vendredi 7 décembre 2012

Apprendre à goûter les lumières

"Il y a des lumières fades, insipides, façon bouillon clair, eau tiède ou tisane. Des épicées, flamboyantes, arracheuses, gorgées de feu. Des suaves, douces, sucrées. Des mielleuses, des pâteuses,des écoeurantes. Des lumières sablées, d'autres feuilletées. Des grillées, des pochées, des mijotées, des fondues, des gratinées.
Parler de "la" lumière est un égarement, seul règne le multiple. Les lumières, évidemment - au pluriel irréductiblement - disséminées, diffractant le monde en une infinité de lieux aux intensités non comparables.
Lueurs piquantes des matins de printemps dans les champs déjà chauds, éclats blessés des midis d'automne, notes acides des aubes de glace l'hiver au sommet, arrière-goût âcre des villes brumeuses - autant d'approximations grossières et de désignations frustes - La multiplicité infinie des lumières, de lieu en lieu, minute après minute, au jour le jour, ne peut se dire mais doit se montrer.
Toutefois, la capacité à les discriminer s'éduque. Après avoir abandonné l'idée absurde qu'il n'y aurait qu'une seule lumière, il est possible de s'exercer à saisir les nuances fugaces, éternellement réinventées. Accepter de ne jamais voir deux fois la même. Savoir que le flux infini ne peut s'interrompre. Comprendre que l'existence des ténèbres est une légende - l'extinction des lumières ne correspond à rien.
Ce qu'on appelle la nuit est composé de lumières ombreuses, opaques, denses, parfois tout à fait noires. Leur goût engendre des rêves et des errances tant qu'on n'a pas fait l'apprentissage de leurs puissances sourdes ni découvert combien elles enveloppent et rassurent dès qu'on les apprivoise.
Ne jamais faire confiance aux unités (la saveur, la lumière, la nuit) car elles n'existent que de manière illusoire."

Roger-Pol Droit  Petites expériences de philosophie entre amis  Plon


3 commentaires:

Laura- Solange a dit…

Oui DES lumières et leurs ombres...Je vais rechercher les lumières sablées et feuilletées!

lin a dit…

quelle photo !

Ange-gabrielle a dit…

Prise à Mirmande, auvent réalisé en plastique par deux designeuses stéphanoises