Dans
la ville le ciel est courbe.
Ce
manque d'horizon où je contemplais lever et coucher de soleils,cette
absence d'appels d'un lointain illimité, absence de lignes d'arbres,
de montagnes ou d'eau dans laquelle se reflètent TOUT le ciel, me
laissent anéantie.
Je
pense à tous ces mois passés sans écrire, sans penser, sans lire
comme une écharde dans le coeur, à tourner dans ma cage, petites
griffes d'écureuil s'agrippant sans parvenir à esquisser un geste
qui entr'ouvrirait l'horizon.
Le
ciel est courbe, neutre, en étages.
En
un sens, la ville est un bloc et plus encore au plus fort de l'été,
quand la nature, elle, est ouverte. Quand j'ai perdu l'horizon, j'ai
perdu les pédales.
Le
ciel est courbe, neutre.
J'aurais
dû tout faire pour ne pas le perdre, enfiler mes lustrines, refuser,
partir plus loin, même seule. Maintenant les espions sont dans ma
maison. Les plus dangereux : ceux derrière mon dos, et les plus à
craindre parmi eux, ceux qui arrivent par derrière et peuvent
simplement en tendant la main, se saisir de mon âme qui flotte un
peu au-dessus de ma tête, me déposséder pour toujours de la seule
force centrifuge qui reste encore en moi et me tient ensemble et qui
peut-être, un jour me ramènera à la vie. C'est le vent de la ville
qui me les a envoyés. Ce vent chaud pénètre jusque dans les coins
les plus reculés alors ouvrir les fenêtres il le fallait bien, il
faisait si chaud. Comment l'empêcher de s'immiscer, même fermées
les persiennes ne sont pas parvenues à clore suffisamment
l'appartement contre son intrusion malveillante.
Dans
la ville le ciel est courbe, éloigné, neutre.
« Cê
koa ces histoires d'horizon sans limite, d'appels du lointains ? »
me disent les uns
« Tu
cherches midi à quatorze heures » me dit ma soeur
« Parfois
tu me fais peur »
Et
tous d'entonner en choeur :
« Va
donc voir un médiateur »
Pour
sortir du marasme qu'ils disent.
Déjà
lourde d'accablement, les boyaux tordus par diverses peurs, cette
cachexie dont on me surcharge me parvient telle une décharge
électrique. Grenouille dénervée, le choc provoque en moi un ultime
sursaut, je gesticule et bredouille.
« Mais,
parce que nos roues elles sont vieilles, elles ne savent plus rouler
que dans les anciennes ornières. Vieux carrosse. Autre temps.
Toujours le même. Elles ne savent plus inventer, oser, sauter les
haies, s'envoler, elles ne savent que tourner sur elles-mêmes
indéfiniment. Pour pas le perdre, mon horizon, pour vivre toujours
avec mon immense perspective, fallait pas accepter de rentrer dans ce
bloc. J'en suis maintenant prisonnière, le découvre, le visite …
et commence à m'y habituer. C'est comme ça qu'on perd le nord ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire