mercredi 30 avril 2014

La femme à sa fenêtre hantée par tous les autres

Faute de pouvoir être au jardin par trop de pluie et de froid, je me suis amusée à utiliser tous les mots de la liste proposée par  Grand glaïeul, et voilà ce que ça donne pluie + consignes
 
"Comme chaque fois que le monde s'écroulait autour d'elle et qu'elle sentait qu'elle allait pleurer sur son sort, elle était allée s'accouder à la fenêtre. Les yeux braqués sur l'horizon, le triple vitrage lui renvoyait en flou un monde feuilleté, où les immeubles, les arbres, les nuages se superposaient, où l'écoulement du temps disparaissait, ne chassant pas sa tristesse mais la rendant supportable. Elle se diluait dans l'espace et le ciel et devenait la lumière même de la rêverie qui s'installait alors en elle. Que se passait-il alors ? Elle n'avait jamais tenté de l'analyser, elle se laissait envahir par les sensations, les images, portée par elles.
Elle vit de suite la petite fille qui tenait la main de cette vieille femme de 82 ans qu'elle connaissait si bien. La petite fille écoutait intensément la vieille raconter sa vie, comment à 7 ans, elle avait été placée dans une ferme pour y garder les chèvres parce que ses parents n'avaient pas de quoi la nourrir. La petite fille savait que lorsqu'elle serait bien vieille, c'est elle qui raconterait son histoire à la vieille femme redevenue alors petite fille. C'était ça le cycle des vies, ça elle l'avait toujours su. Elle avait toujours su aussi que toutes deux avaient été abandonnées à leur naissance, mais que ça on ne le disait pas, on le taisait, mais on le savait. Ces parents indifférents avec qui on vivait chaque jour n'étaient pas les vrais parents qui, eux, sont aimants et un jour tout le monde se retrouverait.
La dormeuse à sa fenêtre voyait les deux revenantes remonter, main dans la main, cette interminable rue montante, à petits pas, l'enfant tirant légèrement la vieille. Elles croisèrent l'homme séparé, qui depuis qu'il était seul ne décolérait pas et ne savait plus que torturer son petit chien affolé, moins sous les coups que par tant de détresse et de culpabilité chez cet homme qu'il aimait. L'homme se revoyait, jeune marié se projetant déjà dans une vieillesse à deux qu'il n'avait pas l'imagination d'envisager avec quelqu'un d'autre qu'elle, pas plus qu'il n'avait d'imagination pour projeter une vie savoureuse comme une amande à sucer, une vie à deux choisie par eux. Seulement elle et lui, vieux, se tenant par la main, son ambition n'allait guère plus loin.
La petite fille ne voulait pas de cette vieillesse-là, ça aussi elle le savait. Elle préférait se projeter discutant avec sa soeur, toutes deux devant une bouteille de vin blanc doux, qui lui semblait le comble du luxe et l'apanage des vieilles veuves sentant un peu la pisse et la douche oubliée. Ou encore avec sa cousine. Ca, les deux cousines se tenant par le bras, et riant tout en s'éventant parce que monter la côte les essouflait, c'était une image récurrente. Leurs doigts étaient un peu tordus par les rhumatismes à force d'avoir cousu pour les autres, faute d'argent suffisant. Elles cueillaient les fleurs dépassant des clôtures car leurs appartements étaient trop tristes et puis elles n'avaient jamais eu de jardin et estimaient qu'elles les méritaient bien ces fleurs. L'une avait épousé un intellectuel laid qui n'avait jamais travaillé, l'autre sur le tard un commissaire à la retraite, tous deux décédés pour leur plus grand soulagement, d'ailleurs n'était-ce pas dans l'ordre des choses, les hommes meurent plus tôt que les femmes, c'est bien connu. Donc, tout était pour le mieux et les préséances respectées. Bien sûr si elles avaient épousé un milliardaire, aujourd'hui elle ne referaient pas éternellement la même promenade car elles n'avaient nulle part où aller. L'une avait bien un fils, un fils de 40 ans, rendez-vous compte, un qui aurait pu s'occuper de sa vieille mère, mais les fils ne s'occupent pas des mères, enfin certains si, mais ceux-là, on n'en avait jamais vu dans la vraie vie, seulement dans les histoires que les autres racontaient. N'empêche que ce fils serait son héritier et c'est d'ailleurs la seule raison qui le faisait la visiter en coup de vent de temps à autre. Il avait, soit-disant, épousé une animatrice de télévision, une de ces femmes qui s'arrêtent au buste, qu'on a coupé en deux pour qu'elle rentre dans l'écran et dont on ne sait pas si elles ont des jambes, sauf sur Arte, oui sur Arte on les voit leurs jambes, mais elle, c'est sûr elle ne travaillait pas à Arte, d'ailleurs il ne la lui avait jamais présentée. L'autre avait rencontré son mari à un arrêt de bus, c'était tôt le matin. La femme le matin est encore fraîche, on le sait, elle n'a pas encore eu à accomplir les mille et une tâches pour être à la hauteur du rôle qu'elle et les autres attendent d'elles, elle a encore l'espoir que cette journée, oui justement celle-là sera différente des autres. Et lui, le seul homme à l'arrêt de bus l'avait vu arriver, conquérante, emplie comme une outre de forces de vie où il pourrait puiser et se rassasier et ainsi ils s'étaient souris et le reste avait suivi. Banale l'histoire, inutile de la conter dans les détails. Elle était femme de chambre, et ça lui avait plu, il l'imaginait bien dans la sienne, elle aurait été chomeuse, alors là c'aurait été une autre affaire.
Elle laissait ainsi son esprit rêvasser quand tout à coup, le téléphone sonna. Un collègue lui rappela qu'à 14h elle devait présider le jury de recrutement du futur documentariste pour la réalisation d'un film où un critique d'art et une analysante montreraient au travers d'exemples bien choisis les similitudes de leurs métiers. Et là, pendant les entretiens, elle pourrait, à loisir, reprendre sa rêverie. Ce n'était pas une suiveuse mais elle se rangerait à la décision des autres jurés, reconstruire son monde, recoller les morceaux et tenir une fois encore debout était vital.

