J'ai un vieux joli livre qui parle us et coutumes de l'Auvergne et du Velay. Au chapitre enterrement, il est dit qu'on "pliait" les morts dans un linceul et pas dans leurs habits et que n'importe quel drap s'appelait linceul. on y dit aussi que lorsque quelqu'un mourrait, on arrêtait l'horloge et on la remettait en marche après le repas qui suivait les funérailles. De même on faisait porter le deuil aux abeilles, en mettant à chaque bru (ruche) un petas d'étoffe noire. On tendait un drap noir devant le fenestrou, on déposait un rameau de répans (buis) dans un verre près du défunt.
(L'Auvergne et le Velay : Lucien Gachon : Gallimard 1948)
mercredi 28 février 2018
Paroles d'en dessous/ 4
Séraphine
P.
après avoir été renversée par une voiture
et voilà-ti pas que je m’étire
et perds l’équilibre pour un foutu saucisson
accroché à la poutre
et voilà le fémur cassé
suis restée couchée par terre toute une journée
heureusement que le cousin Firmin est passé par là
parce que personne m’entendait crier
j’ai vite compris que je reviendrai plus
ici dans ma maison
j’ai été infirmière à l’hôpital
j’en ai vu défiler des gueules cassées
pendant la guerre de 14
et des vieux qu’on laissait dans leur lit
sans bouger pendant des jours
alors j’ai fini comme ça en me rappelant
les bons moments avec Jean
et notre petit Maurice
mais ça n’a pas duré
Jean est mort trop vite
et après il a fallu que j’en fasse des piqûres
pour gagner notre vie avec mon fils
ah c’était pas facile quand même
j’ai juste eu le temps de voir ma petite fille
posée sur le bord de mon lit
et me v’la six pieds sous terre
mardi 27 février 2018
Cartographie 8
Antoine ”Le Rouge” Giraudet
Quand j’étais enfant, quand j’suis arrivé à l’école en novembre, vers mes dix ans, y’en a qu’on essayé de m’appeler le rouquin; mais ça n’a pas traîné, ça s’est réglé dans les chemins creux après la classe, à coup de poing et à coup de bâton; il a pas r’mis les pieds à l’école de quinze jours et les autres ça leur a servi de leçon. Le Rouge c’est pour une autre raison; j’aime pas l’bourgeois, c’est rien que des crapules et ça vit su’l’dos du pauv’ monde et ça vous fait la morale; c’est pour ça qu’il faut les traiter comme des nuisibles. Avec leurs gendarmes et leurs juges, y m’ont condamné pour l’histoire de Saint-Genest, mais pour les autres affaires j’ai jamais rien dit, y s’ont bien essayé de savoir, mais rien. J’aurais mérité cent fois la guillotine, mais au bout du compte une seule condamnation, j’men sors plutôt bien. Toute façon on peut être guillotiné qu’une fois pas vrai?
Barthélémy Robert
Salaud de rouge, on peut pas leur faire confiance aux rouquins. Pourquoi qui m’a dénoncé et pourquoi qui m’a tout mis su’l’dos. Sûr, j’y étais à la ferme de Dunières, mais c’est pas moi qui l’ai tué l’fils du proprio, j’avais pas de pistolet, j’avais juste un fusil et mon couteau. Le salaud il en avait rien à foutre qu’on dise que c’était lui le coup de pistolet; pour l’affaire de Saint-Genest, il était déjà bon pour la bascule à Charlot. C’est vrai que j’l’aimais pas, y faisait trop l’chef, toujours à commander, à nous prendre pour rien, et puis y prenais la moitié du butin, pour les frais, pour la cause qu’y disait. Tout seul j’y serais jamais aller dans sa bande, c’est les frères Coignet, j’les connait bien, on avait fait déjà plusieurs coup ensemble, y sont réglos. "Avec le Rouge on s’fait jamais prendre" y m’disait, et c’est vrai qu’y’s’en avait fait plein des coups avec lui, pas un pépin, pas une arrestation. Ben il aura suffit d’une fois et j’yétais et à cause de ce salaud j’ai été bon pour la veuve Louison et le panier de son.
Les Morts nous parlent # 2.
L'abbé Delaigue.
Moi, abbé Delaigue, bien calé sur mon coussin qui n'est plus tout blanc, dans mon cercueil qui n'est plus tout entier je cauchemarde en repensant à ces années où je devais dispenser des leçons de patois à des lycéens qui souvent n'en avaient rien à faire juste à grappiller quelques points pour l'obtention de leur baccalauréat. Si, il y en avait bien une, une petite blonde qui ne faisait pas de bruit, qui écoutait (ou qui faisait semblant allez savoir!) qui disait qu'on le parlait encore à la maison entre son oncle et sa belle-mère. Elle aimait lire les textes que je leur proposais (ou était-ce parce qu'ils étaient grivois, allez savoir!), elle répondait aux questions, en patois, engageait la conversation, conjuguait (bon la bonne prononciation n'y était pas toujours!). Mais elle était là, imperturbable devant les balles de ping-pong qui pleuvaient certains jeudis ou les parapluies qui s'ouvraient au fond de la classe les jeudis de pluie.
Et moi, l'abbé Delaigue pourvu que puisse plonger le nez dans mes parlers anciens, occitans ou autres dialectes; que je puisse fouiller dans les archives de la Haute-Loire à la recherche de textes, d'auteurs, je suis heureux et leur inintérêt me laisse de marbre. D'ailleurs aujourd'hui je veux leur faire connaître une poésie patoise imaginée et écrite par un autre abbé, l'abbé Jean-François Meiller originaire de Montregard (1811-1859); c'est l'histoire de "Faillibert": Philibert (la petite blonde me dit que oui elle la connaît, son oncle la racontait à la veillée ou à la fin des repas de famille quand il avait un petit coup dans le nez). Faillibert quitte son village natal pour aller au pays du "tsarbou"pour y trouver travail et meilleur salaire; mais après maintes péripéties et beaucoup de déconvenues, il ne retrouve le bonheur qu'en rentrant au pays.
"A LA MARRO!! A LA MARRO!!"
"Mayre, acouey deycido, faou plus de paillossou.
-Et perque n'en fas plus, a briso toun pounçou?
-Persoque de l'hiver toumban la moutsas blantsas,
Persoque vôtre bouan me fay couyere les antsas,
Persoque sarraçou , trifolas et leytas,
Soupo de tséous cabus, qu'ey si mal apreytas,
Votre ayguobillo...tout me catso la foutano,
Me bôto lou souleaoux...
You vole anas granas dguins un pays plus tsaou
Laysse lou frey, la neou, par le feo de la grillo,
Et l'ayguodès lo foun per le dzus de lo trillo.
Abas le sarraçou, trifolas et leytas,
Et vivo le fricot quan ey bian apreytas!
Mayre, ay de bras de fer, vole anas à la marro!
- Que dguisis pouillissou ? Que faro briso barro
Eou tou quinze ans? [........]
Quand tournaras, petqui, tout aco ,sero mort [....]
M'aréte moun ami, t'ay parlo prou longtemps
Pren gardo de pas dguire , en tournant: "paouro mayre
Notris vieux an rasou" "
*Et ce n'est qu'un extrait, l'histoire s'étend sur neuf pages. Et bien, pour jeudi vous me traduirez cet extrait sachant qu'il ne faut pas s'attacher littéralement à chaque mot et puis vous réfléchirez à ce que peut vouloir signifier cette histoire. Vous aurez un oral de trois minutes en patois pour donner votre point de vue.
Bonne semaine.
