dimanche 26 septembre 2021

Lettre aux hirondelles

 Lettre de la 12° année

"Mes toutes aimées,

... Le fait est que vous voilà et que vous êtes le joie du printemps... Demi-lunes noires, vous posez sur le ciel une broderie orientale ... Vous glissez sur le zéphyr bleu et quand vous effleurez les eaux lisses de l'étang vous les faites vibrer, comme si une note de musique parcourait la sensibilité du monde.

Pour peu que les hommes vous regardent - comme ils vous regardaient jadis -, ils apprendraient l'identité intemporelle du bien réalisé, du désintéressement ennobli en quenouille d'hirondelles, et ils comprendraient la disponibilité envers Dieu et son appel où l'homme s'envole, faisant des S et des cercles pleins d'ivresse.

Vos ailes s'étirent dans leur vol et vous vous imprégnez d'aube et de crépuscule, au point d'arriver au soir, volant plus bas, sifflant presque au ras du sol, comme faisant vos adieux aux soleil couchants ; vous serrant ensuite dans vos nids, car vous refusez qu'on vous confonde, ne serait-ce qu'un instant, avec les chauves-souris.

Vous renouvelant mes souvenirs, je reste votre confiant, votre constant Ramon"

Ramòn Gomez de la Serna,"Lettres aux hirondelles et à moi-même" André Dimanche Editeur (1° édition juillet 2006)   

Profitez-en,régalez-vous il ne reste plus que la 13° lettre, ou bien dites "ouf !" su vous en aviez assez. Moi, je ne m'en lasse pas, d'années en années.


vendredi 17 septembre 2021

Lettres aux hirodelles

Lettre de la 11° année

 "Chères hirondelles de la veuve,

Vous seules pouvez faire vivre à une veuve les fiançailles de son veuvage avec celui qui l'a rendue veuve, autre manière d'être une fiancée aux charmes secrets.

Conseillères de la veuve qui veut revivre son amour, il suffit que vous lui ameniez le souvenir du temps où il vivait, et je soupçonne que vous savez aussi bien tournoyer, comme si vous révisiez la partition de cette année-là, comme ceux qui cherchent à retrouver une valse ancienne au milieu de leurs papiers.

La veuve est votre soeur, elle est seule aujourd'hui à vivre les vols de la pensée, et vous reviendrez avec son vivant souvenir chaque fois que vous reviendrez.

Quelqu'un va vous attendre sur le quai du printemps, comme si vous apportiez la couronne première que vous avez posée sur le le bonheur de l'amour une soirée au balcon.

Vous aussi vous vous en souvenez, car vous transmettez tous les souvenirs de votre vie.

Donc, prenez soin de la petite veuve, venez la voir et, si vous pouvez imiter à nouveau ce tourbillon qui a scellé son destin, peut-être dans son deuil sourira t-elle pour la première fois.

Affectueusement vôtre.

Ramòn Gomez de la Serna,"Lettres aux hirondelles et à moi-même" André Dimanche Editeur (1° édition juillet 2006)  

samedi 11 septembre 2021

Maison, ma belle Maison.

     Malgré le silence des murs, par-delà le bruit sourd des objets disparus...

     Elle avait revêtu une combinaison orange; aider à préparer  un déménagement nécessite un vêtement de travail mais n'exclut pas un brin de fantaisie. Pour les chaussures en revanche, le choix était plus limité, les chaussures de sécurité excluant absolument toute décoration, elles étaient sombres, moches, nanties d'une inconfortable coque d'acier intérieure, d'une semelle noire inusable, fortement crantée. Le tout était accompagné d'une élégante paire de gants: dos vert en tissu, les doigts et l'intérieur de la main en caoutchouc bleuté, de ce caoutchouc qui vous permet de saisir un objet lourd d'une poigne solide et sûre.

