dimanche 26 octobre 2025

L'oeil et la source/ 7 bis/ Inconscience

 

 Essayons voir, ou essayons dire, par les images ou par les mots, ce qui au fond de nous ne cesse de trembler, de s’agiter de nous donner envie de nous lever chaque matin. Déchiffrer en soi comme sur ce tronc d’arbre abattu la trace de ce qui fait ce que nous sommes, et qui est souvent bien calfeutré sous les épaisseurs de nos peaux amassées, tassées, cuirassées depuis le début de notre temps. Cela pourrait aussi se nommer puissance de survie dont nous cherchons, tout au long de nos jours, à nous revêtir, ou à nous y lover. De l’image donnée et du dire qui en émerge, une forme de confiance nous pousse à nous assumer, à ressentir ce dont nous pourrions être capables si nous le désirions vraiment. S’inventer un lieu d’espérance, malgré. Le souvenir d’une image, comme celle du pommier aux pommes rouges d’Aharon Appelfeld, alors qu’il était un enfant affamé, dont il narra l’histoire plus de soixante-cinq ans après cette rencontre, donne l’espoir à trouver en nous ce qui nous hante, nous habite et nous porte, parfois sans que l’on en ait conscience. L’écrivain recueille cette image, d’où fut la possibilité de sa survie, dans une sorte de mémoire corporelle qui jaillit d’un en dessous de soi, s’élevant des profondeurs d’un brouillard. Des bribes de vie, comme ces fleurs de givre s’apposent sur la fenêtre, effleurant les lacunes de ce qui fut, avant de se dissoudre dans l’oubli. Élaborer, reconstruire les réminiscences qui remontent à la surface de l’esprit, par le miroir de l’image. Des lambeaux de ce qui reste, de ce qui émane, de ce qui veut bien se donner à voir, en étaler le tissu, étirer le linceul, même ajouré, et mettre à plat sur la table ce qui va pouvoir peut-être s’élever. Être dans le devenir depuis l’allusion que l’image vient de révéler. De ce lieu malgré soi, qui est le nôtre, dont on ne peut se déprendre, ce linceul aux lacunes, il nous importe de tracer, d’étirer les verticales qui vont permettre de s’élever encore un peu, et tenter d’atteindre les hauteurs qui nous attendent, que l’on espère, et vers lesquelles peut-être on ne pensait plus avoir la nécessité d’aller. Devenir encore et encore, tel serait le chemin à emprunter alors que l’on se croyait sans doute déjà arrivé au bout. Il y aurait toujours de nouveaux seuils devant lesquels se demander s’ils sont à franchir, de nouveaux chemins qui se dessinent pour aller plus loin. Fixer l’image qui, verticale au-dessus de mon bureau, n’en finit pas d’essayer dire.

jeudi 23 octobre 2025

L'oeil et la source /6 bis/ Infiltration

 

 