Moi, abbé Delaigue, bien calé sur mon coussin qui n'est plus tout blanc, dans mon cercueil qui n'est plus tout entier je cauchemarde en repensant à ces années où je devais dispenser des leçons de patois à des lycéens qui souvent n'en avaient rien à faire juste à grappiller quelques points pour l'obtention de leur baccalauréat. Si, il y en avait bien une, une petite blonde qui ne faisait pas de bruit, qui écoutait (ou qui faisait semblant allez savoir!) qui disait qu'on le parlait encore à la maison entre son oncle et sa belle-mère. Elle aimait lire les textes que je leur proposais (ou était-ce parce qu'ils étaient grivois, allez savoir!), elle répondait aux questions, en patois, engageait la conversation, conjuguait (bon la bonne prononciation n'y était pas toujours!). Mais elle était là, imperturbable devant les balles de ping-pong qui pleuvaient certains jeudis ou les parapluies qui s'ouvraient au fond de la classe les jeudis de pluie.
Et moi, l'abbé Delaigue pourvu que puisse plonger le nez dans mes parlers anciens, occitans ou autres dialectes; que je puisse fouiller dans les archives de la Haute-Loire à la recherche de textes, d'auteurs, je suis heureux et leur inintérêt me laisse de marbre. D'ailleurs aujourd'hui je veux leur faire connaître une poésie patoise imaginée et écrite par un autre abbé, l'abbé Jean-François Meiller originaire de Montregard (1811-1859); c'est l'histoire de "Faillibert": Philibert (la petite blonde me dit que oui elle la connaît, son oncle la racontait à la veillée ou à la fin des repas de famille quand il avait un petit coup dans le nez). Faillibert quitte son village natal pour aller au pays du "tsarbou"pour y trouver travail et meilleur salaire; mais après maintes péripéties et beaucoup de déconvenues, il ne retrouve le bonheur qu'en rentrant au pays.
"A LA MARRO!! A LA MARRO!!"
"Mayre, acouey deycido, faou plus de paillossou.
-Et perque n'en fas plus, a briso toun pounçou?
-Persoque de l'hiver toumban la moutsas blantsas,
Persoque vôtre bouan me fay couyere les antsas,
Persoque sarraçou , trifolas et leytas,
Soupo de tséous cabus, qu'ey si mal apreytas,
Votre ayguobillo...tout me catso la foutano,
Me bôto lou souleaoux...
You vole anas granas dguins un pays plus tsaou
Laysse lou frey, la neou, par le feo de la grillo,
Et l'ayguodès lo foun per le dzus de lo trillo.
Abas le sarraçou, trifolas et leytas,
Et vivo le fricot quan ey bian apreytas!
Mayre, ay de bras de fer, vole anas à la marro!
- Que dguisis pouillissou ? Que faro briso barro
Eou tou quinze ans? [........]
Quand tournaras, petqui, tout aco ,sero mort [....]
M'aréte moun ami, t'ay parlo prou longtemps
Pren gardo de pas dguire , en tournant: "paouro mayre
Notris vieux an rasou" "
*Et ce n'est qu'un extrait, l'histoire s'étend sur neuf pages. Et bien, pour jeudi vous me traduirez cet extrait sachant qu'il ne faut pas s'attacher littéralement à chaque mot et puis vous réfléchirez à ce que peut vouloir signifier cette histoire. Vous aurez un oral de trois minutes en patois pour donner votre point de vue.
Bonne semaine.
CARTOGRAPHIE 8
"Les Morts nous parlent #1"
Jean-Pierre V.
Vous me teniez la main, vous ne vouliez pas me laisser partir. Mais moi, je sentais bien que mon temps sur la Terre était fini. Je ne dis pas que je n'aurais pas aimé rester plus longtemps parmi vous mais je savais que j'allais souffrir, que j'allais devoir affronter une longue maladie comme dit la Faculté. Et là, je dis Non! Stop! Voir mon corps se déliter, mes organes se putréfier, mes sens se geler sous la force du mal! Me tordre de douleur! Devenir un légume! Halte-là! Je ne voulais pas, je ne pouvais pas. Etais-je trop lâche pour ne pas affronter remèdes et médecines qui m'auraient prolongé? Qui n'auraient fait que reculer l'heure de ma mort? Mon esprit d'aventure était-il si pressé de partir se promener dans l'au-delà et découvrir les autres rives du Styx? Je n'ai toujours pas la réponse.
Je savais bien que vous alliez être tristes, très tristes, le corps et le cœur en berne. Mais réfléchissez un peu: cinq ans après, une bouche de moins à nourrir et pas des moindres! Combien de repas économisés? Les anniversaires, les Noëls, combien de cadeaux vous n'avez plus eu à chercher, à offrir de bon cœur ou peut- être pas...Mon mauvais esprit m'égare...
Je vous vois, je vous guette même parfois je vous épie et je sais bien qu'on a encore des choses à se dire. Moi accroché, empêtré au limon du fleuve, vous les pieds sur terre ou quelquefois dans l'eau quand vous venez me voir. De temps en temps une ablette ou un vairon vient reluquer mes cendres et me rappeler que les corps existent. Ou alors quelques grains de mon cœur se détachent, flottent et s'en vont par les méandres de la rivière vous rejoindre où que vous soyez vous dire que je vous aime que c'est comme ça qu'on n'en a jamais fini mais que ça peut être autrement.
Et si vous voyez quelques bulles agiter la surface de l'eau c'est ma respiration, mon souffle qui s'agite pour vous.
Jean-Pierre V.
Vous me teniez la main, vous ne vouliez pas me laisser partir. Mais moi, je sentais bien que mon temps sur la Terre était fini. Je ne dis pas que je n'aurais pas aimé rester plus longtemps parmi vous mais je savais que j'allais souffrir, que j'allais devoir affronter une longue maladie comme dit la Faculté. Et là, je dis Non! Stop! Voir mon corps se déliter, mes organes se putréfier, mes sens se geler sous la force du mal! Me tordre de douleur! Devenir un légume! Halte-là! Je ne voulais pas, je ne pouvais pas. Etais-je trop lâche pour ne pas affronter remèdes et médecines qui m'auraient prolongé? Qui n'auraient fait que reculer l'heure de ma mort? Mon esprit d'aventure était-il si pressé de partir se promener dans l'au-delà et découvrir les autres rives du Styx? Je n'ai toujours pas la réponse.
Je savais bien que vous alliez être tristes, très tristes, le corps et le cœur en berne. Mais réfléchissez un peu: cinq ans après, une bouche de moins à nourrir et pas des moindres! Combien de repas économisés? Les anniversaires, les Noëls, combien de cadeaux vous n'avez plus eu à chercher, à offrir de bon cœur ou peut- être pas...Mon mauvais esprit m'égare...
Je vous vois, je vous guette même parfois je vous épie et je sais bien qu'on a encore des choses à se dire. Moi accroché, empêtré au limon du fleuve, vous les pieds sur terre ou quelquefois dans l'eau quand vous venez me voir. De temps en temps une ablette ou un vairon vient reluquer mes cendres et me rappeler que les corps existent. Ou alors quelques grains de mon cœur se détachent, flottent et s'en vont par les méandres de la rivière vous rejoindre où que vous soyez vous dire que je vous aime que c'est comme ça qu'on n'en a jamais fini mais que ça peut être autrement.
Et si vous voyez quelques bulles agiter la surface de l'eau c'est ma respiration, mon souffle qui s'agite pour vous.
