lundi 6 décembre 2010

pulpeuse poupée, calme calmar

Longtemps je me suis couché de bonne heure, se disait l’encornet par devers lui.  Longtemps j’ai erré filamenteux, élégant et fluide, malgré mes disproportions monstrueuses et mes yeux téléscopes que certains qualifient de glauques alors qu’ils pensent vitreux, sans savoir que glauque est d’une belle couleur, d’un vert tirant sur le bleu, comme les yeux d’Athéna dit-on et que les miens, quand je ne suis pas mort, sont noirs. Longtemps, j’ai vécu ma vie sous-marine, en prédateur prévoyant, croquant de ci-de là de plus petits que moi, échappant tour à tour aux mâchoires des baleines, aux mailles des filets, aux baleines de parapluies dérivant au fil des courants, arrachées par des vents de tempête soufflant à terre certains soirs de décembre 1999 et ..
Longtemps, j’ai suivi mon destin de céphalopode, d’une intelligence relativement élevée parmi les invertébrés, pêchant en bancs, chassant en solitaire dans l’unique but de déposer sous le manteau d’une de mon espèce ma semence médusée et gélatineuse, allumant éteignant mes lumières pour me rendre invisible visible à mes proies, selon qu’elles étaient repas de choix ou femelles réceptacles, changeant de couleur au gré de mes colères  mais toujours  me couchant de bonne heure, sans me douter que je finirais en oeuvre d’art éphémère, anonyme dans mon plat rose, dégoulinant d’un guéridon.
Longtemps j’ai trôné sur un dessus de lit en satin bleu, puis sur un plaid crocheté main, dormant le jour, jetée à bas du lit la nuit. Fabriquée en Chine par des enfants qui n’avaient jamais vu de négresse blanche, moi non plus. Un jour je fus remisée, remplacée par l’une de ces monstres à trois têtes, poupée qui rit, poupée qui pleure, poupée qui dort, très rare. J’entendais dans ma housse la petite de la maison qui hurlait de peur en la voyant. Moi pendant ce temps, à l’abri de la poussière et des intempéries, je faisais fi du temps qui passe, passée de mode,  mise au rebut en attendant le retour en grâce. Aujourd’hui, m’y voici, réunie avec d’autres de ma classe, sur un piano de décoration, toutes, reluisantes, yeux de jais, lèvres passées au gloss, rubans et dentelles anglaises, ne ressemblant à rien, inutiles, encombrantes collections, encombrants souvenirs de dimanches où la chance avait été de la partie, cadeaux-poisons.
Longtemps j’en ai eu assez d’être couchée, les volets ouverts sur la nuit scintillante de neige, les yeux écarquillés pour regarder défiler mes cauchemars. Les bras raides, les jambes sans articulations, j’ai guetté les signaux faibles de la vie qui ralentissait derrière le double vitrage. La maison abandonnée à la poussière des souvenirs. J’ai pensé au calmar qui stagnait dans son jus rose, à sa chair glissante, à son heure de gloire qui sentait déjà le pourri.  Vaincue par le sommeil plus fort que ma veille j’ai rêvé qu’il me regardait de son doux regard liquide, qu’il m’interrogeait sur son sacrifice. Je n’ai rien pu lui répondre, j’ai remis un peu de gloss sur mes lèvres craquelées et me suis réinstallée en position de décor, sur le couvre livre de satin bleu.

2 commentaires:

natô a dit…

émouvant et fort, j'adore ..

Ange-gabrielle a dit…

Ton texte est aussi beau que l'apparition sur la photo précédente. Continue à te coucher de bonheur, ça te réussit bien aussi