous n’entendons plus les signaux de nos congénères. On ne peut plus danser et admirer les prouesses de nos danses, les enseigner à nos petits, l’eau n’a plus la transparence d’autrefois. Là où la nourriture abondait, souvent nous ne trouvons que détritus. Malgré tout, dans les eaux profondes et froides, de mon front, je brise la glace et continue à chanter.

Nous composons de nombreuses mélodies que nous renouvelons constamment et plus l’adversité nous menace plus nous chantons, surtout en hiver quand le soleil ne se montre jamais et que la glace couvre presque la totalité de la surface de l’eau.

Nous sommes chassées depuis si longtemps que nous ne sommes plus très nombreuses, allons-nous disparaître ? C’est fort possible. Alors nous déployons notre symphonie désespérée dans les profondeurs de l’océan. Nos chants sont puissants




CHERCHER-VOIR/ 4

 



 

 

 

 

 

 

 

 

 

VOIR – CHERCHER    TROUVER  (IV)

Des poumons oppressés.
Le souffle envahi par la solitude du gris.
La souffrance du silence obligé, emmuré dans un grillage rafistolé au plomb des sévices.
Liberté. Le mot gommé, foulé, refoulé, écrasé sous les semelles des prisonniers martelant les couloirs. Relégué sous les langues, au fond des gorges humides des émanations du chagrin.
L’avenir. Il se meurt dans le couloir aux lignes nauséabondes. Long tunnel étriqué. Grilles-mâchoires. Lumière falote des impossibles sur le sol de terre battue. Tunnel où se fourvoient les idéaux avalés par la porte entrouverte. La porte des incertitudes, du temps maudit qui déglutit l’envie de vivre.
 S’échapper dans le labyrinthe des jours Se soustraire à la peur des matins qui succèdent aux soirs.
 Le Rien.
Le Vide.
Palper les murs. Tourner, tourner, tourner. Devenir le derviche de la désespérance. Vouloir croire en la liberté incarnée.


LINETTE.