Cartographie 5.2
Source du Cotatay
La Font Ria, la source royale, c’est le nom de cette source cachée, dont la mauvaise réputation a durée jusqu’au 20ème siècle. Elle est redécouverte en 1918 par un jeune étudiant, intrigué par la légende d’une source glacée dont l’eau faisait mourir ceux qui en buvaient. Il découvre les deux pierres qui encadrent la source sur lesquelles on peut lire:
JEGLACEDE CARLONME
PEUR CARESSE
ENPERDANT LORSQUELLE
MASOEYR MELAISSE
Il découvre ensuite une seconde source proche, qui tarit à la fin de l’automne et rejaillit au printemps, et un morceau de pierre gravée ainsi:
LE C
AP
MC
V
Après des années de recherches épigraphiques, il en vient à compléter le texte de la manière suivante:
LECOULAGE
ARRESTE
MONONDE
VOUSRESTE
Comme un dialogue entre les deux sources jumelles dont l’une disparait, quand l’autre gèle, mais continue à couler sous la glace.
Paroles d'en dessous/ 3
Alphonse P
sur la tombe il y a une plaque
en gris métallisé où c’est écrit
à la mémoire d’Alphonse Porte
mort pour la France à Baccarat
le 25 août 1914 à l’âge de 20 ans
mais je suis pas dessous
je suis resté sur le champ de bataille
sur le pont de Baccarat
Baccarat c’est beau comme nom
le cristal je l’ai pas vu
mais mon corps a été criblé des balles
de la mitrailleuse planquée
de l’autre côté du pont
on est morts à plus de quatre cents
sur ce fichu pont
je viens hanter le cimetière d’ici et
le monument aux morts sur
la place du village
et je lis et relis les noms
des 85 morts comme moi
tombés au champ d’honneur
...comme ils disent
c’était plus tôt
le champ d’horreur même si
on a appelé ça
la bataille de la Trouée de Charmes
sur la tombe il y a une plaque
en gris métallisé où c’est écrit
à la mémoire d’Alphonse Porte
mort pour la France à Baccarat
le 25 août 1914 à l’âge de 20 ans
mais je suis pas dessous
je suis resté sur le champ de bataille
sur le pont de Baccarat
Baccarat c’est beau comme nom
le cristal je l’ai pas vu
mais mon corps a été criblé des balles
de la mitrailleuse planquée
de l’autre côté du pont
on est morts à plus de quatre cents
sur ce fichu pont
je viens hanter le cimetière d’ici et
le monument aux morts sur
la place du village
et je lis et relis les noms
des 85 morts comme moi
tombés au champ d’honneur
...comme ils disent
c’était plus tôt
le champ d’horreur même si
on a appelé ça
la bataille de la Trouée de Charmes
lundi 26 février 2018
Paroles d'en dessous/ 2
Eugénie P.
Ah ma tombe est bien placée
juste face à l’église là-haut
c’est pour pas que j’oublie le coup de foudre
mais pas celui que vous croyez
c’est la foudre, la vraie
qui est tombée sur l’église et
qui m’a donné cette patte folle
que j’ai trainée toute ma vie
finis les bals à Valprivas
j’ai vécu 91 ans quand même
mais sans hommes sans enfants
j’ai connu le travail à la ferme
j’aimais pas trop ça
je voulais partir comme mes soeurs
alors la manufacture d’armes en 1918
et tchac deux doigts en moins
toute bancale j’étais
après j’ai travaillé dans une distillerie
je collais les étiquettes des bouteilles
quand y avait de la casse
on récupérait ce qu’on pouvait
c’était toujours ça
une vie de pas grand chose
en somme et à la fin
y avait aussi les jeudis
quand S. m’emmenait dans le quartier
et qu’on mangeait un chou à la crème
après çà a été La Charité
une chambre à 4 lits
j’leur en ai fait voir
ils râlaient à cause du saucisson
dans la table de nuit
ils avaient qu’à m’en donner à midi
alors si je grommelais
j’avais bien le droit quand même
j’avais plus que ça
Ah ma tombe est bien placée
juste face à l’église là-haut
c’est pour pas que j’oublie le coup de foudre
mais pas celui que vous croyez
c’est la foudre, la vraie
qui est tombée sur l’église et
qui m’a donné cette patte folle
que j’ai trainée toute ma vie
finis les bals à Valprivas
j’ai vécu 91 ans quand même
mais sans hommes sans enfants
j’ai connu le travail à la ferme
j’aimais pas trop ça
je voulais partir comme mes soeurs
alors la manufacture d’armes en 1918
et tchac deux doigts en moins
toute bancale j’étais
après j’ai travaillé dans une distillerie
je collais les étiquettes des bouteilles
quand y avait de la casse
on récupérait ce qu’on pouvait
c’était toujours ça
une vie de pas grand chose
en somme et à la fin
y avait aussi les jeudis
quand S. m’emmenait dans le quartier
et qu’on mangeait un chou à la crème
après çà a été La Charité
une chambre à 4 lits
j’leur en ai fait voir
ils râlaient à cause du saucisson
dans la table de nuit
ils avaient qu’à m’en donner à midi
alors si je grommelais
j’avais bien le droit quand même
j’avais plus que ça
Les morts parlent #4
Mme Mulpy :
Si j'avais pensé qu'un
jour c'est tout près de moi qu'il serait celui-là, à quelques
mètres seulement. Ah ! Il a moins fière allure maintenant qu'il
n'est plus qu'un tas d'os blanchis. Je le voyais passer plusieurs
fois par jour sur son tracteur, rasé de frais, pimpant, lançant des
oeillades de droite, de gauche pour s'assurer qu'elles étaient aux
aguets derrière leurs rideaux.
Mes voisins d'à côté
m'appelaient chaque jour, au moins une fois, pour voir si j'étais
encore bien vivante. Ils avaient peur qu'ils disaient ; pas peur pour
moi, peur de la mort, j'étais pas dupe, peur de ce qu'ils allaient
trouver derrière la porte si je venais à clamser. Je le savais, en
fait je les attendais. Je faisais exprès de me cacher pour qu'ils
paniquent un peu.
Dans mon unique pièce,
les journaux entassés à même le sol de terre battue les
effrayaient tous. Ils craignaient qu'un jour tout s'enflamme. Les
journaux c'était pour allumer mon poèle pas pour foutre le feu. Je
les laissais me chercher et comme je passais pour sourde, c'était
facile. Je répondais pas. Les gamins aussi s'y mettaient : ils
criaient mon nom, ouvraient la porte et partaient en gueulant « Mme
Mulpy, elle est morte, y a personne chez elle ». Ca me faisait
de la compagnie.
Aux beaux jours, passés
quatre-vingt-dix ans, je grattais encore dans mon jardin. C'est là
qu'un après-midi mon fils m'a trouvée : j'avais semé les salades
quand la fatigue m'a prise, tombée, le nez dans les violettes. Pas
de quoi avoir peur franchement.
