dimanche 29 avril 2012

"recomposition"

texte recomposé à partir des "exercices" de l'année et suite aux séances de lecture-travail:


Silencieuse histoire de ville, de voies, de monts, d'impasses et de demi-tours, dans le flux et les marées de nos vies. J’ai déménagé dix fois, tu as quitté la ville pour une montagne neigeuse dans une grande maison remplie d’enfants. Il y eu parfois des clairs de lune festifs, des rencontres pudiques. Alors nous émergions l’un à l’autre comme deux élégants souvenirs. Un jour, il fallu redescendre de la montagne. Tu m’as dit que tu étais comme le petit prince semant des cailloux de diamant pour retrouver le doux renard que tu avais perdu. La ville devint pour toi un désert sablonneux, brutal et sec. Tu disais qu’elle t’enserrait comme un serre-tête et que les statues de la place se moquaient de toi. Dans leurs poses lascives, leurs silhouettes fondantes sous la pluie te rappelaient celle du renard égaré que tu cherchais, et tu avais froid. Mes pas devinrent incertains. Un soir, il y eut une brutale panne électrique. Ces rues que je croyais connaître les yeux fermés devinrent étrangères. J’étais dans une ville d’Asie bouillonnante, sans éclairage public, sans le son des ordinateurs, des percolateurs, des alarmes, des salles de cinéma, des caisses enregistreuses. Sans lumière, la rumeur des voix  et des chuchotis se fit vacarme. Je crus devenir sourde. Plus tard, les odeurs s’élevèrent. Souffres et charbons. Cétones et essences. L’asphalte dégurgitait l’acidité du gaz et des vapeurs de tabac. Un crachin d’hiver commençait à tomber lentement. Tu étais à côté de moi. C’était comme une fin de monde sans aube. J’espérais le retour du soleil qui te redonnerait l’usage de la parole, de l’agitation, de la joie. J’espérais que la ville se laisserait de nouveau dévorer, dompter. Souillée mais pullulante. J’espérais la pluie qui ferait mourir le présent. Je te parlais de la pluie-confetti sous laquelle les corps s’affinent, les maquillages suintent, les masques s’avachissent. J’espérais que les jardins fanés renoueraient avec leur luxuriance. Tu me croyais.

Tu allais mieux.
Je distinguais à nouveau les façades orangées sous le lever du soleil, rayées par l'ombre du fil électrique. Illusion d’optique du contre-champ automnal. Ton corps diaphane s’épaississait. La légèreté du vent dans les tasseaux sifflait une sonate hip-hop improvisée. Il fallait remettre les mitaines, Vulcan ne chauffait plus. Les débris du feu se mêlaient à ceux des verres dans une gare abandonnée. L’horizon était clair mais gelé. On entendait au loin le sifflet d’un train fantôme. Un dimanche, je te montrai notre ancien quartier. Il était aussi fragile que moi, que toi. Ces immeubles qui connurent l’implosion, tu ne les reconnus pas. Les lueurs grises des fenêtres brisées, les cris étouffés dans les appartements, ces vieux sur un banc avec leurs poches sous les yeux, l’espoir des rires d’enfants, le chant grinçant d’un volet. Dans ce quartier bouleversé, tu me dis palper le désir des corps éreintés. C’était beau. Je te le dis, tu ne répondis pas. Je te racontai la place qui fut le parvis des grèves, le parvis du marché du dimanche matin, le parvis des fêtes de quartier, un parvis pour les manèges lors des vogues de printemps, maintenant un parvis dépeuplé, esseulé, un parking. Devant la tour, j’évoquai le saut de l’ange gisant douze étages en contrebas, dégoulinant de sang, tu changeas de conversation, j’en fus confuse. On repartit en humant les effluves des spécialités du cru dominant les relents de la pisse des allées, de la craie, de la javelle impuissante.

On rentra à la maison. Pour la première fois tu me contas tes voyages. Tu dis souhaiter retrouver le pont de Michel-Ange, et peut-être ce vieil homme assis sur sa natte, que tu regardas,  hors du temps. Un pont sans ombre ni jardin, un pont suspendu comme ta voix qui prononce ces mots joyeux. Il enjambait les siècles et les eaux stagnantes, le cimetière arménien, le cargo toscan et les villas coloniales. Ce pont, dis-tu encore, faisait marcher la tête en bas, alors tu t’agenouillais pour surprendre le vide, bras ouverts collés à des ailes invisibles. Tu distinguais des méduses dans les tréfonds, ton estomac avait faim, tu t’en souviens. Et puis, sans émoi, sans bruit, tu perdis de vue le vieil homme. Soudainement, tu me posas la question que je redoutais, que j’attendais, que je suppliais. La question qui nous fait reculer au bord de la falaise depuis des années, qui fait fermer les yeux la nuit pour ne pas voir les ombres grises. Il y a longtemps, dans la rue, dans notre vieux quartier, il te semblait entendre un nom sur ton passage, la "Grande Beausseigne". Tu ne comprenais pas. Ce nom t’habitait pourtant, s’incrustait malgré ton refus. Je te pris dans mes bras, te serrant très fort, trop, tes petits membres luttèrent pour reprendre l’espace. Pour adoucir ma maladresse, je te soufflai l’histoire de la taupinière que nous nous racontions tant et tant, avant, bien avant. Tu te souvenais cette quête pittoresque des parents-taupes qui avant engagé un détective pour trouver un bon mari à leur fille-taupe : ces maris présumés furent tour à tour un soleil merveilleux mais il s’éclipsait au moindre nuage, un nuage suave  mais il se délitait au moindre vent, un vent fort mais il disparassait aussi vite qu’il était venu... tu riais. Et tu me criais : « le mari-taupe est le meilleur, rappelle-toi ! Il ne s’envole jamais, ne disparaît pas, ne brille que par le gris de sa fourrure ».
Des gens t’appelaient la Grande Beausseigne, ne voyant pas ta grâce comme ils n'auraient jamais pu admirer le mari-taupe, ils se moquaient parce que tu es née trop tard, parce que tu demeuras dans mon ventre retenue, suspendue la tête en bas. Mes contractions ne contractaient que les nerfs des infirmières. Peut-être que le dehors avec le soleil, le vent, le nuage n’avait pas ta confiance. Tu t’agrippais aux étoiles, attendant le bon moment qui tardait. Ton minuscule corps n’était que langueur, alors on a cru que tu avais oublié de naître. On pensa à autre chose.  Enfin, un matin, vers 6h, au rythme du fleuve drainant des détritus, tu as glissé dans le lavabo tendu par la sage-femme. Surprise, elle a failli rater son geste. Tu exaltais ta chair de faïences blanchâtre et fissurée. Tu étais étoile et tout brillait dans la chambre.

Tu ne t’appelles pas la Grande Beausseigne. Souviens-toi toujours. Tu es Astrig. Les mauvaises langues ont crié dans le quartier que tu resterais fissurée. Tu ne compris jamais ce mot. Je ne te l’expliquai jamais. Bébé, tu faisais des bulles dans la baignoire. Vers deux ans, tu jouais à tourner sur toi-même jusqu’à tomber au sol. Tu chantais à tue-tête toute la journée. Tu parlais à tous et à toutes. Mais à l’école, les maîtresses n’ont pas supporté ces mots et ces chants de sirène. Elles m’ont dit qu’il y avait une grande maison remplie d’enfants, sur une montagne neigeuse. Une route solitaire conduit les gamins perdus vers ce refuge chaleureux. Certains petits sont adoptés par de doux renards. A moins que ce ne soit l’inverse. Et puis, un jour, l’enfant et le renard sont grands, le renard repart dans la forêt et retrouve ses frères et soeurs, l’enfant redescend dans la ville et se serre dans les bras de sa maman, il pleure, et puis il chante à tue-tête, il parle à tous et toutes, il fait des ronds et des bulles, et crache s’il en a envie.

Dans mes bras, tu es venue. Tu as pleuré plusieurs heures, sans que la faim et l’épuisement ne viennent à bout des sanglots. Ton visage était lourd sur mes genoux. Tes jambes repliées sur le canapé. Tu m’as parlé de ton renard, longtemps. Tu m’as réclamé des photos de mes appartements, de notre quartier, tu voulais que je te chuchote le nom des rues et de toutes les places de notre ville. Peu à peu, au rythme de ta sage lenteur, tu as relevé la tête. Tes sons étouffés se sont organisés: ils me promettaient un pont suspendu, là où les basiliques sans christ jouent à cache-cache, où on retrouverait le vieil homme, sans espion pour nous observer, sans médiateur pour nous rassembler.  Le ciel est courbe ce soir. 