     Le portail vert s'ouvre au premier coup de sonnette, brzz, dring, je le referme et ça fait cling et même un peu clang, j'embrasse du regard l'ensemble du jardin, la glycine qui commence à étouffer le poteau de ciment de la rue, la treille dont deux grappes ont été sauvées du mildiou, la viorne aux cloches orange, là-haut le bac du compost et le pied de consoude, le banc, le cerisier gelé cette année;  quelques asters rescapés de la coupe franche font tâches violette dans tout ce vert, un pot de basilic dont je tâte les feuilles "hum" en attente de nouvelle adresse, il devrait bien s'y enraciner, puis sur la gauche le potager qui a demandé bien de la sueur pour devenir permacultivé. A l'intérieur de mes gants les doigts me démangent, je me dis que ma combinaison orange va attirer les abeilles, mais c'est plutôt la chatte qui vient dans ma direction, complètement affolée par ce qui se prépare.

     Bien protégée dans sa combinaison orange et ses  gants en caoutchouc prêts à s'emparer des objets les plus sales ou glissants, elle ne sait pas qu'il y a des choses qu'elle ne pourra pas soulever et emporter dans le camion de déménagement. Toutes les conversations, tous les échanges ou lectures  à voix haute qui ont eu lieu dans cette grande pièce et que les murs ont recueillis avec passion et dont ils gardent trace pour, peut-être un jour être mis à jour par une personnalité douée de pouvoirs particuliers. En attendant ce jour, le silence est recousu et la maison vidée. La chatte savait pourtant, il suffisait de lui demander.

     Elle décide de fermer les yeux et de ne se servir plus que de ses mains, elle ôte les gants verts en caoutchouc bleuté et  tâte les différents objets qui l'entourent, reconnaissant chacun d'eux, juste au toucher. Après plusieurs minutes de ce jeu-là, ses mains saisissent un objet étrange:  elle a l'impression de tenir entre ses mains la maison même où elle se trouve en ce moment. Oui, le toit y est, ses tuiles; elle sent les rangées de fenêtres, trois niveaux, c'est bien ça, le nombre de fenêtres y est; là, la porte d'entrée et celle de la cuisine. Elle glisse sa main par une des ouvertures et sent sous ses doigts un petit personnage qui se démène pendant qu'elle-même ressent un vif pincement au bras. Affolée, elle a peur de comprendre.

     Mais quel est donc ce jeu de maison gigogne?
Elle était venue, pragmatique, le coeur sur la main au creux des gants en caoutchouc, prête à en découdre et voilà que les mots contenus dans les murs se sont tous précipités dans cette maison miniature qu'elle tient entre ses mains. Elle se croyait attaquée et mordue par le silence et la voilà inondée par la tendresse immense et incommensurable de cette cascade de mots offerts au fil du temps, des années par des lecteurs à voix haute ou des amis qui refaisaient le monde. Toutes ces paroles chuchotées, confiées, données sont par alchimie, Grande Oeuvre, redonnées an centuple. Quelle métamorphose inouïe!

     Et la maison soupire. Elle a le coeur serré mais aussi chaud au coeur. Elle sait bien tous ces mots. Elle va leur trouver une place-cocon, une place d'où personne ne viendra les déloger. Tiens celui-là "ensemble", je vais le cacher entre les interstices des pierres  de l'escalier extérieur comme quand ils gravissaient tous les marches et qu'ils venaient  me titiller sur la table ou au creux des fauteuils  de la pointe leurs stylos affûtés; et celui-là "amis", je vais le glisser dans l'entrebâillement des deux lattes disjointes. Je lui colle à la peau "encore" et "écrire"pour qu'ils comprennent  que le temps ne s'arrête pas maintenant. Et dans l'encoignure d'une fenêtre, elle froisse le mot "fous-rires", elle l'entend autour de la table, il sortira de son trou quand on ouvrira les battants, inattendu et éclatant. Et elle égraine des mots, des mots du coeur, de la tête, de la pensée, du désir, de l'envie. Et ses cachettes se remplissent à en bâiller. Elle croise ses doigts satisfaite de leur aide. Elle ferme les yeux heureuse du travail accompli.  Elle attend.
D'autres mots viendront, elle le sait, rieurs, jeunes, alertes, impertinents peut-être. Alors elle sourit.