dimanche 25 février 2018
Paroles d'en-dessous/1
Julie Roche
je sais pas ce qu’il faut dire
j’ai jamais bien eu la parole
la vie s’est passée sans trop réfléchir
pas le temps
et puis on parlait pas beaucoup dans la famille
on faisait c’est tout
à gueniller de l’étable à la cuisine
et des champs au lavoir
et la guerre toujours la guerre
j’étais la deuxième d’une famille de neuf
et j’ai eu sept enfants
tout est là
et le mari par monts et par vaux
chaque hiver il montait à la scie
pour faire un peu des sous
et moi toute seule avec les bêtes et les enfants
j’en ai perdu trois
deux entre mes bras
et l’ Alphonse je sais même pas où il est
il avait juste vingt ans
c’était mon petit dernier
je l’ai vu sur le chemin des centaines de fois
mais c’était jamais lui
il était mort
je le savais même pas
j’ai quand même tenu jusqu’à 84 ans
et de la dentelle entre les doigts jusqu’au bout
je sais pas ce qu’il faut dire
j’ai jamais bien eu la parole
la vie s’est passée sans trop réfléchir
pas le temps
et puis on parlait pas beaucoup dans la famille
on faisait c’est tout
à gueniller de l’étable à la cuisine
et des champs au lavoir
et la guerre toujours la guerre
j’étais la deuxième d’une famille de neuf
et j’ai eu sept enfants
tout est là
et le mari par monts et par vaux
chaque hiver il montait à la scie
pour faire un peu des sous
et moi toute seule avec les bêtes et les enfants
j’en ai perdu trois
deux entre mes bras
et l’ Alphonse je sais même pas où il est
il avait juste vingt ans
c’était mon petit dernier
je l’ai vu sur le chemin des centaines de fois
mais c’était jamais lui
il était mort
je le savais même pas
j’ai quand même tenu jusqu’à 84 ans
et de la dentelle entre les doigts jusqu’au bout
samedi 24 février 2018
cartographie # 8 Les morts parlent 3 Florimond Hugon
Florimond Hugon
Je n'ai pas dépassé le 7 juin 1944 ni la 1ère maison du hameau.
Je venais livrer du bois
et tout à coup, j'étais en train d'agoniser dans les bras d'une femme
elle mettait son mouchoir sur un trou, elle colmatait un autre avec son petit tricot
à plus de 1000 mètres d'altitude sur le Devès, même en juin, on n'est pas souvent bras nus
j'espère qu'elle n'a pas pris froid, surtout que ça n'a servi à rien.
Elle ne pleurait pas, elle s'affairait
je voyais bien qu'elle crevait de trouille
mais elle ne crevait pas, au contraire
je sentais sa transpiration, sa sueur et sa respiration
c'est bizarre de se souvenir de ça
mais j'avais pas grand chose d'autre à faire
une sorte de Madeleine de Proust des derniers instants de ma vie
ça continuait de tirer de partout
elle aurait pu y passer aussi
de vos jours on aurait dit que j'étais un dommage collatéral
j'étais pas le genre de gars que la milice était venue tirer comme un lapin
ils en avaient rien à faire d'un petit livreur de bois comme moi
elle aurait pu en être un aussi, de dommage
c'eût été dommage, elle était si douce et si ferme à la fois
elle continuait de se pencher sur moi, de crier au secours, de marmonner des trucs de sorcière
Je me suis rappelé qu'on disait dans le coin que sa mère en était une
à un moment elle a disparu
mais elle est revenue avec à boire pour moi
elle a déchiré sa robe,
pour me faire un bandage
personne ne venait l'aider
plus tard j'ai vu que ça se faisait comme ça au cinéma
je sais bien qu'elle risquait pas de l'avoir vu faire
mais peut être que j'invente
j'étais étourdi, mais pas malheureux sur le coup
ça me faisait doux qu'une femme me touche comme ça
j'en avais pas connu d'aussi près
elle me faisait penser à ma soeur, la pharmacienne
une gentille aussi, qui me collait du sparadrap et me barbouillait de mercurochrome quand je m'écorchais
qui m'achetait des livres
j'aimais ça lire
la femme, elle s'appelait Marie, je crois
elle me disait de tenir bon,
et je voulais bien
ça me disait bien de connaître la suite
je me disais aussi que Rossignol,ça fait pas endroit pour mourir, surtout au mois de juin
en hiver, je dis pas, quand ça burle et qu'on sait qu'on en a encore pour plusieurs mois,
mais là, non
j'avais pas fini de lire ce livre que ma soeur m'avait acheté pour mon anniversaire "L'étranger" écrit par ce drôle type, Camus,
En mai y en avait un autre qui était paru de lui "le malentendu", tu parles d'un titre !
Quand on est venu me chercher, j'étais déjà tout mort et
comme y avait pas même eu un curé pour que je lui débite quelques péchés que je voulais pas emporter avec moi,
j'avais mis mon âme et mon coeur dans les mains de cette Marie avec qui j'aurais bien passé mes soirées au coin du feu, avec le bois que j'aurais fini par lui livrer gratis
Et tout froid
parce que ça a trainé
les autres diables ils avaient mis le feu à la ferme et tué 7 ou 8 maquisards en plus de moi
Les secours, ils n'avaient pas que moi à s'occuper
Cette Marie, je l'ai surveillée un bout de temps
Après ce jour, elle et sa famille, ils avaient plus rien
Ma soeur pharmacienne lui avait proposé de lui payer des études en remerciement de moi et après elle serait allée travailler dans sa pharmacie
mais La Marie, elle a pas voulu lâcher ses parents,
ils se sont tous dispersés où ils ont pu
ils ont tout recommencé à zéro
les voisins, ils disaient "ça les a mis au monde".
On a toujours fait semblant de croire qu'ils n'y étaient pour rien,que le pain qu'ils leur avaient pesé le soir même, c'était pas pour le leur faire payer, c'était pour être sûrs qu'ils en auraient assez.
Parfois, le malentendu, c'est juste être là au mauvais moment.
vendredi 23 février 2018
Cimetière de l'Oisans @4
4. Maurice
Ils m'avaient tous fait chier, la famille, les voisins, leurs chats sur lesquels je tirais car ils venaient tracasser mes poules et pisser dans mes fleurs. Tous. Et surtout mes deux championnes : mes deux ex-femmes.
J'ai donc pris la garde du refuge du fond de la vallée, un cul de sac. Et ça m'allait bien. De novembre à mai, je ne voyais quasiment personne. Pas un chat (heureusement pour eux).
Mon enterrement... ah quelle aventure ! d'abord ils m'ont retrouvé momifié, 2 mois après ma mort (le froid glacial conserve bien).
Ils m'ont mis dans un cercueil. Douze personnes de la famille sont venues à la cérémonie. Le curé avait un texte "à trou": le même pour tout le monde, et dans le trou du texte : mon prénom. Et vas-y que..."Souvenez-vous de tout ce qu'il vous a apporté dans votre vie, (trou): Maurice", "Faites une minute de silence pour vous recueillir sur l'âme de (trou) Maurice", "on va dire la prière du saint machin en mémoire du cher (trou) Maurice" etc. Bon, le curé a bâclé la cérémonie, il a dû voir comme moi que ça commençait à ricaner dans l'église.
Et puis il y a eu les adieux au mort : ma fille a commencé par passer du côté gauche du cercueil, mon fils à droite, et les dix autres se sont répartis comme des crétins de chaque côté. Cela a fait un bouchon, ils ne pouvaient plus circuler autour de la boîte en bois comme le curé le voulait. J'en boufferais encore du curé si je le pouvais ! Mais là franchement, j'étais mort de rire !
Ils se sont donc arrêtés en cercle autour de moi, genre... et ben voilà, on fait quoi maintenant? face à cette situation embarrassante, le curé a donné une craie : "tenez, écrivez sur le cercueil un petit message pour Maurice" (ici, il n'y avait pas de trou dans sa phrase improvisée).
Non Mais ! Je n'avais encore jamais vu ça! Ecrire sur un cercueil ! Est-ce un nouveau rite ? Ma fille a dessiné un coeur. La belle petite.
Et puis ils sont sortis.
Je ne voulais pas aller au cimetière, j'aurais souhaité être brûlé comme les indiens d'Inde ! et qu'on jète mes cendres dans ma rivière. Un peu sur ma montagne aussi.
Mais bon ça ne se fait pas et me voilà aux côtés des autres imbéciles, surtout la maîtresse, je la déteste celle-là (jeune fille, elle a refusé de m'embrasser), mais je ne peux pas lui tirer dessus comme sur une chatte. Dommage... Je vais lui envoyer quelques vers de plus, histoire qu'elle fasse moins la belle, maintenant.
Il n'y a qu'avec le Gaspard que je m'entends, faut dire qu'on est aussi taiseux l'un que l'autre. Le silence, ça arrange bien les relations humaines. Des fois quand même, on se marre en se souvenant des jeunes filles que nous avions draguées dans notre jeunesse.
Mes enfants me manquent, faut le dire, oui, mes frères et ma soeur aussi. je les aime, mais de mon vivant, je ne pouvais pas ne pas leur faire la gueule. C'est comme ça.
Les morts qui parlent #3
Henri S :
Tous les jours de
là-dessous, depuis des années, je te parle, dès fois que tu
m'entendrais et que tu aurais pitié … Je ressasse l'histoire, là
où j'ai déconné et j'en souffre toujours. Même un tas d'os peut
souffrir de remords et d'amour.
A l'époque, jeune,
fringant, je me la jouais, le vrai parigot. Je paradais sur mon
tracteur. Elles n'avaient jamais vu ça, un paysan en chemisette
blanche, chaque jour une nouvelle, repassée, les bras musclés et
bronzés. Elles étaient toutes folles de moi. Je roulais les
mécaniques, trop facile. A me voir, elles se couchaient, hop dans le
sac ! Mais, il a fallu qu'à mon tour je sois pris. Tu étais trop
belle, trop blonde, farouche, pas si facile. Raide mort amoureux, je
suis devenu. Tu m'aurais fait virer bourrique. Quand tu es partie,
j'ai cru devenir fou, je n'imaginais même pas qu'il était possible
de souffrir à ce point.
La ferme a de plus en plus périclité, la
maladie est arrivée après et la mort m'a pris. Avec toi, je serai
devenu centenaire c'est certain. Avant la fin, ayant avalé toute
honte, ridé, presque un squelette, je n'y tenais plus. Je suis allé
te voir. Malgré mes espoirs au cours des dernières années je ne
t'avais jamais rencontrée, même par hasard, nous n'étions pourtant
qu'à une vingtaine de kilomètres. J'ai lu la pitié dans tes yeux,
l'amitié aussi mais plus l'amour. Tu attendais autre chose qu'un
frimeur et un tombeur, c'était d'un homme dont tu avais besoin.
Devant toi, devant ce que tu avais réalisé durant toutes ces
années, cette grande maison, j'avais honte. J'ai vu pendant cette
rencontre l'étendue du désastre de ma vie. Un frimeux, un bon à
rien, un paradeux, voilà ce que j'avais été. Et il n'y avait pas
de deuxième chance.
mercredi 21 février 2018
"L'arbre en ville"
Un intermède entre les cimetières et les voix qui montent de là-dessous. Eux, aussi les arbres, j'ai bien envie de leur rendre la parole. Alors, en cadeau de Bourdeaux, là où ils sont en liberté, j'ai pondu ça, sur une dernière consigne.
"Qui n'a pas descendu le cours Fauriel après le passage des élagueurs sans ressentir une profonde tristesse assortie de rage, n'est pas destinataire de ce texte. Deux longues rangées -oserais-je nommer cela « arbre » ?- de tristes rectangles plats alignés comme des soldats au garde à vous, meurtris, mutilés, traumatisés après une bataille perdue, à l'image des immeubles rectilignes, aux arêtes nettes tirées au cordeau, ou de rectangles de poissons panés tous calibrés à la même dimension, allongés dans leur boîte. La vie a disparu. Où sont passées la poésie, la fantaisie, la vie proliférante ? Quels oiseaux oseraient se poser sur ces poteaux rigides où pas un rameau ne dépasse ?
"Qui n'a pas descendu le cours Fauriel après le passage des élagueurs sans ressentir une profonde tristesse assortie de rage, n'est pas destinataire de ce texte. Deux longues rangées -oserais-je nommer cela « arbre » ?- de tristes rectangles plats alignés comme des soldats au garde à vous, meurtris, mutilés, traumatisés après une bataille perdue, à l'image des immeubles rectilignes, aux arêtes nettes tirées au cordeau, ou de rectangles de poissons panés tous calibrés à la même dimension, allongés dans leur boîte. La vie a disparu. Où sont passées la poésie, la fantaisie, la vie proliférante ? Quels oiseaux oseraient se poser sur ces poteaux rigides où pas un rameau ne dépasse ?
L'arbre en ville est le
plus souvent taillé rigoureusement pour des raisons techniques ou
prétendument esthétiques qui ne suivent que les désirs de
l'homme. L'arbre n'a pas demandé à être taillé ; laissé à
lui-même, il s'étale, s'épanouit, nous surprend par ses qualités
d'adaptation et nous émerveille. Chaque année, malgré les
blessures et les tailles traumatisantes que lui inflige l'homme,
l'arbre se relève, bourgeonne, éclot, verdit, fleurit, foisonne, se
met en effervescence, resplendit et murmure des feuilles.
Pourquoi deux arbres côte
à côte n'entremêlent-ils jamais leurs branches ? Comment se
transmettent-ils les informations ? Le livre « La vie secrète
des arbres » de l'ingénieur forestier Peter Wohlleben ainsi
que le beau documentaire « La vie secrète des arbres »
apportent de nombreuses réponses.
Je ne peux m'empêcher de
penser à la conférence passionnante que Gilles Clément
(botaniste, paysagiste, entomologiste …) a donnée en novembre 2015
au Salon Tatoujuste à Saint-Etienne. Gilles Clément est fervent
défenseur du mouvement naturel de la nature. Le mouvement est pour
lui le premier principe que devrait respecter le jardinier. Là où
l'arbre vit en toute liberté, en toute spontanéité, nous sommes
fascinés par le génie végétal et émerveillés par sa beauté et
sa puissance.
Gilles Clément a proposé
à la Ville de St Etienne de cartographier les espaces publics ou
privés entretenus ou abandonnés, crassiers, friches industrielles,
bords de routes, talus de voies ferrées … Tous ces espaces de
transition, les délaissés, lieux incultes constituent un excellent
exemple d'espaces où l'homme abandonne l'évolution du paysage à la
seule nature.
Il est le théoricien du
tiers paysage. Le terme de tiers paysage se réfère -non pas au
tiers monde - mais à un tiers-état et aux mots de l'abbé Sieyès :
« Qu'est-ce que le tiers-état ? Tout / Quel rôle a t-il joué
jusqu'à maintenant ? Aucun / Qu'aspire t-il à devenir ? Quelque
chose ». Le tiers paysage nous incite à regarder le végétal
sous un autre angle, à passer de l'idée d'abandon à celle de
foisonnement de la vie et du génie végétal qui sans cesse invente.
Si on le compare à tous les territoires soumis à la maîtrise et à
l'exploitation de l'homme, c'est un espace privilégié d'accueil de
la diversité biologique. Le tiers paysage est un réservoir
génétique de la planète. Et pourtant, ce sont des lieux
dévalorisés, considérés comme négligeables et laids.
Pourquoi ne pas tolérer
un arbre naturel en ville ? Pourquoi ne pas laisser l'imprévu ?
Gilles Clément plaide pour que le politique organise la répartition
des sols de façon à ménager des espaces d'indécision ce qui
revient à ménager le futur. Le professionnel de l'aménagement
devrait inclure dans ses projets des parts d'espaces non aménagés
et même désigner comme espace d'utilité publique les délaissés.
