mardi 23 novembre 2010

Petite chanson du soir, désespoir

Il arrive que la réalité ne soit qu'une foire aux racines nues, il arrive que l'image s'arrête alors que la vie continue et que cet instant épinglé sur notre rétine nous tatoue à jamais dans le coeur une sensation qui sans elle, aurait glissé sans ravage hors de nous, dans le sillage du temps et des instants, dans le cimetière des images non perçues.
il arrive que sous le duvet la croûte soit intacte, que sous la chevelure poussent des corbeaux. il arrive que sous le flot soyeux des lignes roussillantes plus personne n'enfouisse jamais ses mains, il arrive que sous la neige patientent les taupes endormies, les prochaines primevères, les salades composées.
Il arrive que les oiseaux écrasés soient plus présents photographiées que dans la vraie vie, parce que l'immobilisme qui les cloue au sol comme un papillon dans la boîte de l'entomologiste les cloue définitivement à notre regard, il arrive que les images soient plus pénétrantes que les caresses, il arrive que la vie nous en fasse voir de toutes les couleurs, et que parfois la couleur vire au cadavre, il arrive que les baigneurs ressemblent à des poupons  de plastique,
il arrive que dans l'eau s'enfonce Virginia Woolf, qui malgré sa grande douceur, le regard aimable de ses compagnes et compagnons, malgré les promenades au phare et mrs Dalloway, malgré les beautés et la magnificence de son intelligence par elle offertes au monde, il arrive que le désespoir de soi-même lui ait fait remplir ses poches de pierres et que sans qu'il n'y ait jamais eu de témoin pour la transmettre, on ait en soi l'image filiforme de la belle silhouette s'enfonçant lentement dans les eaux noires et glacées.
Et puis un jour il n'arrive plus rien

5 commentaires:

Linette a dit…

"Il arrive que sous la chevelure poussent des corbeaux"..."Il arrive que la couleur vire au cadavre"...c'est un chant de douleur et de désespérance mais si beau dans sa violence et dans sa force. Virginia Woolf pourrait être fière de toi!

Ange-gabrielle a dit…

Après avoir lu ton très beau commentaire sur "Jardin d'ombres", soeur, ma soeur, me saute aux yeux en premier sur la page, ta chanson du soir, désespoir, je ne voudrais pas qu'elle rime avec chanson du matin, chagrin, mais je crains que novembre, lui le veuille. Je suis touchée, très touchée par ce texte

Laura- Solange a dit…

Ce texte est superbe, je reste sans voix...

béatrice a dit…

bon les filles, il est temps que je revienne sur le blog pour faire mes commentaires!
ce soir je m'arrête juste sur celui de la môme qu'a le blues,( mais ça lui réussit) je verrai les autres les prochains jours; avant de lire le commentaire de linette je me disais justement que je voulais recopier ces mêmes phrases juste pour le plaisir:
"il arrive que sous la chevelure poussent des corbeaux. il arrive que sous la neige patientent les taupes endormies, les premières primevères, les salades comosées..."
voilà réécrire cette phrase(je recopierais bien tout mais bon!..)c'est mon commentaire.en effet chapeau virginia!

mais bon, c'est quoi ce procès que vous faites toutes à novembre? ses funestes anniversaire? sachez que je viens de fêter le mien hier toute seule comme un chien à regarder le brouillard et ben j'en suis pas morte ,ça m'a ravigotée! et ce soir on est allée avec nato voir un bijou de film belge en noir et blanc sur le suicide "please kill me" je vous le recommande si vous avez des états d'âme novembreux.
en ce moment je suis occupée à mettre au monde un blog d'images de mise en terre, je vous le présenterai avant fin novembre, mais vous promets de faire un tour ces jours ci sur vos textes.
et viva novembre!

Lìn a dit…

Alexandre Jollien, Le philosophe nu (seuil, 2010) : "me voilà violemment ramené sur la terre des hommes, sur la terre d'êtres qui tombent amoureux, se courroucent, s'attristent et s'aiment, qui désirent et méprisent, âmes de chair et d'os. Désarmé, chamboulé, j'entame mon expédition avec pour seul bagage un désir puissant de glisser un peu de joie entre mes esclavages" (p. 18)