lundi 12 mai 2025

10 S'y noyer même

            

     
            





  



"à chaque fois que je vais dîner chez mes parents, j'en ressors transpercé par mon enfance" (Antonio Lobo Antunes) Livre de Chroniques

  

Un jour il faut se jeter à l'eau. Dévorer des yeux le bleu, l'important c'est de se fondre dans l'azur, faire partie du ciel, s'y noyer même, tout en douceur de coton.

Je promène ma vie dans des livres aimés, un labyrinthe de mots écrits par d'autres et qui clignotent à chaque carrefour pour m'indiquer une direction, qui si elle n'est pas la bonne, n'en sera pour autant pas maléfique. La mise en abyme de l'image est un oeil vorace qui m'aspire mais me nourrit au lieu de me manger. Un méli-mélo de surprises et de reconstitutions et je me laisse aspirer à plus de profondeur, quitte à étouffer, suffoquer même. C'est à mon tout d'écrire mes chroniques sur pilotis.

Dois-je freiner ? dois-je accélérer ? Dois-je m'envelopper de nostalgies ou émerger de ces ouates mortifèrement bleues ? Dois-je les dissoudre ? Comment assembler ces azulejos pour en faire une fresque intime à mettre entre toutes les mains ? les empiler façon château de cartes quitte à les voir se briser en d'autres figures qui me ressembleraient aussi ? Ainsi s'écrit un livre à petits carreaux, de ceux qu'on lit le dimanche quand on n'a plus le goût à rien.

A Lisbonne les tramways jaunes brinqueballent, je laisse les gondoles à Venise et je prends le premier vaporetto venu, tant de bateaux et si peu de rivages où jeter l'encre, tout me donne le mal de mère.

L'œil et la source /2 bis/ Incertitude


 

Je me fais un film. C'est tout. Je filme un arrêt sur image. Je filme le temps qui se pose. Je filme le lieu de la pensée. Le lieu d'avant les mots. Je fixe le silence autour. Je prends la photo du silence du lieu. L'espace est clos, même dehors. Enfin il se ferme. Il s'enferme Dans un halo, il se fige. Il se contracte avant de se diffracter. C'est un tout. Je déambule, je regarde et je fixe. Je vois et tout se fige. C'est mental. C'est encore flou entre voir et penser. Quelque chose est en naissance. Il y a de l'insensible. Et de l'intense. Une toile d'araignée, un reflet reposé, une idée sur un fil. La main peut écrire sans savoir ce qui va s'écrire. Un désir flou prend forme. Filmer le flou du désir. S'infiltrer dans le mouvement de cet ailleurs. Fixer ce qui n'est pas encore, cet éphémère sans mot. Je fais le film d'une pensée qui ne sait pas ce qu'elle pense. Je fixe l'incertain de l'instant. Dans une pensée vacillante. La pensée s'auréole et fait un travail d'équilibriste . Dans la perfection du cercle. Entre ciel et terre. Toujours. Elle se cherche. Elle se perd. C'est toujours un peu flou. Il faut tenir sur le fil. Aller lentement. Sentir sous le pied ce qui fait terre. Ce qui fait support de soi. La singularité d'être dans ce qui pourrait se nommer berceau. Et rapprocher les fulgurances. La vibration sous le pied se ressent. Au bord, l'abime. Et l'ombre aussi. L'horizon est encore trop lointain. Fixer le réel proche. Celui qui peut se toucher du doigt. Celui qui peut faire chuter. Ou se tenir droit. Promouvoir un équilibre. Une vision un peu plus nette. Même si l'on est dans un malentendu. Il y a des malentendus qui ouvrent une voie. Ou qui génèrent un choc. Ou qui explorent une forme de démesure. Se laisser entraîner sur ces rives d'aquarelle. Se laisser étonner, éblouir, déconcerter par cet esprit autre. Fragment après fragment. Avec l'aide d'une forme de hasard. Dans l'ignorance du comment çà nait, çà se pense. Çà s'écrit. Çà se filme. il se passe quelque chose d'insolite. On ne sait pas tout. Une voix s'énonce. Elle ne sait pas ce qu'elle dit. Elle va et vient. Elle émerge du flou. Elle cherche une issue Elle tente de se tenir debout. Elle est dans la tentative. Et joue avec la tentation. Elle tâtonne. Elle louvoie. Elle oscille. Elle balbutie. Elle est en devenir.