jeudi 26 avril 2012

aile arrachée

conséquence de la précédente, ou de la tempête trop forte de vent qui sévit en ce moment

lundi 23 avril 2012

Printemps



La mer est juste derrière



 Enorme fleur contenant l'essence de tous les printemps, pour vous faire encore patienter

vendredi 20 avril 2012

Mon itinéraire-retour : 3° épisode

 
J'atteins la rue J Allemane où chaque emplacement d'une laverie de voitures est occupé par des gens qui astiquent, frottent, savonnent, aspirent. Derrière s'élève une cheminée décorée de motifs en biais, étonnant dessin sur cet objet que l'on croirait seulement utile, en fait signe de croissance, de richesse, plus il sortait de fumées noires, plus la ville se développait bien économiquement.
 
A cette heure, entrent et sortent de chaque immeuble des hommes seuls : c'est l'heure du pain ou de l'apéritif. Je tombe nez à nez sur une voiture entièrement rouillée, en mérite-t-elle encore le nom ?
 










Brusquement, dans le tournant avant les tunnels, un arbre, tout en fleurs blanches et quelques violettes cachées dans l'herbe verte et qui me sont révélées par leur parfum ; un merisier sans doute avec cette odeur de miel caractéristique. Quelqu'un, quelque part fait du feu. Une douce odeur de feu de bois envahit l'air tendre de ce matin de printemps. Au loin, des voix d'enfants et toujours les oiseaux en fond sonore, ininterrompu.
Trois « black », élégamment habillés, deux hommes, une femme, cravates, chemises et chaussures blanches s'engouffrent dans une allée en riant. En plein milieu des tunnels, nez en l'air, écrivant en marchant, traversant la chaussée en biais, je chute dans un trou. Brusque rappel sur la terre – ici, où la visibilité est nulle et la circulation presque autant, les rares voitures roulent très vite. Je l'ai échappé belle, ongles cassés, cheville douloureuse, mon bouquet de merisier sauvé, je repars.
Et ce ne sera pas le seul arbre en fleurs que je rencontrerai, rue Dombasle, après avoir retraversé la voie ferrée, d'autres arbres m'attendent. Assise sur une bite de pierre, yeux fermés; leur odeur sucrée m'entraîne loin, à mes pieds une bouche d'égout, mais c'est un murmure d'eau qui coule qui me l'a fait découvrir, j'étais déjà chez ma grand-mère paternelle au bord du Dolon. Une douleur à la main droite, celle qui m'a retenue dans ma chute me ramène ici ; difficile d'écrire lisiblement.
La Grande Bausseigne a ouvert toutes ses fenêtres et ses primevères et ses tulipes. Des anges traversent l'air du parc, un écureuil brun est même assis sur la balustrade de la terrasse.



Dans mon vieux jardin, des bouteilles alignées, plantées culs en l'air, délimitent les carrés. Tulipes, lys du Japon, jonquilles sont alignés au cordeau comme des poireaux, un merle picore la terre fraîchement retournée.









 
Il ne me reste plus qu'à remonter la rue J d'Arc, pour rejoindre mon jardin, havre parmi les havres.

mercredi 18 avril 2012

Mon itinéraire-retour : 2° épisode

 
6 Au bruit qui eut lieu, la multitude accourut, et elle fut confondue parce que chacun les entendait parler dans sa propre langue
7 Ils étaient tous dans l'étonnement et la surprise, et ils se disaient les uns aux autres : Voici, ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ?
8 Et comment les entendons-nous dans notre propre langue à chacun, dans notre langue maternelle ?
Les actes des apôtres, chapitre 2

 
Tout à coup, un forsythia en fleurs m'émerveille, un bout de guirlande de Noël, à ses pieds porté par le vent, fait briller son or dans tous ces déchets abandonnés, et puis plus loin, au soleil des pissenlits en fleurs, véritables tournesols buvant le soleil, quelques orties sortent de terre, de minuscules trèfles.
Un enfant turquoise passe poussant très fort du pied sa trottinette et rejoint un copain sur le parking. Quelques secondes plus tard éclate un pétard et un « gros con ».
Pour empêcher l'accès à un terrain vague entrain d'être aménagé, d'énormes blocs de pierre ont été alignés tout autour. Dans cet espace vide, de la terre retournée, des gravillons et en son centre, exact, un petit arbre en cage : huit poteaux de bois, quatre horizontaux, quatre verticaux l'enserrent, vaste point d'interrogation au centre de cet espace entrain de s'urbaniser.
Dans mon dos « Tatouage artistique » en lettres imitant une écriture asiatique s'affiche sur une devanture toute blanche aux stores métalliques baissés. A ma gauche, un immense Coluche avec lunettes et gros nez rouge regarde la rue.
Un bourdon vient me renifler, bien que les arbres soient peu nombreux et sans feuilles, ça gazouille partout mais je ne vois rien.