L’ailleurs se dissimule aussi dans les bas-fonds de soi. Il faut s’infiltrer, creuser, se laisser guider par les rayons de lumière qui suintent d’entre les ombres, avancer à tâtons dans l’obscurité des galeries à emprunter. Croire ou espérer qu’il y a toujours un fil auquel s’accrocher qui traverse ces zones embrumées et confuses où malgré tout le pas se dirige. On est tous, un jour ou l’autre, cet homme prostré sur une chaise, à laisser décanter en lui le trop plein d’événements, d’informations, de souvenirs bons ou moins bons qui le hantent et l’empêchent d’avancer. Il ne reste qu’un vêtement de silence à endosser et suivre, trouver, chercher à voir, à dire ce qui, dans l’intériorité de chacun peut arriver à être suscité, effleuré, espéré. Ce fil de soi à retrouver et à ne pas lâcher. Ce que l’on n’a jamais vraiment pris la peine de regarder, ou que l’on a trop vite recouvert des hardes de la bienséance, ou que l’on a délibérément enfoui au plus loin de son épiderme. C’est là dans un lieu reculé, solitaire et silencieux, sur une chaise de simplicité, bancale peut-être, que l’homme se fait face et peut, dans sa singularité première, tenter de dénouer obsessions, vertiges, questionnements, incertitudes, tout ce qui l’empêche d’être, ou qui l’a conduit sur des chemins dont il veut se déprendre. Et si son visage disparaît c’est qu’il est sur le sentier d’une métamorphose, celle qui se doit de s’accomplir si l’on a le nom d’homme. La lumière filtre, s’insinue, met au jour ce qui doit l’être .Le visage ne peut encore être éclairé, il n’a pas achevé sa mue, il ne peut être déchiffré. Nous sommes sans visage. Nous ne savons pas qui nous sommes tant que nous nous n’avons pas acquis cette conscience d’être sur un chemin de mutation. Dans le vécu de tout homme la ligne droite n’existe pas, tout est méandres et arabesques, adieux et abandons, rencontres et retrouvailles, décompositions et recompositions. En un mot, création. Prophète de soi-même, c’est à cela que l’on est appelé. Tout se passe constamment entre moments d’ombres et poussées de lumières, vagues de voiles qui cachent puis délivrent les veines de ce qui qui grandit en soi. Approcher à petits pas du mystère que l’on est à soi-même, poursuivre notre propre création et recréation de qui on est, un travail à mener, à peaufiner tout au long de ses jours. Se sentir alors vivant et non vécu.

S'y noyer même, mais ne pas se dissoudre V2 pour les images voir la V1

 V2 du 9

Lobo Antunes azulejos

bain de cotons bleus

pilotis Venise Solange

 

Le bleu indispensable

Transpercé par les lances de l'enfance

dont il faut à jamais soigner les bleus

charrier des déchets de souvenirs

dans les circulations de sang

 

Du bleu

Plein les yeux

le son cristallin du Qânun

se mêle aux gravillons de sable

la mer, son va et vient

installe le calme

tandis qu'en silhouette le rocher à tête de Befana

défie la rage de vent

ce soir j'intègre les massacres et les bains de sang

dans la paix du moment crépuscule flamboyant

impuissante

je baigne enveloppée dans la foule attentive

comme dans du coton

les regards convergent vers le blanc de la robe et le bleu de la mer

inoubliable

je prends ce qui m'est offert

mon dos calé contre une pierre

plus debout qu'assise

prête à jaillir

prêt à avaler la musique

le feu du ciel conquistador de bleus

la langueur des vagues léchant le sable

plus tard la robe blanche s'avance dans la mer

la femme musicienne se retourne et sourit

étonnée de son acte joyeux, irrépressible,

elle marche et ne se dissout pas

 

l'instant reprend sa place

dans le puzzle du temps

l'enfance au magasin des nostalgies

sur pilotis

 

le bateau est à quai

il faut rejoindre l'autre rive

dans le brouhaha de diesel et de langues toutes étrangères

disparaître dans les reflets de la lumière du phare qui dansent sur le bleu devenu noir.

 

octobre 2025

Des images à y regarder à deux fois

V2 du 10 (pour les images voir la V1)

(Des images à y regarder à deux fois)

 

Nicolas Bouvier

arbre espalier

Bibliothèque de bouffe amazon

 

Comment choisir sa route parmi tous ces méandres ?

Tous ces chemins qui ne mènent qu'à Rome

surtout si on ne veut pas y aller

Tous ces fleuves qui mènent à la mer

quand on préfère la montagne

Toutes ces données codées dans les entrepôts amazoniques

dans la boue dans la fange de la jungle googlelienne

dont un oeil émerge parfois au-dessus de la vase

un troisième oeil ? un big brother ?