Ce génie végétal, les
plantes l'ont mis au point depuis des millions d'années. Nous
n'avons donc pas à paniquer à les laisser à leur spontanéité, à
cesser de vouloir à tout prix les maîtriser. Les jardiniers ont un
rôle plus important à jouer que d'utiliser leurs technologies
destructrices, celui d'accroître nos connaissances du milieu et
d'être les magiciens qui permettront à nos villes de se libérer de
l'asphalte pour laisser place au vivant, aux inventions de la vie, au
génie des arbres."
Rédacteur : « FLAC »
Front de Libération des Arbres Citadins
Petite
bibliographie de Gilles Clément :
Le jardin planétaire
Une écologie humaine
Toujours la vie invente
La sagesse du jardinier
La dernière pierre
Terre fertile ….
cartographie # 8 Les morts qui parlent 2 Philomène C.
Philomène C.
Je suis morte
Mais j'avais l'habitude,
j'avais fini par trouver ça normal.
cette fois, c'est mon tour
Pas un pas de plus,
à mon âge à toujours vouloir avancer
les vieux os se cassent,
puis on reste allongé
on attrape des escarres
on a beau vous mettre des écorces d'orange molles
ça s'infecte
ça fait un mal de chien
Alors au bout d'un moment on abandonne la partie
on fait un dernier sourire édenté et on arrête le coeur
Les autres autour ils disent : "elle est partie, elle s'est éteinte, elle avait l'air si vieille," pourtant, pas tant que ça
on les entend encore pendant une heure ou deux,
on distribue les héritages, et on ferme
Ici je retrouve ma petite mère, ma jeune belle-mère, mon père et tous les autres, je suis plus vieille qu'eux tous, mon petit frère
Tous ceux-là je les ai accompagnés "à leur dernière demeure", tous ; j'ai suivi les cercueils tirés par le vieux cheval,
j'ai fait des prières, Dieu sait ce qu'il en a fait.
Je ne suis pas dans le même cimetière qu'eux,
on n'a pas la même adresse,
mon Frédéric, il est tout seul là-bas dans son carré des indigents. Qu'importe ?
Toutes ces morts et toutes ces souffrances m'avaient donné envie d'apprendre à soigner, à connaître les plantes qui guérissaient
pour soulager, essayer de garder un peu plus longtemps les autres.
Quand je gardais les moutons
seule humaine parmi eux, des heures durant
à contempler le ciel immense, les plantes, à observer les agneaux qui venaient de naître.
je filais leur laine puis je la tricotais
on vivait en vase clos
Un jour que je rêvassais sur mon rocher, je suis tombée dans les orties.
Les moutons n'ont même pas bêlé.
Ma chienne est venue couiner un peu et me lécher, ça m'a quand même réconfortée
je suis rentrée chez moi comme j'ai pu
je boitillais mais personne ne s'en préoccupait
la douleur à la hanche ne m'a plus quittée
j'étais pleine de boutons qui démangeaient mais on m'a dit que ça faisait circuler le sang.
ça n'est pas tombé dans l'oreille d'une sourde.
J'ai fait mes expériences, écouté, observé, mixturé, aidé comme j'ai pu, entre sage-femme et sorcière.
Quand je me suis mariée, j'ai bien essayé de jeter des sorts à Antoine, mon mari, qu'il arrête de me taper dessus et de me traiter de grosse truie ventrue,
je devais pas avoir les bons ingrédients.
Quoique ... On a fini par se séparer ... finalement ?
Parce que plus jeune, l'été j'allais dans les bois la nuit, cachée derrière les ronces, je voyais des choses.
Quand je racontais ça à ma petite-fille, celle qui venait garder les vaches et les moutons de mon fils,
Je voyais bien que je lui faisais peur.
J'ai légué tout ça à une autre du coup, pas bien grande non plus, les feuilles de choux sur le crâne, les drôles de prières qui ne marchent jamais, j'espère qu'elle fera mieux que moi.
je lui ai aussi raconté comment mon père y s'était fait écrabouiller la tête, je lui ai montré la photo. Elle a pas bronché.
Faut que je m'arrange pour lui dire
comment ça marche dessous, les ramifications, les taupes et les vers de terre
c'est pas qu'elle ait pas la main verte,
c'est juste qu'elle est emberlificotée dans les racines et que si elle continue, elle va étouffer.
Je suis morte
Mais j'avais l'habitude,
j'avais fini par trouver ça normal.
cette fois, c'est mon tour
Pas un pas de plus,
à mon âge à toujours vouloir avancer
les vieux os se cassent,
puis on reste allongé
on attrape des escarres
on a beau vous mettre des écorces d'orange molles
ça s'infecte
ça fait un mal de chien
Alors au bout d'un moment on abandonne la partie
on fait un dernier sourire édenté et on arrête le coeur
Les autres autour ils disent : "elle est partie, elle s'est éteinte, elle avait l'air si vieille," pourtant, pas tant que ça
on les entend encore pendant une heure ou deux,
on distribue les héritages, et on ferme
Ici je retrouve ma petite mère, ma jeune belle-mère, mon père et tous les autres, je suis plus vieille qu'eux tous, mon petit frère
Tous ceux-là je les ai accompagnés "à leur dernière demeure", tous ; j'ai suivi les cercueils tirés par le vieux cheval,
j'ai fait des prières, Dieu sait ce qu'il en a fait.
Je ne suis pas dans le même cimetière qu'eux,
on n'a pas la même adresse,
mon Frédéric, il est tout seul là-bas dans son carré des indigents. Qu'importe ?
Toutes ces morts et toutes ces souffrances m'avaient donné envie d'apprendre à soigner, à connaître les plantes qui guérissaient
pour soulager, essayer de garder un peu plus longtemps les autres.
Quand je gardais les moutons
seule humaine parmi eux, des heures durant
à contempler le ciel immense, les plantes, à observer les agneaux qui venaient de naître.
je filais leur laine puis je la tricotais
on vivait en vase clos
Un jour que je rêvassais sur mon rocher, je suis tombée dans les orties.
Les moutons n'ont même pas bêlé.
Ma chienne est venue couiner un peu et me lécher, ça m'a quand même réconfortée
je suis rentrée chez moi comme j'ai pu
je boitillais mais personne ne s'en préoccupait
la douleur à la hanche ne m'a plus quittée
j'étais pleine de boutons qui démangeaient mais on m'a dit que ça faisait circuler le sang.
ça n'est pas tombé dans l'oreille d'une sourde.
J'ai fait mes expériences, écouté, observé, mixturé, aidé comme j'ai pu, entre sage-femme et sorcière.
Quand je me suis mariée, j'ai bien essayé de jeter des sorts à Antoine, mon mari, qu'il arrête de me taper dessus et de me traiter de grosse truie ventrue,
je devais pas avoir les bons ingrédients.
Quoique ... On a fini par se séparer ... finalement ?
Parce que plus jeune, l'été j'allais dans les bois la nuit, cachée derrière les ronces, je voyais des choses.
Quand je racontais ça à ma petite-fille, celle qui venait garder les vaches et les moutons de mon fils,
Je voyais bien que je lui faisais peur.
J'ai légué tout ça à une autre du coup, pas bien grande non plus, les feuilles de choux sur le crâne, les drôles de prières qui ne marchent jamais, j'espère qu'elle fera mieux que moi.
je lui ai aussi raconté comment mon père y s'était fait écrabouiller la tête, je lui ai montré la photo. Elle a pas bronché.