    





jeudi 9 septembre 2021

Lettres aux hirondelles

Lettre de la 10° année

Mes chères hirondelles

"Je vous ai beaucoup lues et grâce à vous le monde m'est devenu modeste et compréhensif. J'ai compris, après avoir regardé vos louanges à Allah écrites en noirs caractères arabes, que le manteau raccommodé de ma grand-mère était beau et que quand elle préparait du "ragoût de vieilles viandes" pour souper, c'est qu'elle utilisait les restes du matin. Vous m'avez aidé à me résigner, car le sens de la vie est d'être résigné et de répéter toujours la même prière.

Et à quoi as-tu passé tout ton après-midi ?

A lire les hirondelles. C'est pour ça que j'ai des vacances.

Quand vous vous jetez vers le bas, il semble que vous alliez sonder les abîmes, et dans l'air vous vous effilez tant qu'il est des moments où l'on ne voit de vous que le tranchant."

  Ramòn Gomez de la Serna,"Lettres aux hirondelles et à moi-même" André Dimanche Editeur (1° édition juillet 2006) 

lundi 6 septembre 2021

Maison ma belle maison

 Entre un instant et un autre, malgré les brumes extérieures et le brouillard mental qui parfois se diffracte dans les sphères du cerveau, ne pas oublier de laisser son regard errer ici ou là, puis s'appesantir dans les entours.

Car c'est bien la meilleure façon de se laisser imprégner d'un lieu : le voir avec ses yeux de myope, le laisser vous pénétrer, vous impressionner comme une plaque photographique, le sentir, voire le goûter, le lécher. C'est bien dans cet état d'esprit de laisser-faire qu'elle se laissa conduire tout au long de cette c^te que la voiture gravissait lentement  comme si l'Agent voulait qu'ils l'adoptent, que les arbres les regardent, que les fleurs les saluent et leur fasse ces petits clins d'oeil qu'ils ne pourraient désormais plus oublier. Cette approche lui plaisait, elle avait enfin l'impression qu'on n'essayait plus de lui fourguer un bien qui ne lui correspondait pas.

La poignée du portail lui réchauffait la paume de la main, le soleil y avait dardé ses rayons toute la matinée, le grincement du vantail qui s'ouvrait grand pour elle, comme déroulant devant elle un tapis rouge, coquelicots, pivoines, roses trémières en face, le grincement était tel un bonjour prononcé d'une voix douloureuse, oui, vraiment, cette approche lui plaisait, elle continuait à lâcher prise et à se laisser impressionner, devant tous ces révélateurs de lumière et de vie pleine, les escaliers moussus, la tonnelle couverte de lianes, l'odeur délicate et entêtante tout à la fois, celle du muguet et du chèvrefeuille, puis l'odeur de la blanquette de veau qui mijotait sur le fourneau était venue se balader dans les sphères du cerveau, celles du souvenir, elle se retrouvait rue Richelandière, de l'autre côté chez sa grand-mère. Rue Jeanne d'Arc aussi, on savait mitonner le tendron de veau, apparemment, c'était bon signe ! le soleil léchait les lattes  du parquet ciré, et elle devinait, à travers ses yeux de myope, le reflet de la lumière diffractée par un probable miroir, qui portait fier, on ne savait où.

Ce miroir la fascinait. Chaque fois qu'elle passait devant, elle s'y regardait longuement. Elle savait qu'il la rendait belle. Et elle est savait qu'elle le rendait beau, lustrant, astiquant sans cesse les dorures légères qui l'entouraient, le protégeaient des agressions, venues d'un monde qu'il ne connaissait pas. Elle lui parlait, savait le rendre vivant. S'il avait pu lui parler, il lui aurait dit que derrière son tain étaient cachées des lettres, des lettres de sa mère, de sa grand-mère. Elle ne le savait pas ou  du moins pas encore. Jusque là il avait pu garder son secret.

