dimanche 29 janvier 2012

Second essai

Pour arriver à leur maison, il leur faut grimper une petite route. Eux, ce sont trois enfants : quatre ans, sept ans et huit ans et demi. Chaque jour, ils traversent LE PONT qui fut un péage, en témoigne le nom du village où se trouve leur école : Pont-Evêque.
La Gère, grosse rivière, longe la route en bas de leur maison, ils la traversent quatre fois par jour pour aller à l'école, quatre fois un kilomètre et demi. Ils adorent cet itinéraire, plus riche en découvertes que n'importe quel trajet d'école buissonnière.
Ce jour-là, tout est chamboulé. Il a beaucoup plu ces jours derniers, en bas de leur chemin, deux pompiers les attendent, avec une barque.
La Gère a débordé, elle a envahi la route, s'étale marron, boueuse. Les garages de l'immeuble des « Arméniens » sont inondés, la boutique même de Monsieur Zacharian où les olives baignent dans de grands fûts, la pâte d'abricot se déroule comme dans le Pays de Cocagne. L'eau sale recouvre tout.
Assis dans la barque, les enfants ne disent pas un mot. Un des pompiers rame. L'eau clapote contre les flancs de la barque. Un brouillard épais, plus épais encore que d'habitude efface la vieille usine gardée par une rangée de peupliers au garde à vous qui ressemblent à des fantômes.
Ils longent la Gère. Le pont n'est pas loin, le pompier qui ne rame pas leur explique qu'une fois passé le pont, ils pourront descendre et continuer leur route à pied.
Sur le pont, le bureau de tabac et la boulangerie eux aussi sont dans l'eau. Et là, tout contre la barque d'énormes poissons, ventres en l'air, morts, cadavres humains, blancs : les gros pains ont été emportés par la crue et flottent gonflés, détrempés. Leur chair par endroits a éclaté.
La petite fille regarde fascinée : elle sait depuis toujours que les noyés ressemblent à ça. Elle ne peux plus les lâcher du regard et quand le pompier la soulève et lui dit « Tu as vu les pains ? », elle reste figée et ne souhaite qu'une chose : rester là et les regarder.

( Pour que cesse la lancinante répétition des mots « gonflé, détrempé » qu'a prononcé l'un d'entre nous en voyant le crocodile Hariboo sous la pluie, je m'en suis emparée).

3 commentaires:

Lin a dit…

tu as là un début ou un passage d'une nouvelle, angoissante un peu tout de même, je suis avec ces gosses, les images sont très prégnantes, j'aimerais avoir la suite, ou le début ou la fin, une histoire, en as-tu envie?

Lin a dit…

oui il y a du beau narratif ici, une fiction, à poursuivre...au milieu de ce pays perdu sous les eaux...

Ange-gabrielle a dit…

Je ne sais pas, c'est venu tout seul, à midi l'eau était redescendue. C'est comme dans un rêve tu y es plongée d'emblée, il n'y a ni préambule, ni cause, ni suite, ni effets, si ce n'est dans l'inconscient