Une voix sourd d'entre les pages

du manuel de survie

mais le monde est muet

liquéfié dans sa glaise

les récits de voyage immobiles ou lointains

l'oeil se perd, se méprend, voit double

dans la mangrove où se tissent

les racines aériennes qui remontent à la source

les branches arrivent au tronc plutôt que le contraire

Et dans des bibliothèques calibrées

chaque produit mort dans son étagère

de la nourriture en briques

on nous prend pour des poires dans nos espaliers

codebarrés indicés qrcodés

et jamais ne pouvoir cocher la bonne case

 

Comment se repérer parmi tous ces mensonges

l'oeil crie, le nez sature de pourriture glacée

"suis devenu bizarrement allergique aux choses qui se décomposent trop vite"

Comme (un) Bouvier traçant son sillon parmi des routes affreuses

On n'est plus sûr que le dehors guérit

"On se sent inférieur au voyage"

 

on est parfois las d'aller voir là-bas si on y est

 

 

"Chaque jour

Je reçois de moi-même

Ce que l'usage est d'appeler de mauvaises nouvelles...

Chaque aube

Dans la forêt que j'avais plantée

Je m'égare...

Chaque matin

Je me porte en terre

Mais je suis le seul à marcher derrière moi" (Nicolas Bouvier)

mercredi 9 juillet 2025

L'œil et la source/ 12



 

 


 

les images de la pensée comme une écriture cartographiée



avec ses frontières, ses limites et ses lisières

ne pas lâcher la corde des mots

corde en hébreu se dit tikva

qui a aussi le sens d’espérance

le fil de chanvre de l’espérance

à serrer fort jusqu’à la fin





c’est le fil qui nous relie à nous-même

autour duquel on s’entortille

qui cerne notre visage et notre silhouette

en une errance de lignes frêles

en une chorégraphie de ricochets

en une narration de nos évasions

 



sur le fil des jours qui fuient on accroche nos mues

ces morceaux d’ordinaire de nos ciels

qui ont obstrué l’horizon

morphoses ou anamorphoses

qui nous ont déformés et nous laissent comme des copeaux de bois rabotés sur le bord du chemin





depuis toujours on se confronte à l’incertitude

d’avoir été, d’être, de devenir

par l’écriture des images de la pensée

on s’évade de ce qui nous a tenu lieu de réel

entre déchets et reliques

on frôle ses lisières

on lutte contre l’effacement





à chacun d’imaginer

son bassin de nymphéas pour se procurer

l’illusion d’un tout sans fin

où le corps s’accorderait à la parole

où les mots dits traduiraient

ce qui est en train d’advenir

cette métamorphose de l’être



qui est en chemin pour devenir soi


lundi 30 juin 2025

L'oeil et la source /5 bis/ Ineffacé

 



Le regard, porté par le désir d’un ailleurs, s’amarre loin sur la ligne d’horizon dont on sait depuis longtemps qu’elle reste inatteignable, mais on ne se résout pas, malgré tout, à la quitter des yeux. C’est un songe qui flotte alors, entre passé, présent et avenir dont on n’a pas les clés. En soi l’ineffacé. Au loin ce qu’il reste à découvrir de soi. Cette étendue profane, au silence épais en surface, mais où, par en dessous des rumeurs étranges dont on ne peut palper la teneur, grondent et s’amplifient. Ces sons, car on ne peut réellement parler de voix, s’épanchent, se diffusent, s’éparpillent sous l’eau, sans que l’on ne puisse les recueillir afin qu’ils nous révèlent ce quelque chose qui nous attend. Mais on se tient prêt à accueillir une prémonition, à se confronter à ce qui pourrait devenir vision. Au fond de soi des signes et des traces se condensent en superpositions de plis telles des pages saturées de messages, de dessins , de pensées serrées au sein d’un livre, que l’on pourrait déplier pour délivrer ce qui fut une vie :des archives que l’on ne consulte qu’avec distance, avec même parfois une certaine appréhension, car il y a toujours le risque de remuer ces souvenirs de l’intime et peut-être même des secrets bien enfouis, comme un chant muet ; et est-ce vraiment bon de les propulser à une lumière vive. Certains jours pourtant, on ressent cette nécessité d’outrepasser le danger et de rallumer le brasier de la mémoire, et l’on s’enfouit dans ce qui resurgit, progressant par ricochets ou à saute-moutons des rives d’un passé à un autre, qui donne tout son sens à ce que l’on est devenu. Et l’on ne peut s’empêcher d’observer, en éprouvant sans doute un sentiment de pitié ou de désarroi selon les moments, face à la vaste étendue du ciel, que notre vie est si minuscule et que ce que l’on a accompli a si peu d’intérêt, qu’il serait préférable de disparaître rapidement de la surface de la terre. Mais on tente malgré tout de sauver quelque chose, on se sent comme une mouche en train de se noyer dans une goutte d’eau, on s’agite en tous sens, on bat des ailes, et dans un éclair de lucidité ou d’amour-propre, on se tient face à quelque chose de soi que l’on trouve émouvant. C’est infime, mais cet infime, lui, brillant d’un étrange éclat, nous regarde et nous redonne des yeux, en un souffle venu de nos errances. Et nous voilà en chemin encore.

 

Pour la version 1 à partir des trois images liées à Marguerite Duras, voir ici 

mardi 24 juin 2025

 CHERCHER  -  VOIR  où  TROUVER.  /12/

 



Derrière les spirales closes entre les cercles de métal la matière du temps s'enfuit ignore la réalité du présent. La géométrie du carré s'est effacée dans la topographie du rond. Illusion de douceur. L'enfermement est le même et les années se meurent à rechercher l'issue du labyrinthe. Froideur de la matière sous sa couleur de plomb. 
Ainsi les veines du parquet mimétisme des raboteurs veines saillantes sous le poids de l'outil. Leur prison est la même à genoux. Dur labeur encerclé de par les lignes droites. Temps imparti pour la perfection d'un rendu les yeux chargés des copeaux de fatigue. 
Soulever les paupières ou du moins essayer apercevoir le ciel. La verticalité des murs les fenêtres étroites empêchent la lumière mais l'Esprit la devine. Et par-delà les cheminées par-delà les nuages abscons une étoile l'étoile de la Liberté. Où se cache la Vérité?

CHERCHER  -  VOIR  où  TROUVER.  /11/


 

 

 

 


 

 

 

 

 

La vie la mort créées
entre deux temps
entre des murs suintant 
la douleur d'exister
larmes-grêlons piétinées 
à pas lents 
sur la glaise mouvante
s'en aller
greffons multipliés à l'empathie
d'un mur
candélabre implorant 
aux bras fendus de joie
"Entre vidas" pour légende
"Entre muerte" en direction
repos du corps
abandon
souplesse de la main-nonchalance
 sur papier déchiré
le monde du visible
derrière les paupières closes


 CHERCHER   -  VOIR   où   TROUVER.  /10/





       Virgules de sang
apostrophes posées sur la berge
en attente d'un peut-être départ
langues de feu
lutte extrême
souffle du chaud et du froid
aux frontières de la mer gelée 
la glace-baldaquin pour les corps immolés
pour les corps pétris
sous le bleu profond 
des lignes de la nuit
en attente d'une île
réversion des couleurs
émergence d'un souffle
dans le vert sombre de la 
pierre dressée
de l'horizontal au vertical
l'effort de vivre et de créer
                                                                                                                                                                                         
 
 
 

lundi 23 juin 2025

 CHERCHER - VOIR où  TROUVER  ( IV- bis)

 Le moucharabieh de la peur
sur fond de mur de pierres
petits carrés-mouchoirs
voilage de l'indifférence
de la liberté emmurée
mot pernicieux déchiré refoulé
mot enterré dans la profondeur d'un
couloir
aux cris lugubres de l'oubli
des idéaux meurtris sous les pieds
lacérés des pertes ajoutées
froid tremblement lumière sourde
aux cris mouroirs
aux cris miroirs
d'un échappement impossible
seul le labyrinthe des jours 
vide de l'enfermement
du retour impossible
tourner tourner tourner
ne pas sombrer 
être le derviche de son ombre
d'une autre vie imaginée

 

11/V1 Tenter de s'annuler soi-même et ne pas y parvenir

           


 Bien sûr je connaissais la pipe qui n'en était pas une, la pomme que personne ne pouvait croquer même pas Ève en rêve

Lors d'une exposition à paris, ça avait été une révélation : les titres des œuvres de Magritte font la moitié du travail ils interprètent au-delà de l'image, révèlent le mystère. Mon tableau préféré c'était Le Thérapeute. La silhouette d'un homme vêtu d'une cape-voile avec à la place de la tête et du tronc une cage dont la porte est ouverte, avec l'une des colombes déjà dehors, comme quand on fait une photo, le petit oiseau peut sortir. Figer l'instant de la révélation comme la photo de Harold (voir texte 3)

La parole plus que l'idée veut surgir, l'image révèle.