Elle ne le savait pas encore ce secret, elle ne le découvrirait sans doute jamais, mais elle restait fascinée par ce miroir, pourtant ordinaire et qu'elle rendait beau, sans vraiment savoir pourquoi, comme si à force de frotter son tain, l'épaisseur du secret non su aller fondre et glisser entre ses doigts. Alors elle découvrirait ces lettres des femmes de sa famille maternelle, elle saurait leurs propres secrets.

Ce qu'elle ignorait c'était le bouleversement intérieur que provoquerait la lecture de ces lettres cachées, la profonde métamorphose qu'impliqueraient ces nouvelles connaissances, ces choses non dites, non sues, qu'elle sentait battre au fond d'elle, sans les identifier, sans les nommer, de ces choses ignorées, mais pourtant là, déjà là, déposées inconsciemment par des générations de femmes l'ayant précédé devant le même miroir.

Codicille

Non, en vérité, je n'ai pas de secret. Je suis une maison franche, chaque objet a son histoire, mais mes habitants vous les auraient volontiers contées. Le miroir et les mots qu'il cachait sont devenus cendres. Je suis une maison qui a connu ses malheurs, le feu et l'eau, mais qui a tant aimé abriter ceux et celles que j'y invitais. Je laisse partir ses occupants officiels avec un peu d'émotion car ils m'ont bien traitée et ceux qui les remplacent feront sans doute de même. Moi aussi je déménage en quelque sorte. Je pense vous avoir inspirés, tous, tête baissée sur vos pages qui ne sont guère restées blanches. Quand par hasard vous repasserez par ici, ne regrettez rien. Bien des choses doivent rester derrière le tain des miroirs, l'écriture continue, qui naît aussi des cendres, tant que vous en aurez l'en-vie !

Maison ma belle maison 4 septembre 2021 (suite)




 

Maison ma belle maison Samedi 4 septembre 2021





 

dimanche 5 septembre 2021

Maison, ma belle maison

 Indépendamment de nos désirs, c'est ici que nous avons échoué, après presque un an de recherches vaines et quand l'Agent a emprunté la rue, nous nous sommes regardés car ensemble nous avons aussitôt su que ça y était, peut-être cette fois-ci était-ce la bonne.

Elle, elle arrivait d’en-bas, avec ses longs cheveux roux évanescents, un peu essoufflée, mais sans plus, sa petite quarantaine impulsait en elle une énergie débordante et rayonnante. Un peu étonnée de voir cet agent face à elle – car lui, arrivait par le haut de la rue –, elle nous regarda, l’un après l’autre, cherchant à comprendre pourquoi nous lui avions donné rendez-vous et qui était cet homme qui arrivait en même temps qu’elle.

Elle se trouve maintenant devant un haut portail qu’elle pousse timidement d’abord puis énergiquement car il résiste. Comme s’il voulait retenir les secrets qu’il abrite mais elle sait lui parler, lui dire qu’elle ne vient rien voler, qu’elle vient juste voir ce qu’il en est du jardin, de la maison dont on lui a parlé alors il se décide à entrouvrir son battant, elle avance d’un pas, d’un autre, encore d’un autre avant d’être happée par la glycine qui déborde de parfums violets, d’exhalaisons divines, de grappes enivrantes qui la conduisent jusqu’aux marches de pierre jusqu’à l’herbe sauvage qui pousse nonchalamment sur la pente presque douce où les coquelicots voisinent avec les marguerites, où le camélia discute avec le rhododendron pour l’emmener là où les fleurs s’arrêtent.

Elle redécouvre l’emplacement des groseilles sans groseille à cette époque de l’année. Ce qu’elle ne sait pas c’est que la nuit apporte l’esprit des anciens maîtres du lieu dans ce jardin. Il hume le camélia, caresse les feuilles du rhododendron, fait des bouquets de marguerites, taille la haie. Puis s’en revient dans la chambre là-bas, aux premières lueurs du jour.

