lundi 23 janvier 2012

A l'angle


C'est à l'angle, à l'angle de la langue, enfin sur l'angle qui n'est pas du côté de ma rue, quand on arrive par le haut – ce qui est bien sûr contraire à toutes les habitudes - . On arrive par la rue que l'on prenait dans l'autre sens pour aller à l'école l'après-midi main dans la main du père. La rue qui longe l'hôpital de la Charité, donc qui longe le père, cerné de murs qui le cachent au regard pour le faire oublier – mais comment peut-on oublier - , et là , à l'angle, une galerie de peintures, abandonnée peut-être, avec des murs vert sombre, écaillés, où d'éphémères collages se désintègrent, se décollent, donnant à chaque passage une texture différente, une lecture à renouveler. L'envie, bien sûr, est de toucher, d'aider à l'usure du temps, d'enlever à son tour quelque morceau de peinture pour voir derrière, comme sur les platanes qu'on écorçait dans la cour de l'école et où se dessinait une cartographie de songes.  Une main posée là, comme une invitation à pénétrer au centre, même avec les  inévitables éclaboussures, le passé en palimpseste, les traces à déchiffrer, un ciel à gratter, des enchevêtrements à démêler. Et ces points rouges qui pointent ce qu'on ne veut pas voir, ce qu'on souhaiterait enfoui à tout jamais et qui ressurgit, alors qu'on voudrait choisir ce que l'on regarde, maintenant qu'on le peut.
 
Probablement, il devait y avoir un bras, une tige sous cette main pour pouvoir la relier, la tenir, non comme un étendard mais comme une fleur qui, dans un geste d'apaisement, effleurerait les peaux, leur dirait enfin à quel point il est bon d'être en vie. Et si le sens de cette main posée là, était plutôt la main d'un avertissement : STOP ! Ne t'aventure pas plus loin, regarde ailleurs et tiens si tu partais dans l'autre sens, cela pourrait être sympa...tu pataugerais un peu dans la vie, la nouveauté, tu allégerais un peu ta besace . Pourquoi toujours revenir ici, moi dedans, dans cette histoire des sédiments, avec ce poids dont on ne se déleste  jamais. Et puis la couleur verte associée pour toujours à cette rue et qui ressurgit là au premier regard. Le vert des petits placards sous la fenêtre où étaient rangés les trésors d'un enfant, enfin rangés est un mot particulier pour dire entassés ce qui était à moi et auquel personne n'avait accès. Le secret du sacré.

2 commentaires:

Marie, Pierre a dit…

On se décollerait du passé comme on arracherait des peaux mortes, des affiches trop longtemps exposées aux intempéries, des sacs plastique nouvelle génération qui se dégradent tant, et si bien, que tout à coup ils ne contiennent plus rien, les pommes de terre tombent, les souvenirs aussi. Et après on aurait plus rien à écrire. On serait mort.

Linette a dit…

"Le secret du sacré" ce sont tes mots explicites dans leur implicite utilisation. C'est la pudeur et l'impudeur des souvenirs, c'est cette écriture chatoyante comme les reflets dans les vêtements d'un tableau de Brueghel.