J'atteins la rue J
Allemane où chaque emplacement d'une laverie de voitures est occupé
par des gens qui astiquent, frottent, savonnent, aspirent. Derrière
s'élève une cheminée décorée de motifs en biais, étonnant
dessin sur cet objet que l'on croirait seulement utile, en fait signe
de croissance, de richesse, plus il sortait de fumées noires, plus
la ville se développait bien économiquement.
A cette heure, entrent et
sortent de chaque immeuble des hommes seuls : c'est l'heure du pain
ou de l'apéritif. Je tombe nez à nez sur une voiture entièrement
rouillée, en mérite-t-elle encore le nom ?
Brusquement,
dans le tournant avant les tunnels, un arbre, tout en fleurs blanches
et quelques violettes cachées dans l'herbe verte et qui me sont
révélées par leur parfum ; un merisier sans doute avec cette odeur
de miel caractéristique. Quelqu'un, quelque part fait du feu. Une
douce odeur de feu de bois envahit l'air tendre de ce matin de
printemps. Au loin, des voix d'enfants et toujours les oiseaux en
fond sonore, ininterrompu.
Trois
« black », élégamment habillés, deux hommes, une
femme, cravates, chemises et chaussures blanches s'engouffrent dans
une allée en riant. En plein milieu des tunnels, nez en l'air,
écrivant en marchant, traversant la chaussée en biais, je chute
dans un trou. Brusque rappel sur la terre – ici, où la visibilité
est nulle et la circulation presque autant, les rares voitures
roulent très vite. Je l'ai échappé belle, ongles cassés, cheville
douloureuse, mon bouquet de merisier sauvé, je repars.
Et ce
ne sera pas le seul arbre en fleurs que je rencontrerai, rue
Dombasle, après avoir retraversé la voie ferrée, d'autres arbres
m'attendent. Assise sur une bite de pierre, yeux fermés; leur odeur
sucrée m'entraîne loin, à mes pieds une bouche d'égout, mais
c'est un murmure d'eau qui coule qui me l'a fait découvrir, j'étais
déjà chez ma grand-mère paternelle au bord du Dolon. Une douleur à
la main droite, celle qui m'a retenue dans ma chute me ramène ici ;
difficile d'écrire lisiblement.
La
Grande Bausseigne a ouvert toutes ses fenêtres et ses primevères et
ses tulipes. Des anges traversent l'air du parc, un écureuil brun
est même assis sur la balustrade de la terrasse.
Dans
mon vieux jardin, des bouteilles alignées, plantées culs en l'air,
délimitent les carrés. Tulipes, lys du Japon, jonquilles sont
alignés au cordeau comme des poireaux, un merle picore la terre
fraîchement retournée.
Il ne
me reste plus qu'à remonter la rue J d'Arc, pour rejoindre mon
jardin, havre parmi les havres.
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