Elle pousse enfin la porte d’entrée et pénètre à l’intérieur de la maison, dans l’entrée un bureau d’écolier sur la droite, plus loin une porte qui donne sur une pièce où règne la lumière orangée du couchant et là, elle le voit, ses vitres tendrement reflètent cette lumière de fin de journée, la couleur de miel de ses portes pleines du bas donne la réplique au verre lumineux des portes hautes, le délicat dessin des boutons de bois sombres des tiroirs. Ce meuble, je le veux, se dit-elle.

Je le veux mais ne saurais où le mettre, chez moi il n’y a plus de place, ou sinon il faudrait que je me métamorphose. Ce sera pour une autre vie, une vie avec des fantasmes de vide, et de placards bien rangés. Ce meuble, il ira vivre sa vie ailleurs, et moi, je ne reviendrai pas de sitôt dans cette rue, deviner le jardin, les groseilles et le camélia. Je penserai à mes amis, et à tous ces moments lumineux et tranquilles, engrangés dans mon cœur.

Codicille: Je suis là bien arrimée au sol depuis des décennies, des hommes, des femmes ont vécu là pendant des années, ou bien venus pour une journée ou quelques heures; je les ai protégés, écoutés – il en fallait de la patience parfois – et je vais continuer mon travail de maison et conserver en dedans de mes murs un havresac d’images et de sons. Pour ces deux derniers, je crois que je les regretterai un peu car ils ont pris grand soin de moi et du jardin et ont ouvert leur porte à tant d’amis que longtemps leurs voix résonneront ici.

Maison, ma belle maison

Nonobstant le fait qu’entre déménagement et emménagement l’on doive trier, le plus difficile des trois n’est pas celui qu’on croit.

Un bruit singulier venu du plus clair de l’enfance remonte la rue Jeanne d’Arc. Il provient d’un humain, vêtu de formes informes, vagues, sans consistance ni couleurs identifiables. A intervalles réguliers son cri l’annonce et le matérialise. Il est arrimé à une charrette, comme un bœuf à sa charrue. Une charrue qui semble léviter, tout comme lui. Le curieux équipage s’immobilise devant le 26.

Il lui semble que le portail est resté ouvert, il ne reste qu’à le pousser un peu afin de faire entrer la charrue avec lui en faisant le moins de bruit possible et ne pas attirer l’attention, se glisser incognito dans le jardin et d’aller plus avant, abandonnant son équipage au pied des marches qui sillonnent le jardin, longeant une terrasse recouverte d’une glycine bien fleurie où il s’imagine s’allonger sur un fauteuil, puis il monte deux marches, découvre d’autres fleurs dont il a perdu le nom et dont il s’enivre, poursuit jusqu’au cerisier dont les fleurs jonchent un sol inégal, se cache derrière le tronc car il lui a semblé entendre du bruit mais non ce sont des voix dans le jardin voisin, et ici il lui semble bien que la maison est vide, alors il s’approche encore plus près, pose la main sur la poignée de la porte qui résiste, donne un coup d’épaule un peu énergique et pénètre dans ce qu’il nommera plus tard « belle maison » où il voudrait bien rester un peu, puisque cette « belle maison » semble inoccupée et qu’il aime les lieux inoccupés, alors il touche les murs, les meubles et il en connait un rayon sur le mobilier, alors il évalue le prix de chacun et finit par s’écrouler dans un fauteuil face à une gigantesque horloge dont le balancier s’est arrêté et qui le fixe.

Ce qu’il ignore est qu’il n’est pas le seul dans cette maison, il le sent mais il l’ignore encore ou feint de l’ignorer. Dans ce lieu, derrière lui précisément, à la cuisine, donc dans son dos vit un fantôme. On ne peut l’apercevoir que la nuit car alors son linceul blanc est phosphorescent. N’empêche que le reste du temps il est là, invisible aux yeux des humains, la plupart du temps il est là, attend, observe, tente de se faire entendre. Rares sont les humains qui possèdent cette capacité-là… mais lui, lui si différent des autres êtres humains, avec sa forme vague, ses vêtements informes, lui peut-être, espère le fantôme, et le voilà qui se met à rêver, tous deux se mettent à rêver, le fantôme espère, la forme humaine s’assoupit et les deux rêves viennent à la rencontre l’un de l’autre. Grâce à cette maison si paisible, de tels phénomènes exceptionnels arrivent à se produire, comme une prière qui aurait été exaucée.