Plusieurs fenêtres ouvertes laissent entrer tout grand le soleil et le chant des oiseaux. Une femme arabe me salue, foulard rouge, djellaba et pantalon blancs, peau très mate, les bras tirés par deux énormes sacs de courses, elle rentre du marché plus bas, Place Bellevue. Elle est belle et c'est le seul bonjour pour le moment, rue de l'Egalerie justement.
Sur la rue du Mont, encore un parking asphalté en plein soleil.
Un homme jeune fume appuyé sur son camping-car dans lequel il a vraisemblablement dormi car le pare-brise est occulté et ouvre son blouson pour offrir son torse à la chaleur ; ici, un peu plus de piétons : femmes rentrant du marché avec leur caddie, hommes jeunes fumant se rendant sûrement « gratter » au PMU ou chercher leurs clopes de la journée, un homme bricole son moteur de voiture.
Tiens, une chaussure toute seule, là près de moi, en très bon état, y était-elle quand je suis arrivée ?
Dans une friche recouverte de papiers une jonquille, une seule, se dresse, à ses pieds, quelques plants de primevères lui font la cour et se prosternent et plus loin, là-bas, encore des pissenlits contre un pan de mur et une énorme bouillon blanc s'étalent.
Une jeune femme court, un vieil homme à casquette, qui tousse, porte sa flûte comme il porterait un enfant dans ses bras, un couple avec un énorme bouquet de fleurs, des lys enveloppés, une jeune femme entourée de ses deux parents s'approchent d'une voiture, la jeune femme donne un billet de dix euros à l'homme qui part à pied et les deux femmes montent dans la voiture. Un vieux monsieur, cheveux blancs, veste rouge, journal à la main, me regarde curieux ; c'est vrai qu'il faut en rester du temps assis sur une grosse pierre pour voir, entendre, écrire, et celui-là, tout gros, tout rougeaud avec son air renfrogné, son anorak à fourrure et son chien de traîneau blanc, comme il me regarde de travers … Je pourrais rester là des heures mais j'ai froid aux fesses et on approche de midi. Je n'ai pas accompli la moitié du trajet pour rentrer. Un tout jeune enfant, un doudou déchiré dans chaque main, est calé dans les bras de sa mère qui lui parle en une langue que je ne connais pas et qui m'émeut.

 

samedi 14 avril 2012

A L'APPROCHE DE LA VILLE. ESSAI VI.

Le lendemain et le surlendemain la ville est toujours là, bien vivante.
Pour l'atteindre, la route est large, mauvaise et le ciel brillant.
Tout ruisselle, tout grésille et le long ruban d'asphalte sanglote entre les vieux poteaux électriques, tannés par les vents du plateau.
Elle circule en voiture avec des amis. Où l'emmènent- ils? C'est l'ignorance.
Sur le bas- côté, la main gauche perdue dans les épis de blé, une forme dégingandée avance en boitillant. C'est sans doute celle qu'on appelle " La Grande Beausseigne". Des yeux en appel au secours dans un visage douloureux. Ils la dépassent en riant dans la voiture. Mais bientôt un virage puis plus rien.
Tout est plat. Devant eux, le site est désert et le ciel incroyablement bleu. Quelques éboulis mentionnent un habitat détruit.
Plus loin, encore plus loin à la lisière d'un bois, des murs monotones leur barrent l'horizon.
Ils s'arrêtent. Elle descend de voiture.
Le fossé est plus large et le fleuve verdoyant des mauvaises herbes et des orties égratigne ses jambes nues.
Emergeant d'un amoncellement de ronces et de faïences calcifiées, une porte à la splendeur déchue s'ouvre sur une pénombre inquiétante.
Il faut descendre deux marches, faire attention aux pieirailles et ses yeux s'habituent:
une allée de cerisiers rabougris
des chardons géants
un lavabo
une baignoire
des lambeaux de terres cuites comme des fruits tardifs abandonnés demeurés sous les arbres
une épuisette des papillons
une taupinière et une maison étroite, biscornue, rabougrie.
Pétrifiée, elle lève les yeux et sur la porte qui a gardé son bleu intense, elle lit ce nom " La Grande Beaussaigne".
Alors les murs dressés lui deviennent absurdes. Elle se sent sacrilège. Elle veut fuir. D'un pas mal assuré, elle évite les détritus, les débris cassants, les crottes quand elle entend le frémissement des herbes caressées par des pieds de soie.
Fugitive éphémère," La Grande Beausseigne" est entrée. Elle danse. Et les oiseaux brillants l'accompagnent et le ciel bleu resplendit incroyablement.