mercredi 7 mai 2025

L'œil et la source/ 8

 

 



 

et nous irons çà et là comme des âmes en peine



peut-être en fixant le regard sur un horizon dont on a depuis longtemps oublié qui en a dessiné la ligne

d'où venons-nous et où allons-nous ne sont plus des questions que l'on se pose désormais

ce sont les chemins de traverse que l'on emprunte

nous sommes loin dehors à nous laisser flotter

à chercher le chemin du poème qu'il reste à écrire


                          

celui avec ses images et ses tours de langue

les métaphores insérées dans l'arrière-pays de l'image

jusqu'à l'absurde parfois

et qui élargit l'étroit passage où nous nous tenons au quotidien

laissant ainsi le souffle se dilater

 


le chemin de traverse a la propriété de couper un lieu en le reliant à un autre par un chemin plus rapide à parcourir que le chemin initial

mais mes chemins de traverse ne sont pas des raccourcis

le but n'est pas d'arriver, mais de musarder, de perdre le temps qu'il reste à errer de çà de là en occultant le but final

à suivre une incertitude sensible




se tenir face à la mer dans ce que l'on peut nommer l'Ouvert

ou se laisser flotter sur l'eau d'une rivière les pensées en apnée ou en libre affinité, en naturelle attraction

vers l'ouverture d'un infini

vers une parole qui recueille

et qui s'étoile en tous sens, trace de beaux détours pour aller de soi à soi-même

de la dispersion à sa propre rencontre





derrière l'image il y a une voix qui se dévoile

une voix qui advient et qui voit venir

une voix qui écoute ce qui vient

une voix qui s'impose et impose le chemin à suivre

celui inattendu inespéré pas même imaginé



une voie qui invite à la méditation

 








lundi 5 mai 2025

 CHERCHER - VOIR  (9)




 

VOIR - CHERCHER où TROUVER  (9)

Ici de l'eau 
accouchée d'une étoile
encense la journée de
ses  soupçons dorés
perles d'amour au passant esseulé
gouttes de vie au chat
sur la margelle
enchantement étonnement
aux limbes des étés
lignes perpétuelles des bleus
réinventés
Là-bas des points tellement petits
tellement vivants
bras levés offrande impénitente
à l'eau-de-vie l'eau-de-là
sous-jacente  par-delà les nuages
courbure des corps
dédoublement des sens
dos de livres épinglés
sur lignes de la connaissance
ne pas courber l'échine devant le
poids des mots
prendre le temps
le temps de les apprivoiser
le temps de lire et de comprendre
pour aimer
aimer le feu qui coule sous la braise
aimer l'eau pour attiser
le feu
le feu du savoir tapi à l'angle des vagues
virgules cognitives du pouvoir des mots







 

CHERCHER - VOIR (8)


 

 CHERCHER - VOIR où TROUVER (8)

 Engrillagées  derrière les murs
de lave de feu de sang
et derrière l'impudeur de la
folie humaine le regard battu
par les lignes-frontières
les diagonales du crime
femmes accusées molestées dépecées
dans leurs chairs leur corps
anéanti nié renié
petit carré bleu jeté dans le reflet des vagues
fantasmes engloutis
les pieds liés
les poings meurtris
dans l'eau sournoise
clepsydre de la liberté
il n'y a pas de rivage pour entreposer ses rêves
pas de relief pas de possibles
pouvoir tourner la tête
suivre l'oiseau des yeux
s'enfuir trouer les murs
déchirer les tentures découper les tissus
tissus-habits tissus-mensonges
oser penser à un ailleurs
pour reconstruire l'ici

samedi 3 mai 2025

L'œil et la source / 1 bis / Implicite

 