Faut que je m'arrange pour lui dire
comment ça marche dessous, les ramifications, les taupes et les vers de terre
c'est pas qu'elle ait pas la main verte,
c'est juste qu'elle est emberlificotée dans les racines et que si elle continue, elle va étouffer.
mardi 20 février 2018
au cimetière de l'Oisans#3
3. La maîtresse.
Je me marre, je leur avais dit que je mangerai les pissenlits par la racine, ils ne m'ont pas cru, et pourtant je suis bien morte, mais c'est vrai que je n'ai pas l'aisance physique d'aller grignoter les abords des tombes.
N'empêche que mon livre me survit, et cela me surprend. Ecrire sur les herbes sauvages de nos vallées et montagnes, franchement, quelle idée! et aujourd'hui les gamins "travaillent" (comme on dit dans l'école moderne) sur mon "oeuvre". Ah cela me flatte bien !
J'y racontais la vie de nos pauvres villages, les famines, les maladies de la dénutrition, et notre unique recours aux herbes folles.
Si je pouvais, j'écrirai bien un nouveau livre sur nos tombes, les "vers sauvages" tiens !
Je suis en tout cas en bonne compagnie ; le Gaspard mais il se tait, c'est pas qu'il boude, mais il agit : ses seuls mots portent sur le nouvel agencement des tombes que la commune devrait envisager ; par contre, la Giselle, ah avec elle on papote tout le temps, éternellement ! et le père Maurice, toujours pas mal dans son genre. Ah si j'osais... mais il conserve son sale caractère, alors j'hésite encore. On verra. Les ragots de Giselle m'informent des prochains venus. On ne va pas manquer de choix, ah pour ça non ! quelques premiers choix. je patiente.
Ah je me marre, comme dans la vraie vie !
les morts qui parlent #1
Louis Adrien Albert DuLac
Et dire qu'après en avoir enregistré tellement,
de ma belle écriture, pleine de déliés,
c'est l'autre abruti qui consignera la mienne
moi qui inaugure la page des décès cette année.
L'an 1870 et le 10 du mois de janvier
à 3 heures du soir, par-devant Nous .......... Adjoint, à défaut de maire Officier de l'Etat civil de la commune de Saint-Martin de Fugères, arrondissement du Puy(Haute-Loire), ont comparu
..., son voisin, et ... son voisin...
lesquels nous ont déclaré que
Louis-Adrien Albert Dulac, propriétaire et maire de la commune, domicilié à Fugères et veuf de ...
est décédé à Saint-Martin de Fugères, le 10 du mois de février
à 1 heure du soir ; et après nous être assuré du décès, nous avons dressé le présent acte, que les déclarants, après lecture faite.
ont dit ne savoir signer
Il signera de sa signature illisible et toute tordue et fera sans doute de gros pâtés à côté.
il aura sa revanche, je l'ai tellement enguirlandé, le pauvre.
Il n'y avait plus grand monde pour suivre mon enterrement,
Déjà que je n'avais pas beaucoup d'amis depuis quelques temps
être maire ça attire les jalousies
Personne ne veut la place mais dès que vous l'avez, on vous critique
Et cette année l'hiver glacial et la grippe espagnole ont eu raison de la plupart de mes administrés.
Au mois de janvier 1864, je me souviens
3 membres d'une même famille, un père et ses 2 filles.
Il n'est resté qu'une paire de jumeaux de 5 ans et la veuve, la Reyne. Je crois qu'elle était là, juste derrière le curé.
Je me suis toujours demandé si elle aurait pas voulu, si j'avais un peu insisté.
Bon, ben moi qui rêvais d'Amérique, maintenant qu'ils en avaient fini avec leur guerre de sécession, j'aurais bien tenté ma chance même à 56 ans, j'avais encore de beaux restes.
Et puis ce qui se profile chez nous n'est guère encourageant non plus.
Ne me reste plus qu'à creuser un tunnel pendant la longue éternité qui me reste,
Avec toutes les saletés que j'ai faites, je ne suis pas près de monter au paradis.
Et dire qu'après en avoir enregistré tellement,
de ma belle écriture, pleine de déliés,
c'est l'autre abruti qui consignera la mienne
moi qui inaugure la page des décès cette année.
L'an 1870 et le 10 du mois de janvier
à 3 heures du soir, par-devant Nous .......... Adjoint, à défaut de maire Officier de l'Etat civil de la commune de Saint-Martin de Fugères, arrondissement du Puy(Haute-Loire), ont comparu
..., son voisin, et ... son voisin...
lesquels nous ont déclaré que
Louis-Adrien Albert Dulac, propriétaire et maire de la commune, domicilié à Fugères et veuf de ...
est décédé à Saint-Martin de Fugères, le 10 du mois de février
à 1 heure du soir ; et après nous être assuré du décès, nous avons dressé le présent acte, que les déclarants, après lecture faite.
ont dit ne savoir signer
Il signera de sa signature illisible et toute tordue et fera sans doute de gros pâtés à côté.
il aura sa revanche, je l'ai tellement enguirlandé, le pauvre.
Il n'y avait plus grand monde pour suivre mon enterrement,
Déjà que je n'avais pas beaucoup d'amis depuis quelques temps
être maire ça attire les jalousies
Personne ne veut la place mais dès que vous l'avez, on vous critique
Et cette année l'hiver glacial et la grippe espagnole ont eu raison de la plupart de mes administrés.
Au mois de janvier 1864, je me souviens
3 membres d'une même famille, un père et ses 2 filles.
Il n'est resté qu'une paire de jumeaux de 5 ans et la veuve, la Reyne. Je crois qu'elle était là, juste derrière le curé.
Je me suis toujours demandé si elle aurait pas voulu, si j'avais un peu insisté.
Bon, ben moi qui rêvais d'Amérique, maintenant qu'ils en avaient fini avec leur guerre de sécession, j'aurais bien tenté ma chance même à 56 ans, j'avais encore de beaux restes.
Et puis ce qui se profile chez nous n'est guère encourageant non plus.
Ne me reste plus qu'à creuser un tunnel pendant la longue éternité qui me reste,
Avec toutes les saletés que j'ai faites, je ne suis pas près de monter au paradis.
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lundi 19 février 2018
au cimetière de l'Oisans, #2
2. Giselle T.
J'ai toujours bavassé avec les clients de l'hôtel-restaurant, paroles enchaînées délestées de mon poids que je trainais à longueur de journée affairée aux travaux de la cuisine, du service, du linge, du ménage des chambres. Et ça m'a tuée.
Le Marcel, mon mari, me disait : arrête, tu les saoules les clients et après ils ne commandent plus notre Génépi !
On avait de franches rigolades avec les clients de passage et surtout avec ceux du village qui venaient boire le coup et faire les commères. Un jour, est arrivé le diable, oh, pas avec des cornes hein, un bel homme, bien habillé, un Monsieur de la ville. Il est resté presque six semaines à l'hôtel, seul. Peu à peu on a parlé mais j'étais intimidée au début. On a parlé, parlé et il se rapprochait un peu plus de moi, me frôlait. Un soir, j'ai accepté de monter dans sa chambre sous prétexte que... quand le Marcel s'était endormi hein. Et pis, ça a recommencé, recommencé. Il me disait que j'étais une Dame, que je méritais une autre vie, plus grande, qu'il m'amènerait...
J'ai cru. J'étais contente. Il me pressait de plus en plus de venir avec lui dans la vallée.
La dernière semaine, j'ai tout dit au Marcel. J'aime pas les mensonges. Il en est tombé de sa chaise, pis il est parti. J'ai continué le travail, il n'y avait que les touristes ce jour-là. Personne du village n'est apparu. Marcel avait certainement raconté l'histoire...