Il sait, lui, dans ses formes informes qui le vêtent, qu’il peut désormais lâcher entièrement prise, il savait qu’il pouvait encore espérer, mais s’était résigné à ne plus être espéré, de quiconque, ni des humains ni des êtres, ni des arbres. Et le voilà espéré d’un fantôme ! Au petit matin, toujours face à l’horloge au balancier immobile, il ne sait pas s’il est toujours dans son rêve, dans les songes du fantôme, ou dans leur rêverie désormais commune, toujours est-il qu’il perçoit des myriades d’étoiles qui scintillent. Il lève la tête et voit ce luminaire insolite : des dizaines de filaments portant à leur extrémité des étoiles. Il s’y connait en mobilier mais bizarrement, ce lustre, il n’en avait jamais vu comme ça. Il n’a pas envie de l’évaluer, seulement de l’admirer et de rester fasciné, subjugué.

Il aimerait bien l’emporter avec lui. Mais sa charrette est restée tout en bas du jardin. Comment faire ? Il cligne des yeux une fois, deux fois. Il les ferme à nouveau et quand il les ouvre, les étoiles ont disparu. Le lustre descend lentement, tiré vers le bas par des filaments invisibles. Et une somme de vers luisants l’entraînent vers la porte. Il n’existe plus par lui-même. « C’est la métamorphose de la lumière » se dit-il d’une voix empâtée. Et il se rendort en souriant.

Post-scriptum 

La voix de la maison : Il était gentil l’homme aux formes informes mais j’ai dû le renvoyer dans ses propres pénates. J’en ai vu des humains, passant, partant, revenant, repartant. Suis lasse, mais lasse de ces remues ménages ! Ca suffit ! Le lustre, le fantôme, restent chez moi ! non mais !

 

Maison, ma belle maison


En guise de remerciements, d’au revoir, mais pas de parasol, les mots du cœur, une fois encore à la rescousse.

Elle est là, petite et timide, dans la nudité de ses dix ans, des couettes qui battent la mesure quand elle commence à grimper dans cette rue qu’elle découvre et trouve étrange, un peu austère, bourgeonnant de solitude, ce qui n’est pas pour lui déplaire. Un chat traverse la rue devant ses pieds et la fait frissonner. Elle sait qu’il lui faut presque rejoindre le sommet de la rue (ses parents ont écrit le numéro sur un bout de papier) avant de trouver le portail métallique que désormais elle devra pousser pour entrer dans sa nouvelle maison qu’elle n’a pas encore visitée.

Elle s’appelle Chloé, ses parents ont décidé qu’ils devront désormais vivre ici, lui ont expliqué qu’elle aurait un grand jardin, fini le balcon exigu, les voisin du dessus qui vous arrosent en fin de journée, en ouvrant le portail elle est déçue, des escaliers, du béton, mais son petit menton pointant vers la première marche, des roses blanches la saluent, à droite les mêmes mais rouges l’attrapent par la manche et lui font esquisser un sourire puis les asters mauves et jaunes, et la glycine immense avec son gros tronc noueux, et une vigne, un jasmin lui picote les narines tandis que les clochettes de la bignone s’agitent à toute vitesse pour la saluer, son sourire gagne tout le visage, un chat se roule au bas d’une butte odorante, exceptée le persil qu’elle connaît, toutes sortes d'autres herbes se faufilent jusqu’à atteindre  toutes les neurones de son cerveau et toutes les fibres de ses nerfs, mais ce n’en est pas fini, à droite un gros arbre, mais oui, ce sont des cerises, ses fruits préférés et puis… et puis d’autres escaliers que borde un camélia rouge et une spirée odorante, elle se baisse, sollicitée de toute part et porte quelques petits fruits rouge à ses lèvres : des fraises des bois, plus loin, en haut un banc lui tend les bras, elle n’ira pas encore, pas tout de suite, pas si vite, il y a encore tant à voir, à respirer, à humer, à se régaler.