ESSAI V.

Ses journées sont remplies de l'aube à la nuit.
Tôt le matin, les pieds nus, elle tâte l'herbe maigrelette de la pelouse devant son immeuble aux façades écaillées. Elle s'est arrachée à la moiteur de ses draps en flanelle et grelottante, elle cherche les oeufs des papillons là où la végétation est en mesure de les protéger.
Les quelques fenêtres déjà éclairées lui sont autant d'ilôts de chaleur et de clarté dans le vent sec et froid.
Les premiers hommes déjà dehors sifflent sur son passage.
Et merde, pense-t-elle, ça commence fort. Même plus ce moment pour moi, rien que pour moi. Je vais la leur faire bouffer leur bite. Et je regarderai le soleil se lever pour moi, rien que pour moi!
La Petite Marandinière, voyait les choses en grand.
Mais à perte de vue, les barres grises ou brunes lui barrent la route. On a posé sur leurs murs les plus étroits des ibis roses chasseurs d'insectes et des martin-pêcheurs avaleurs de rêves.
Quelques buissons familiers, des papiers gras pour les fleurir, les élytres des grillons écrasés sur le sable des allées.
Ce qu'ils avaient dit avant, elle s'en contrefiche. Ce qu'elle veut, c'est son ciel familier, son décor inchangé mais qu'elle renouvelle sans arrêt sous le soleil, sous la pluie grise ou le brouillard d'automne.
Elle veut manger le monde et le mangera, elle le sait. Elle veut être étonnée tout le temps.
Le plus important, pour elle, c'est que les mecs qu'elle formera plus tard assurent et la respectent et les respectent toutes.
Les voitures sont encore muettes. Maintenant, elle danse sur le goudron. Les poches remplies de cailloux, elle danse son refrain, elle hume les odeurs du matin, charnues, parfumées par la nuit.
Ses lèvres sont rebelles, ses doigts sont gourds mais d'un geste assuré elle trace sur la vitre sale et embuée de l'abribus "Montchovet en cogénération" en grosses lettres majuscules et elle s'en va.

ESSAI. IV. UNE VILLE.

Elle dit qu'on est en haut très loin. On marche sur une petite place, dans un village jaune, démuni.
Elle dit aussi qu'au loin il y a un restaurant avec des femmes dessinées, des inscriptions sexuelles.
Et je l'écoute. Le temps est simple. Je suis dehors.
Ses mots, c'est comme une musique sans paroles qui sort de sa bouche, c'est presque rien, une perle turquoise , une petite lueur où sont brodés des adjectifs qui tourbillonne, tentaculaire au- milieu des collines.
Elle dit encore: Je vais au loin dans une grande ville du centre là où les raffineries plombent le ciel du soir moderne et beau, lave et volcan.
Je suis dehors. Le temps est simple.
Ses mots s'envolent dans le bruissement de la nuit.
Ce n'est pas autre chose, guère autre chose qu'un vibrato sur le cuir du vieux crocodile rouge sang qui gît flasque et détrempé sur la fange de nos solitudes.

mercredi 11 avril 2012

Parce que nos roues elles sont vieilles

 
Dans la ville le ciel est courbe.

Ce manque d'horizon où je contemplais lever et coucher de soleils,cette absence d'appels d'un lointain illimité, absence de lignes d'arbres, de montagnes ou d'eau dans laquelle se reflètent TOUT le ciel, me laissent anéantie.
Je pense à tous ces mois passés sans écrire, sans penser, sans lire comme une écharde dans le coeur, à tourner dans ma cage, petites griffes d'écureuil s'agrippant sans parvenir à esquisser un geste qui entr'ouvrirait l'horizon.