Quand tout a été rangé, j'ai préparé ma valise. Et je suis montée dans la chambre...
Le lit était fait. Pas de bruit. Pas de Bel homme. Un mot. L'émotion que j'aie eue en lisant la lettre ! Ben, encore maintenant ça m'en fait perdre la mémoire. Ca disait quelque chose comme un télégramme reçu d'une femme qui l'avait quitté et que c'est pour ça qu'il était venu se réfugier ici, que cette femme voulait qu'il revienne. Qu'il redescendait donc. Sans moi. Sans excuse. Sans baiser.
C'était bref. Un coup au ventre.
Je ne sais pas si c'est la peine ou la honte, mais un brouillard de larmes m'a envahie, pis un vide dans le creux du cerveau.
La honte parce que tout le monde savait à cette heure, et que ça devait bien faire des histoires dans les maisons. Pensez donc...
La trahison, pourquoi ne m'avoir pas dit, avant? Pas dit que sa pensée allait vers une autre?
Ca m'a brûlé.
Alors je suis allée au pont du diable à l'entrée du village. Dessous, avec la fonte des neiges, le ruisseau débordait, les vagues tourbillonnaient avant de se jeter dans le Vénéon en contre-bas.
Elle était glacée, l'eau...
J'ai toujours bavassé avec les clients de l'hôtel-restaurant, paroles enchaînées délestées de mon poids que je trainais à longueur de journée affairée aux travaux de la cuisine, du service, du linge, du ménage des chambres. Et ça m'a tuée.
Le Marcel, mon mari, me disait : arrête, tu les saoules les clients et après ils ne commandent plus notre Génépi !
On avait de franches rigolades avec les clients de passage et surtout avec ceux du village qui venaient boire le coup et faire les commères. Un jour, est arrivé le diable, oh, pas avec des cornes hein, un bel homme, bien habillé, un Monsieur de la ville. Il est resté presque six semaines à l'hôtel, seul. Peu à peu on a parlé mais j'étais intimidée au début. On a parlé, parlé et il se rapprochait un peu plus de moi, me frôlait. Un soir, j'ai accepté de monter dans sa chambre sous prétexte que... quand le Marcel s'était endormi hein. Et pis, ça a recommencé, recommencé. Il me disait que j'étais une Dame, que je méritais une autre vie, plus grande, qu'il m'amènerait...
J'ai cru. J'étais contente. Il me pressait de plus en plus de venir avec lui dans la vallée.
La dernière semaine, j'ai tout dit au Marcel. J'aime pas les mensonges. Il en est tombé de sa chaise, pis il est parti. J'ai continué le travail, il n'y avait que les touristes ce jour-là. Personne du village n'est apparu. Marcel avait certainement raconté l'histoire...
Quand tout a été rangé, j'ai préparé ma valise. Et je suis montée dans la chambre...
Le lit était fait. Pas de bruit. Pas de Bel homme. Un mot. L'émotion que j'aie eue en lisant la lettre ! Ben, encore maintenant ça m'en fait perdre la mémoire. Ca disait quelque chose comme un télégramme reçu d'une femme qui l'avait quitté et que c'est pour ça qu'il était venu se réfugier ici, que cette femme voulait qu'il revienne. Qu'il redescendait donc. Sans moi. Sans excuse. Sans baiser.
C'était bref. Un coup au ventre.
Je ne sais pas si c'est la peine ou la honte, mais un brouillard de larmes m'a envahie, pis un vide dans le creux du cerveau.
La honte parce que tout le monde savait à cette heure, et que ça devait bien faire des histoires dans les maisons. Pensez donc...
La trahison, pourquoi ne m'avoir pas dit, avant? Pas dit que sa pensée allait vers une autre?
Ca m'a brûlé.
Alors je suis allée au pont du diable à l'entrée du village. Dessous, avec la fonte des neiges, le ruisseau débordait, les vagues tourbillonnaient avant de se jeter dans le Vénéon en contre-bas.
Elle était glacée, l'eau...
Cartographie 8 : Les morts parlent #2
Angèle Gautheron : dite
« La Gèle »
Quelle belle vie j'ai
eue. Quand je les vois maintenant comment ils vivent … à vouloir
toujours plus, jamais satisfaits, toujours espérants, courants,
après quoi ? Moi, c'est une angine de poitrine qu'a eu raison de
moi, à 89 ans. Une belle vie. C'est ce froid qui montait de la rase
et moi, le cul dans l'herbe à guetter mes bêtes, ça m'a pris en
quelques semaines. Forte, costaude j'étais encore, ni une ni deux
comme un étau glacé, ça m'a étouffée. I disaient que la mort est
effrayante. Pas pire, c'est un moment à passer. Moi, je vivais sans
espoir, toute ma vie était là comme je l'aimais, j'attendais rien
d'autre, j'avais tout, l'air, l'eau, le ciel pur, l'herbe, les bêtes,
le vent, la famille, le toit sur la tête, chaque jour l'assiette
pleine, les enfants dans les jambes, le lait. Pas d'espoir alors pas
de peurs. Quand je suis passée de vie à trépas, ça été pareil :
pas d'espoir, pas de peur. Juste une grande lumière comme dix-mille
feux de la Saint Jean ; tu tombes, tu étouffes, tu tombes mais en
haut, tu vois tout, t'existes plus, y a plus rien du tout et y a
tout, à trois cent soixante degrés. Finis les petites misères,
rhumatismes, cors aux pieds, tous ces petits machins qu'essaient de
te faire croire que la vie elle est pas belle. Moi, je regrette rien.
Ce que j'ai aimé passer
mes journées dans mon pré, tricote par ci, appelle le chien pour
les bêtes, discute de là, les voisins qui passaient et tous ces
enfants à qui j'ai appris une maille à l'endroit, une maille à
l'envers. C'que je l'ai aimé cette vie-là. Les veillées l'hiver,
les hommes faisaient les paniers pour que nous les femmes en février
on y mette les bugnes ; le brûlot de marc qui dansait dans
l'obscurité et les cuillères qui se tendaient pleine de feu pour
réchauffer nos poitrails comme qui diraient des feux follets ; les
vendanges à l'automne, les tréteaux qui se montaient dans la cour, y avait pas assez de place dedans pour y manger tous ; l'été,
on remettait ça pour la batteuse et la scieuse, tous les prétextes
étaient bons. I me faudra bien toute cette vie éternelle pour
goûter chaque petit bout de cette vie-là.
samedi 17 février 2018
Cartographie 8 : Les morts parlent #1
Alphonse Ségantin :
Mais pourquoi veulent-ils donc tous
A tout prix que je sois mort ?
Dans ce cimetière de Pont-Evêque
La stèle porte bien mon nom et les
dates 1945-1995
Comme ils ne m'ont pas retrouvé
Ils m'ont porté disparu.
J'en avais assez de cette grosse femme
et de toutes ses jérémiades.
J'ai préféré disparaître.
J'ai mis les voiles dans le Sud de
l'Italie
C'est d'ici que sont tous mes ancêtres.
Planqué, comme un coq en pâte
Ici au soleil près de la mer :
Crotonne, Calabre, ça vous dit quelque
chose ?
La mer Ionienne devant moi.
Sans femme. Je bouffe du poisson tous
les jours,
Le soir j'apporte mon accordéon
Sur la terrasse de chez Germaine.
Ce qu'ils me donnent comme pièces
Me suffit largement pour vivre.
Ciao ! La vie de mort me va très bien
!
Ce qui me reste de là-bas ?
Mon premier amour
Elle avait onze ans, moi treize
Topo campagnolo
Il me trotte dans la tête.
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