Un roitelet à triple bandeau est venu toquer à la vitre. Regulus ignicapilla de son nom savant. Si petit, si léger. Il me gratifie de son chant, d'une suite rapide de notes aigües. Il reste un long moment à tourbillonner entre arbres, buisson de roses et margelle de la fenêtre. À nasiller, à babiller, à chevroter, à jaboter, à bafouiller, à chuchoter, à balbutier, à parler. L'oiseau insiste et persiste derrière la fenêtre. En moi cela cogne comme son bec sur la vitre. Il y a quelque chose qui voudrait se dire mais qui n'y parvient pas. Je ne connais pas la langue des oiseaux ni celle des morts. Dans le hors-champ, car il y a toujours un hors-champ à une photo, c'est une matinée d'octobre, et la veille le décès d'un ami proche. Et on pense à ce vers de Rimbaud c'est elle, la petite morte, derrière les rosiers, sans doute parce qu'on n'a pas les mots pour dire. La réalité, dont on ne sait pas grand-chose, est renversée. Les gestes que l'on fait ce matin-là sont automatiques, se figent par instants, et, avec lenteur, s'achèvent. Le corps est dans cet entre-deux. Le roitelet a heurté la vitre de son bec à plusieurs reprises, s'est réfugié dans un arbuste face à la fenêtre, puis, à nouveau, a reproduit son étrange manège, me laissant à l'intérieur pétrifiée. Juste une photo comme trace d'un non-oubli de l'instant, pour tenter de comprendre, pour le garder près de soi. On ne peut pas avoir oublié deux scènes similaires à des années de distance — l'oiseau alors était une mésange — venues contre la vitre tambouriner un adieu après deux décès. En une pensée magique, on se dit, que l'âme de Y. est venue me saluer avant son grand départ, et que sans doute, un peu de colère était en lui vis-à-vis de moi, à la vue de la virulence du bec, à juste titre il faut bien l'avouer. Je demeure dans le flou. Tout est flou autour de moi. Je suis floue moi-même. On voudrait suivre la route au-dessus du jardin, mais elle ne mène nulle part. Il n'y a rien à espérer. Le roitelet s'est envolé. Il a trouvé un chemin par où s'en aller, une cavité où se faufiler, un ourlet dans le temps et dans l'espace, un ailleurs. Il n'est pas revenu. Les mésanges, non plus n'étaient pas revenues. Il ne faut surtout pas rater cet instant-là, cette dernière rencontre, ce dernier signe qui se faufile entre les mailles du jour.Tout bascule si vite de la vie à la mort.




jeudi 17 avril 2025

8 qu'est-ce qui partage ? qu'est-ce qui rassemble ?

 


Dans la boue dans la fange dans le sel dans le sable des nuages

dans la mangrove d'où s'échappent les palétuviers

on marche sur la tête avec eux depuis bien trop longtemps

il n'y a jamais eu de paradis c'est du pareil au même

il suffit d'éprouver la sensation du merveilleux au moment où on le vit

Parfois il y a eu de l'eau

Maintenant la mer est morte

Parfois il y a eu la paix du renoncement

et maintenant il y a le manque

Parfois il y a eu l'été

Le bateau a jeté l'ancre

sans écrire son histoire

la barque stoppée net au bord des troncs pourrissants

le bateau a coulé au large des occurrences

Tout cela prendra fin

et les larmes et la peur

plus d'icebergs : tous fondus

des serpents venimeux

une croûte saumâtre

Horizon fracturé dans un jardin de plâtre

l'art du trait à l'ombre des abysses

Il y avait un toit au-dessus de ma tête

Une incroyable cathédrale gothique

Qu'est-ce qui partage ?

Qu'est-ce qui rassemble ?

L'expression de nos sincères adorations

mercredi 9 avril 2025

Images et Fragments

Après une séance d'analyse du travail déjà effectué sur nos sept premiers textes de la rubrique Images et Fragments, des observations nous entrainent à creuser davantage notre projet.

Concernant l’écriture, l’envie s’est manifestée de « pousser » notre écriture et peut-être de la faire évoluer. Dans une première étape, on va travailler sur une version 2 de chacun de nos textes, donc une réécriture totale à partir des 3 mêmes images que chacun a choisies. La consigne étant de faire évoluer la forme, d’écrire « autrement », sous une autre présentation.

L’envie est là également d’une troisième version possible pour aller vers la fiction. On y réfléchit, on garde cette ouverture possible pour la suite du chantier.

Concrètement donc, il devrait y avoir 3 versions de textes pour chaque série de photos. C’est un travail au long cours.

Concernant les images, on va mettre en place, comme la lexithèque que l’on utilisait auparavant, une photothèque collective où piocher dans les ateliers à venir.

Pour la prochaine séance, chacun apporte deux images et la troisième sera commune, apportée par l’une d’entre nous, histoire de diversifier nos sources.

