Dans les temps très anciens, vivait dans la montagne un vieux moine zen, Ryokan, que l'on venait consulter de tout le pays pour ses paroles sages et ses "kito" car il interférait auprès des dieux pour que se réalisent les voeux de chacun.
Un jour, une femme d'à peine trente ans vint le voir.
"Moine sage, je vais avoir trente ans et je n'ai point de mari, je suis trop laide, si j'étais belle toute ma vie changerait et je trouverai enfin la paix auprès d'un époux".
"Hum... - fit le moine à la mine étonnée - que veux-tu embellir en toi?"
" Oh d'abord mon visage, il se ride, le teint est terne, j'aimerais retrouver la fraîcheur de mes quinze ans".
"Bien bien, je vois... c'est bien ce que tu désires?"
"oui" - balbutia-t-elle.
"Mais est-ce que cette beauté là serait suffisante, tu peux demander davantage aux dieux"
"ah... maintenant que vous le dites je suis de votre avis, si je pouvais être moins grande, avoir des pieds plus fins et des mains longues et douces"
"voilà qui est très bien - rétorqua le sage. Mais alors, la beauté serait-elle nichée uniquement dans ces parties du corps, n'as-tu rien à désirer de plus, les dieux sont généreux".
" Oh...- rougit-elle - je vous avoue que je trouve ma poitrine molle et rêche, ma taille trop fine et mes hanches trop larges"
"Parfait ! Parfait ! - S'exclama Ryokan. Mais pour réaliser le kito cela va te coûter cher, es-tu prête?"
"Je paierai ce qu'il faut, je ferai tout ce qu'il faut, mais je n'en peux plus d'être si laide".
Ryokan ne lui demanda pas d'argent (cela ne se faisant ni au Japon ni en Chine de l'époque), amoureux, il souhaitait que la dame resta un peu auprès de lui, simplement. La fin de l'hiver arriva, Souien Yi sortit les rares affaires de la cabane et nettoya meubles, ustensiles, sol, de fond en comble. En revenant de la rivière (où il composait des poèmes) le moine fut enchanté et s'écria : "Quelle merveille, tu as réalisé le plus beau nettoyage de printemps que je n'ai jamais vu!";
la dame sourit, toute heureuse. Elle entreprit alors de couper du bois en tentant de trouver les forces nécessaires à la hache et monta un tas de bûches d'une hauteur d'homme durant deux jours, sans s'arrêter ni pour boire ni pour manger, à peine pour dormir. Ryokan en pleura de joie: "magnifique ! Voici une oeuvre belle et utile, je ne saurais jamais assez te remercier".
La dame, éreintée, fit des rêves d'allégresse.
Chaque soir, ils regardaient ensemble le ciel étoilé, et Souien Yi - qui avait une bien meilleure vue que l'ancêtre - lui décrivait les constellations, les étoiles filantes, la brillance de vénus, et ses mots sonnaient si justes que Ryokan ne cessait de la complimenter pour la beauté de son langage.
A la fin du printemps, elle dessina pour son hôte un tableau de fleurs de cerisiers virevoltantes d'une légèreté incroyable. Ryokan ne pu prononcer aucune syllabe, mais la femme comprit son émoi et en fut bouleversée de bonheur.
Un soir d'été, pris tous deux par une joie indicible mais torride, Ryokan proposa sa natte à Souien. Elle s'allongea, dégrafa sa longue robe, et laissa entrapercevoir ses seins malgré sa honte et sa timidité. Le moine les effleura à peine, puis les embrassa très, très doucement, soupirant : "quelle douceur". Puis il caressa les hanches de la femme "quelle rondeur extraordinaire" (et ainsi de suite).
L'été, l'automne, un autre hiver passèrent. Au début du mois de mars de l'année suivante, Ryokan lui dit :"Bien, Souien Yi, il est temps maintenant de faire le kito que tu m'avais demandé".
"Ah..., répondit la dame, je ne sais plus pourquoi je vous l'ai demandé".
Morale 1: quand on est belle/beau aux yeux de quelqu'un-e (même d'un terrible macho ou d'une imbécile heureuse), on l'est pour l'univers entier et, par ricochets, pour soi-même.
Morale 2 : quand il ou elle s'apprête à accepter vos désidératas les plus crétins c'est qu'il ou elle a vraiment besoin de solitude et, peut-être, a des vues sur autre damoizelle ou damoiseau.