jeudi 19 août 2021

Lettres aux hirondelles

Lettre de la 7° année

Chères hirondelles

"...   Votre vol est une prédiction contre ceux qui croient que la vie c'est l'ambition, c'est arriver à toujours plus, avoir toujours plus.

La vie, selon vos sages emblèmes, c'est la distance entre un dessin de la fillette dans un cahier et un autre dessin très semblable à celui-ci fait par une autre vingt ans plus tard et c'est aussi, comme il ressort de ce que vous dîtes dans votre fontaine de cartes postales, se souvenir d'un pull de telle couleur et le retrouver, longtemps après, sur un autre corps jeune.

... Vous êtes un battement de paupières, comme si, en bougeant les cils, vos ailes faisaient battre les cils du ciel. Quelque chose vous a soudain fait trembler, brisant la paix de vos pensées. 

Parfois vous vous obstinez à chercher quelque chose, la voisine d'avant peut-être, la jeune fille au parfum d'éventail.

... Vous êtes comme tous les rubans qui volent et vous mettez une cravate de fantaisie à la soirée entière.

... Comme en même temps qu'innocentes et joyeuses vous êtes maternelles, je vous ai admirées quand, produits de ces vols où vous divaguez et sautez à la corde, avant d'entrer au nid, vous apparaissez sous l'auvent, une libellule au bec, comme si, outre la nourriture, vous apportiez à vos petits un jouet.

... Elles ont, pour s'en aller, une heure précise de la soirée, moment plein de mystère, car si l'on cesse de les observer un quart de seconde, quand le regard revient, elles ne sont plus là. Elles se sont glissées dans nos enveloppes comme un tour de passe-passe, et dans les lettres que nous écrivons ce soir il y aura des hirondelles dissimulées.

Vous voyez bien que je vous connais et que toute ma sympathie, mes espérances et mon affection vous sont acquises."

Ramòn Gomez de la Serna,"Lettres aux hirondelles et à moi-même" André Dimanche Editeur (1° édition juillet 2006)

vendredi 13 août 2021

Lettres aux hirondelles

 Lettre de la 6° année 

"Mes chères hirondelles

... Ce qu'il y a de bien dans votre jeu c'est que, comme il doit vous maintenir en l'air et qu'en l'air on ne peut pas s'arrêter, c'est un jeu continuel, une hilarité sans trêve. Comme vous devez être fatiguée le soir.

Soyez bénies, vous qui nous donnez le fil pour sortir plus vite de l'hiver.

Les autres oiseaux traversent le ciel en volant, mais, vous, vous êtes de véritables amies qui nous consacrez une longue visite, comme ces enfants qui jouent dans nos jardins pendant que nous travaillons la fenêtre ouverte. 

Sur ce mouchoir de ciel-jardin vous jouez avec une balle invisible, avec une bulle de lumière rayée de bleu que vous emportez dans vos raids en une partie de football."

 Ramòn Gomez de la Serna,"Lettres aux hirondelles et à moi-même" André Dimanche Editeur (1° édition juillet 2006)

mercredi 4 août 2021

Lettres aux hirondelles

Lettre de la 4° année (extraits)

"Un autre printemps !

Voici que je vous ai vues revenir comme pour m'assurer que le monde tourne et que, par-dessus tout, le devenir persiste.

... Vous êtes la joyeuse écriture d'une lettre quand déjà l'humanité s'est faite au régime des condoléances et qu'il faut continuer à vivre et à avoir de l'espoir. ...

Je m'aperçois que vous êtes l'unique consolation de l'homme, l'affirmation tenace d'un doux anniversaire...

... Quelle joie d'aller et venir en quête de la nourriture à laquelle pourvoit le bon Dieu, et un jour vous connaissez la solennelle épreuve d'amener au bord de l'auvent ceux qui n'ont jamais volé, de les pousser à l'acrobatie décisive et de les voir tracer la courbe de pont suspendu de leur premier envol."

Ramòn Gomez de la Serna,"Lettres aux hirondelles et à moi-même" André Dimanche Editeur (1° édition juillet 2006)