Chloé ne sait pas où donner des yeux, des oreilles, tant et tant de choses, de petits êtres câlins et doux qui la frôlent et l’ont déjà adoptée.

Elle va rentrer dans la cuisine inondée de soleil, ses parents lui ont montré des plans, des photos, mais ils ont omis de lui parler d’une pièce qui se niche derrière une cloison. Mais peut-être eux-mêmes ne savaient-ils pas.

Et pourtant cette pièce est importante, peut-être même est-ce l’élément central de la maison.

Chloé ne sait pas encore quels trésors cette pièce toute mansardée va distiller peu à peu pour elle.

Un cadeau qu’elle va déguster jour après jour, les murs vont lui chuchoter des mots du cœur, qui viendront encore et toujours à la rescousse, qui lui permettront d’adopter son nouveau lieu de vie, qui lui permettront d’oublier le balcon exigu et les voisins du dessus, et de garder dans son cœur la petite voisine aux secrets partagés.

Chloé frôle la cloison, redescend les marches quand elle voit juchée sur une étagère qu’elle n’avait pas remarqué jusque là, un drôle d’animal. Elle s’approche. Mais oui, c’est bien d’une poule qu’il s’agit ! Et tricotée ! Elle n’en croit pas ses yeux ! La poule est habillée de violet et d’orange, froufroutante à souhait comme pour aller au bal. Elle attend qu’on l’invite, tire sur sa jupe à volants, esquisse un pas de deux et regarde dédaigneusement cette petite chose qui tend les bras pour l’atteindre.

Chloé attrape la poule tricotée, mais celle-ci se métamorphose en dizaine   dizaine de poulettes, verdoyantes, feuillues, en chocolat et en faïence, en sucre et en lampions multicolores. Chloé n’en revient pas et ouvre son large sourire sur une certitude. Oui. Maintenant elle sait. Elle sera bien dans cette nouvelle maison aux allées sans fin, au jardin sans fond ni barrière. Elle sait et n’a plus peur.

L’histoire de Chloé est révélatrice du lien qui unis  la poésie et l’enfance, aux aguets, saisie par un grand vide, elle s’accroche, elle se laisse pénétrer par les émanations du lieu, elle s’agrippe aux choses qui l’interpellent, le chat, les fleurs, la poule, les poules ; c’est ce que m’a raconté la maison que nous allons laisser, à d’autres (appelons les… Chloé).

Maison ma belle maison

 

En dépit du ciel bleu, les campanules sauvageonnes clignent fièrement de la corolle.

Il songe à les prendre en photo. Mais pourquoi figer leur nature libre sur pellicule ? Et puis il est là, dans cette rue montante, devant le portail où il a rendez-vous pour l’achat d’une grande bibliothèque bleue, verte et rose. Il ne sait s’il peut sonner car il est en avance. Il envisage de sortir son paquet de cigarettes, renonce, car il vient de se rappeler qu’il a arrêté de fumer il y a vingt-cinq ans.

Plutôt que de rester figé à attendre, il sonne, comme par enchantement la porte s’ouvre tandis que tombant du ciel une voix céleste et joyeuse proclame : « Montez ! » timidement il s’avance jusqu’à la dernière marche d’un escalier coincé entre maison et jardin, l’escalier contourne une vigie en bois et verre collée au flanc de la maison, des rosiers parfumés bordent les marches par endroits, jusqu’à la porte de la vigie qui semble être une cuisine, « entrez » dit la voix céleste mais joyeuse, ne voyant personne il s’avance jusqu’à la porte de ce qui lui paraît être un grand séjour encombré de cartons empilés, la voix céleste toujours joyeuse semblant sortir de derrière un mur de carton, lance enfin « je suis là ! »