Le ciel est courbe, neutre, en étages.

En un sens, la ville est un bloc et plus encore au plus fort de l'été, quand la nature, elle, est ouverte. Quand j'ai perdu l'horizon, j'ai perdu les pédales.

Le ciel est courbe, neutre.

J'aurais dû tout faire pour ne pas le perdre, enfiler mes lustrines, refuser, partir plus loin, même seule. Maintenant les espions sont dans ma maison. Les plus dangereux : ceux derrière mon dos, et les plus à craindre parmi eux, ceux qui arrivent par derrière et peuvent simplement en tendant la main, se saisir de mon âme qui flotte un peu au-dessus de ma tête, me déposséder pour toujours de la seule force centrifuge qui reste encore en moi et me tient ensemble et qui peut-être, un jour me ramènera à la vie. C'est le vent de la ville qui me les a envoyés. Ce vent chaud pénètre jusque dans les coins les plus reculés alors ouvrir les fenêtres il le fallait bien, il faisait si chaud. Comment l'empêcher de s'immiscer, même fermées les persiennes ne sont pas parvenues à clore suffisamment l'appartement contre son intrusion malveillante.

Dans la ville le ciel est courbe, éloigné, neutre.

« Cê koa ces histoires d'horizon sans limite, d'appels du lointains ? » me disent les uns
« Tu cherches midi à quatorze heures » me dit ma soeur
« Parfois tu me fais peur »
Et tous d'entonner en choeur :
« Va donc voir un médiateur »
Pour sortir du marasme qu'ils disent.
Déjà lourde d'accablement, les boyaux tordus par diverses peurs, cette cachexie dont on me surcharge me parvient telle une décharge électrique. Grenouille dénervée, le choc provoque en moi un ultime sursaut, je gesticule et bredouille.
« Mais, parce que nos roues elles sont vieilles, elles ne savent plus rouler que dans les anciennes ornières. Vieux carrosse. Autre temps. Toujours le même. Elles ne savent plus inventer, oser, sauter les haies, s'envoler, elles ne savent que tourner sur elles-mêmes indéfiniment. Pour pas le perdre, mon horizon, pour vivre toujours avec mon immense perspective, fallait pas accepter de rentrer dans ce bloc. J'en suis maintenant prisonnière, le découvre, le visite … et commence à m'y habituer. C'est comme ça qu'on perd le nord ».

mardi 10 avril 2012

Ne pas se perdre

Dans la ville le ciel est courbe, éloigné, et c'est pourtant là que s'arrime la trace de ce qui n'est pas encore, en une déambulation hésitante de pensées - sorte de médiateurs pour sortir du marasme - lorsqu'on arpente ces lieux incertains, presque de désolation, ces lieux limites qui, telle une seconde peau, enveloppent la ville, la protègent ou l'étouffent; et quand bien même on essaie de saisir quelques bouts et bribes de cette urbanité, de ce bloc désarticulé où l'on se sent, même au plus fort de l'été, comme en dissonance, à chercher en étages ce ciel neutre que l'on souhaiterait secouer comme une nappe afin que retombent des petits bouts de vif, sur les  toits, les murs , les trottoirs comme des échardes dans le coeur, pour ne plus penser à tous ces mois passés sans écrire. En un sens pour ne pas se perdre.

mercredi 4 avril 2012

exercice de la séance du 29 mars, "alors nous sommes partis aimer ailleurs"


nous sommes partis aimer ailleurs

nous
ne voulions pas perdre /
refusions les espions, les médiateurs /
ailleurs
nous ne voulions plus écrire /
partis
autour de la ville qui devenait bloc
le ciel courbe /
aimer
l'été /
étouffés et sourds /
nos chemins se sont croisés, emmêlés, éloignés /
nous
ne supportions plus les échardes /
nous
n'habitions plus les mêmes étages
ne partagions pas la même cour /
ailleurs
nos pas patinaient dans les crevasses de nos roues /
nous
étions vieux
nous
étions mous /
partis
quand le parquet fut ivre d'être trop lustré
partis
quand nos visages eurent ressemblés à nos lustrines /

alors nous sommes partis aimer ailleurs.