C’est un travail nouveau que l’on mène, et on réajuste, on diversifie, on creuse, on s’entraîne, c’est le travail d’un atelier d’écriture. Rien n’est donné d’emblée, le questionnement est permanent.


mardi 8 avril 2025

7 prendre des vessies pour des lanternes

 

       

     



 Le nid que je vois n'est pas un nid, le nid est un boa le boa engloutit l'oiseau que je croyais venir nourrir ses petits dans son nid qui n'est pas un nid. L'image du chapeau n'est pas un chapeau mais un éléphant dans un boa.  De chaque côté de l'arbre où s'enroule la liane qui n'est pas une liane, il y a trois nids de caciques qui pendouillent. Des nids qui ne sont pas des nids, je ris, ce sont des arbres. Ils ne pendouillent pas, ils s'élèvent.

Comme mon kikiwi que j'ai vu exécuter un salto arrière pour rentrer dans son nid qui n'était pas un nid mais une liane qui n'était pas une liane mais un serpent, qui n'était pas un salto arrière mais un enroulement dans les plis du boa.

Je crois ce que je vois, ou je vois ce que je crois C'est en fonction de ce qui me raconte ; ce qui m'arrange, comme des lapsus visuels. Je vois midi à ma porte, même s'il n'y a pas de porte et même s'il est 7 heures moins dix. Comme le Petit Prince qui fait semblant de dormir sur le sable alors que par une magie quantique il s'est envolé rejoindre sa rose, je suis par mes yeux dans l'image qui est l'enveloppe de mon histoire à plusieurs dimensions. Je suis celle qui croque dans l'inconnu grâce à une pomme tendue par une liane à tête d'ange et à queue de flèche Et si j'ai envie de prendre des vessies pour des lanternes qui ne sont pas des lanternes c'est que j'ai décidé ainsi d'éclairer différemment mon chagrin mon chemin.

lundi 7 avril 2025

 CHERCHER - VOIR (7)

 

 VOIR - CHERCHER où TROUVER  (7)

Espérer des au-delà
Attendre
à l'horizon du monde
Derrière la ligne droite
franchir le bleu pour
découvrir
se découvrir
seul mais le regard vivant
Avoir envie de percer
les mystères-sorciers
Ensorcelée
mais refuser pour ne pas se laisser
dévorer
mais refuser la peur
Victoire cachée
dans les yeux de la nuit
ou du jour
Lichen sur la peau
manteau des certitudes
maladie acnéique
rongeuse du temps
Se faufiler tout de guingois
au tréfonds de la gueule
ouverte
S'accrocher aux dents comme
on s'accroche aux branches
S'ébrouer
jeter le masque du vivant
Percer la carapace de cuir
tendue
Et  saluer le ciel
toile de maître de gris drapée
rayons divins s'échappant
d'un espoir nébuleux
Et saluer le ciel
miroir de lumière

mercredi 2 avril 2025

L'œil et la source/ 7


 


 

 


 

des rideaux d'ombres blanches filtrent la vision d'être



l'avenir sera-t-il et le devenir

qu'en dira-t-on

on recherche l'équilibre

le futur n'en a pas

comment commencer à être ce qu'on n'est pas encore

 

                   


devenir vient du latin devenire

venir de arriver à aboutir à recourir à

alors on deviendrait parce que l'on vient de

donc ce n'est pas de nulle part

mais bien de cet enfant

qui a enfilé des ailes d'oiseau et cherché à voler

                                 

l'œil est plein de visions

l'un regarde vers l'avant

le second se tourne vers l'arrière

mais qui donc sommes-nous

et sommes-nous vraiment


                              

face devant

les entrelacs d'un avenir froid et vide

un devenir serti de force et de feu

haut-lieu d'intensités que l'on espère encore

sans peur de laisser traces

au-delà d'un paysage sombre qu'il faudra traverser


                                  


les lignes de fuite sont les creux où se projeter

ces chemins sans balises

lignes fractales où cela tourne cela bifurque cela bute cela s'interrompt

mais le retour pourrait-il être envisagé

et bue à nouveau la sève du jadis

pour parvenir à ce devenir



s'engouffrer sur des chemins de traverse et retarder l'échéance


                              


 

(Les deux photos du haut sont personnelles, la troisième est celle d'un tableau de Jérémy Liron Paysage 242)