L'autre colombe est encore dans la cage, l'autre parole, hésite encore. Peut-être qu'elle n'est pas prête à se libérer.

Dans le film le Peuple Migrateur, vu récemment au cinéma, la liberté conquise fait hésiter aussi le bel ara, qui avec sa patte, a tourné la tourniquette et ouvert la porte de sa cage, où avec d'autres animaux, ils sont prisonniers, entassés dans une pirogue. Au moment de retourner dans sa forêt, il n'en croit pas ses yeux, il hésite un court instant puis s'envole.

Je suis dans le bleus de ces images, comme les oiseaux, à quelques milliers de mille ou de pieds ou d'ailes, nous survolons les Alpes, dans ce gros volatile vrombissant. OIseaux migrateurs, nous allons voir la Baltique, goûter la lumière de la Neva. Il y a 18 ans exactement. à Saint-Petersbourg, à cette époque de l'année, ce sont les NUITS BLANCHES.

Pendant 13 ans dans sa cellule obscure, Carlos Liscano écrit dans sa tête, les nuits blanches et les jours noirs, rien ne s'oppose à la nuit, rien ne la distingue du jour non plus. Il écrit l'histoire du corbeau blanc, une histoire qui a pour point de départ une nouvelle de Tolstoï. Un corbeau noir se peint en blanc pour ressembler à un pigeon, qui est une espèce selon lui qui a plus de facilité pour se nourrir, qui est mieux accueillie.

« Nous sommes comme dans une cave et il n’y a même pas de soupirail » (Magritte)

Sa tête est un nuage qui s'agrège de mots et les fait plus tard retomber en pluie

Le nuage traverse la porte de la prison

Le nuage se cogne aux montagnes

Le nuage traverse la mer.

Le corbeau blanc revenu chez les corbeaux noirs n'y a plus sa place.

"On ne percevait plus que la rumeur de la fuite"

Les corbeaux, comme les nuages aiment cette vie errante et parfois, pour se reposer inventent des histoires ou se transforment en buée.

( 4 juin 2025)


vendredi 13 juin 2025

l'œil et la source /11

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

dans l’entre-deux des lèvres se décline la langue



la parole parabole résonne entre deux rives

le mot hébreu safa a le triple sens

de lèvre de langue et de rive

alors voguent les mots

d’une lèvre à l’autre

d’une rive vers l’autre

d’une langue à l’autre





entre les montagnes une vallée à traverser

dans la co-errance d’un crabe

d’une image en métaphore et en naissance d’images

on chemine pour traduire une lance à la main

on trébuche parfois

on lutte avec le contre-sens

sous un regard protecteur 

 



traduire vient du latin traducere

trans :à travers, ducere : conduire, mener

cela veut donc dire faire passer, faire traverser

d’une langue à une autre porter vers un au-delà du vouloir dire

ne pas cesser de vivifier

la résonance d’un dire





rendre compte du chaos du discours

extraire les pépites du dessous des mots, leurs ailes de lumière

qui parsèment les pages du livre

mais aussi les aléas de la perte au gré du passage

lors de la fuite de mots

et traduire c’est aussi trahir on le sait





comme sur le tronc de l’arbre les écorces s’ajustent se grisent ou se colorent

la traduction effectue une traversée, tangue du point de départ à l’arrivée

s’essaie à un tableau impressionniste entre rythme, sens, transmission et réincarnation, à une polyphonie sur la peau de la page

comme sur les tableaux il faut combler les lacunes et recoller les écailles qui se sont mises à jour



les doigts bien serrés sur la corde des mots assister à une métamorphose

 


vendredi 6 juin 2025

L'œil et la source / 4bis/ Insaisissable


 

Sur la pierre de granite, la tache de lichen saxicole est immobile depuis des millénaires. D’autres sont là, plus loin, et recouvrent le rocher de plaques grisâtres, denses de ces petites particules qui constituent le lichen. Cet être vivant, souvent caractérisé de lépreux ou pustuleux, d’eczéma de l’arbre ou de la pierre, n’est pour moi, comme les taches et les nuages, rien d’autre qu’un projecteur de songes. Le lichen fait image. Il me propose ses hiéroglyphes à décrypter. Ma vie ressemblerait-elle à un jour de lichen* où je tenterais de déchiffrer ce que va être la matière du temps, ou à réfléchir sur ce qui fait s’irradier l’imaginaire, ce qui donne image à voir et à méditer. La broderie des lichens inciterait à voir outre le visible. De cette tapisserie sur pierre aux gravures sur roches dans les grottes préhistoriques, il n’y a qu’un fil à saisir et à se laisser happer par les dessins qu’il reste à interpréter, à replacer dans le contexte de l’histoire, ou à admirer tout simplement. Sur la peau des pierres, tout un monde pour laisser libre cours aux songes et aux transfigurations que l’on peut imaginer, créer, recréer. Les images, les photographies sont des porteuses d’histoires, révélatrices d’un en-dedans que la trajectoire de l’œil a pu détacher et provoquer ainsi une rencontre, une pensée. Cette scène du puits de Lascaux, une source pour apprendre à lire, relire, relier les temps, et prolonger les sources à l’infini. Quelque chose surgit, qui vient dialoguer avec un présent, au-delà de la disparition d’un monde. D’autres temps, d’autres réalités, mais des impressions, des imaginaires qui se côtoient, se croisent, des dérives qui s’épousent. Pourquoi faire image, si ce n’est pour aller vers l’au-delà d’un réel, faire émerger des questions, déplacer le regard, pousser la pensée sur des territoires inconnus, faire du geste de photographier un phrasé d’imaginaire. S’immiscer dans ce chaos d’images perdues, ou de souvenirs qui s’emmêlent, images diffractées d’une réalité dont on n’a plus de certitude. On tentera de reconstruire ce qui a été déconstruit par les années, de se reconstituer un paysage mental, désaliéné de ses entraves. Autour de chaque image, particulièrement lorsqu’on est auteur et acteur de la photographie, il y a une sphère émotionnelle où poser sa peau, frotter son épiderme aux visions cachées, à ses archives intérieures qui surgissent, se révèlent dans une vitalité insoupçonnée. Saisir un élan dans ce tremblement qui palpite, une ouverture vers le fragile, l’insaisissable, vers cette étincelle qui a permis au regard de s’accrocher, l’espace d’un instant.

 

 On peut retrouver la version 1 ici

lundi 2 juin 2025

10 V1 Des images à y regarder à deux fois (V2 en dessous)

 

 

 

 

 

 


 

 D'un monde à l'autre

à lire l'écrivain voyageur comme si on y était

"Je suis follement visuel"

embarqués sous sa plume et son œil d'oiseau migrateur

De ces voyages immobiles

à tourner les pages comme on battrait des ailes

De ces livres-cadeaux tant aimés

qui font de nous des "récits""piendaires"*

qui à notre tour les offrons

et nous rassemblent dans une sorte de confraternité du plaisir


De ce qui est caché

De ce qui reste dans la marge

de ce qui semble être mais est bien plus que ça

Des images à y regarder à deux fois

 

Et l'arbre déploie ses ramures à perte de vue

l'œil se perd dans les bibliothèques

s'habitue aux tranches sur les rayonnages

ne comprend plus

à perte de sens dans un pays inconnu un paysage 

sage à première vue

l'œil se sent usurpé

ce ne sont pas des livres

ce ne sont pas des manuels de survie

ni des atlas ni des cartes

ce sont des données plus ou moins alimentaires

pas forcément nourrissantes


Quel en est le classement ?

pourquoi tant de hauteur perdue sous plafond ?

 

Sous les branches domptées à chaque nœud de l'arbre

une promesse de fruit

un ancêtre

un paquet de café

le gros lot

 

l'œil regarde accommode éprouve l'inconnu

Puis s'accommode du rouge érodé des briques

de la géométrie inhumaine de l'entrepôt

du menu proposé

"Faites rêver vos invités dès la première bouchée"


*récits-piendaires : merci au lapsus d'oreilles de Solange

**********************************************

V2 du 10

(Des images à y regarder à deux fois)

 

Nicolas Bouvier

arbre espalier

Bibliothèque de bouffe amazon

 

Comment choisir sa route parmi tous ces méandres ?

Tous ces chemins qui ne mènent qu'à Rome

surtout si on ne veut pas y aller

Tous ces fleuves qui mènent à la mer

quand on préfère la montagne

Toutes ces données codées dans les entrepôts amazoniques

dans la boue dans la fange de la jungle googlelienne

dont un oeil émerge parfois au-dessus de la vase

un troisième oeil ? un big brother ?

Une voix sourd d'entre les pages

du manuel de survie

mais le monde est muet

liquéfié dans sa glaise

les récits de voyage immobiles ou lointains

l'oeil se perd, se méprend, voit double

dans la mangrove où se tissent

les racines aériennes qui remontent à la source

les branches arrivent au tronc plutôt que le contraire

Et dans des bibliothèques calibrées

chaque produit mort dans son étagère

de la nourriture en briques

on nous prend pour des poires dans nos espaliers

codebarrés indicés qrcodés

et jamais ne pouvoir cocher la bonne case

 

Comment se repérer parmi tous ces mensonges

l'oeil crie, le nez sature de pourriture glacée

"suis devenu bizarrement allergique aux choses qui se décomposent trop vite"

Comme (un) Bouvier traçant son sillon parmi des routes affreuses

On n'est plus sûr que le dehors guérit

"On se sent inférieur au voyage"

 

on est parfois las d'aller voir là-bas si on y est

 

 

"Chaque jour

Je reçois de moi-même

Ce que l'usage est d'appeler de mauvaises nouvelles...

Chaque aube

Dans la forêt que j'avais plantée

Je m'égare...

Chaque matin

Je me porte en terre

Mais je suis le seul à marcher derrière moi" (Nicolas Bouvier)


mercredi 28 mai 2025

L'œil et la source /10

 

                 



Il reste au fond de soi encore un peu d’obscur



cela suinte dans la tête

des ombres remuent derrière le volet des ans — voile de suie ou de neige —

on se penche sur les traits de lumière

écarte un peu les sutures

cherche à voir entre les interstices

y-a-t-il quelqu’un à qui demander son chemin…


                                        

 

derrière les paupières

un mur, un ciel, des ombres

une falaise noire surplombant une vallée

le grès érodé de collines

des étoiles accrochées sur des arbres qui tremblent

des mondes de réminiscences



                                    

 

en latin revelatio signifie action de laisser voir, de découvrir

c’est un dérivé de revelare : dévoiler, révéler

en grec enlever le voile se dit apokalupsis

en hébreu on utilise deux mots pour parler de révélation galah qui veut dire découvrir, révéler, aller en exil et pethach ouvrir une porte

la révélation de tes paroles éclaire*





serait-ce l’apocalypse alors de pousser les volets sur une aube nouvelle

prenant le risque de révéler une connaissance de l’ombre

une parole des bords d’un infini

aux traces d’altérité

ou comme dans la photographie lors du développement de faire apparaître une image latente grâce au révélateur





mettre à jour ce qui en soi frémit

se dilue se diffuse

traquer un motif perceptible, féroce

comme les bulles de lave ponctuent l’explosion d’un volcan

pousser jusqu’à l’exil de sa langue pour éprouver l’inconnu



traduire les cris, les éclats, les paroles et les portes qui s’ouvrent

 

                                    


(*Psaume 119)