jeudi 24 avril 2014

L'homme séparé et la femme coupée en deux

L'homme séparé est le jumeau vertical de la femme coupée en 2. Mais ce pourraient être 2 hommes ou 2 femmes, en tous cas c'est une histoire d'amour qui a tourné en eau de boudin.
L'un est coupé en 2 dans le sens de la longueur, 1 côté droit, 1 côté gauche, 1 côté cœur, 1 côté raison. L'autre est coupé en 2 dans le sens de la largeur. 1 côté tête, tronc et bras, 1 côté ventre et tout ce qui s'en suit, et tout ce qui en coule et en découle. De ces 2 corps séparés, on ne peut plus rien faire. C'est trop tard. Les morceaux ne se recolleront plus, ni ensemble, ni l'un avec l'autre.
Il en résulte des morceaux de viande, des amas de sentiments inutiles, des tripes offertes à l'étalage de la vindicte, et aux mouches. Il en résulte des chorégraphies monstrueuses, lorsque les 2 corps essaient de se joindre à nouveau. Mais ça décale toujours et de plus en plus, ça joint mal et ça fait des humeurs malignes qui suintent des cicatrices boursouflées.
Ce n'est pas beau à voir. C'est pathétique et un peu écœurant. Le Séparé se pare parfois de beaux vêtements qui l'assemblent un peu, donnent l'illusion qu'il est entier et qu'il sait où il va.Bien entendu il n'en est rien.
La Coupée en 2 se met des cataplasmes sur le diaphragme, respire à gros bouillons et à petites foulées, passe des coups de téléphone et s'entortille dans les fils. On dirait une paupiette de veau, un roulé de dinde.Elle se couche en boule dans son lit, s'enfœtuse sur elle-même et pleure, pleure pleure, se disloque. 
Au matin, elle ressort sa boîte à couture et se recoud à grandes aiguillées pour pouvoir continuer au grand jour sa vie d'Entière.
Au loin, le Séparé a remis son armure bien huilée et il avance en fendant la petite foule qui ne perçoit qu'à peine un petit cliquetis, un grincement de ferraille dans un balancements de membres à contrecourant.

Consigne du 23 avril 2014

à partir des titres de La petite foule de Christine Angot, il fallait choisir de qui faire le portrait.
voici un article du Monde qui parle de ce livre
LE MONDE : la petite foule de Christine Angot
et voici la liste proposée :que j'ai retenue :
La femme à sa fenêtre
la jeune chômeuse
le critique d'art
le milliardaire
les deux cousines
l'intellectuel laid
l'homme à l'arrêt de bus
le fils de 40 ans
l'analysante
la revenante
la petite fille qui tient la main
l'enfant
la femme de 82 ans
les 2 veuves
la dormeuse
le documentariste
l'héritier
la femme de chambre
le commissaire de police à la retraite
la jeune mariée
l'animatrice de télévision
l'homme séparé
la femme abandonnée à la naissance
le président de jury
la femme le matin
le petit chien affolé
le mort
la suiveuse
la femme coupée en deux.

La consigne, apportée sur un plateau ainsi que du jus de pêche de vigne était de Grand Glaïeul Gayet.

il était amusant de lire ensuite le texte de Christine Angot au regard du nôtre
Le tout chez Natô,
Etaient présents hormis la maîtresse des lieux :
Lin, MPB, GrandGlaïeul, Michelangelo, sans oublier Totoro, le ronronnant.
Avaient un billet d'excuse : Laura, dans son cloître, photo à l'appui, Linette, dans son canapé sur son lit de copies, Ange Gabrielle dans sa Cotonne. Les deux intermittentes le sont resté.
C'était une belle soirée, malgré la fatigue qui commence à peser parfois sur nos membres et nos cerveaux.


samedi 19 avril 2014

CONSIGNE du du 7/ 04.

Dans son essai "Dressing" (éditions, Verticales), Jeanne Sautière nous parle de son rapport au vêtement. Elle le fait en "disséquant" ce rapport en parties bien distinctes: -armoires de famille, -raccommodages, -voiles et suaires...
J'ai retenu le chapitre "armoires de famille" pour écrire notre rapport au vêtement: que cachent- elles ces armoires?, qu'en est- il du souvenir? qu'en est- il du meuble "armoire"? qu'en est- il de nos vêtements qui y sont entassés? dorment- ils, les cachons- nous ou cachons- nous notre corps sous leurs effets?