Quand il a lu l’annonce sur Le Bon Coin, l’acheteur de la bibliothèque verte bleue et rose a tout de suite répondu à l’annonce. C’est exactement ce dont il a besoin. Il n’est jamais venu dans cette rue. Il n’habite que depuis peu à Saint Etienne. Rue Jeanne d’Arc, ça le fait marrer, il adore ce personnage qui surgit régulièrement dans sa vie. La dernière fois c’était avec le film « Jeanne », qu’il a adoré. La voix joyeuse ressemble à celle du film. Bien sûr, à chaque fois, ça finit mal, il y a le feu. Il ne sait pas ce qu’il y a eu ici, aussi, un incendie, personne n’est mort heureusement, mais parfois les meubles rescapés se souviennent.

Il se tient devant l’objet qu’il est venu acheter et qui lui convient bien. Cette bibliothèque est grande, les mesures annoncées sont conformes, il ouvre les petites portes du bas et trouve coincées entre le fond d’un tiroir et l’arrière du meuble quelques feuilles légèrement noircies sur leurs bords, qui semblent très fragiles et dont il arrive avec peine à déchiffrer quelques mots : l’arbre pousse les ombres/ le vent fait des accrocs/secouer ce qui traîne encore/ il y a un tas d’osselets / à l’envers des mots/ les lubies de l’ombre… Il range délicatement ce qu’il nommera un trésor et emporte la bibliothèque pleine de couleurs de mots.

Ce que l’histoire ne dit pas, c’est comment il emporte la bibliothèque car il est arrivé à pied, les mains dans les poches en sifflotant. Comment peut-on à ce point être innocent, tête en l’air ou insouciant pour espérer emporter une bibliothèque de cette taille et de ce poids sur ses épaules, dans ses bras, voire dans sa poche ? Les dimensions étaient pourtant clairement mentionnées. Hé bien moi, la narratrice, je vais vous le révéler, je peux lever le suspense puisque l’histoire s’achève là : il l’a tout simplement longuement regardée, puis touchée, caressée, a fouillé ses moindres recoins, l’a sentie, humée, humectée de sa langue. La bibliothèque a soupiré, s’est pâmée et dans un doux murmure langoureux -tout à l’opposé d’un bruyant orgasme- a eu lieu la métamorphose : il l’a prise entre le pouce et l’index de sa main droite et l’a délicatement posée dans le creux de la paume de sa main gauche. C’est ainsi qu’il est parti et l’a emportée.

Codicille : moi, la bonne vieille maison du 26 de la rue Jeanne d’Arc, qui en ai vu des vertes et des pas mûres, je ne sais pas ce que je vais voir ensuite, mais je pense presque malgré moi, que cet acheteur de bibliothèque est un faux naïf, il savait bien qu’il pourrait emporter cette bibliothèque tricolore dans le creux de sa main gauche.

Mais ce qu’il ne savait pas, c’est que ces feuilles légèrement noircies, coincées au fond du tiroir, allaient, contre toute attente, lâcher prise et offrir leur poésie- trésor. Il était temps pour elles, de s’épanouir au grand jour !

Maison, ma belle maison

 Nonobstant la surprise induite par la proposition, le plaisir de laisser courir le stylo sur la page presque blanche (hormis les deux visages, l'un vert, l'autre bleu, se faisant face en bas à gauche de la dite page), le plaisir d'écrire était bien là, fidèle au rendez-vous.

Et elle, elle était là dans la rue, arrivée quelques heures plus tôt. Comment ? Elle ne le savait pas encore. Hébétée. Le regard dans le vide. Elle le laissait croire. Ecrire. On le lui avait dit. Qui ? Quelqu'un au téléphone. Ecrire, pourquoi ? Elle s'était laissée guider par cette petite voix intérieure. Elle parlerait des murs. Elle écrirait un jardin, des odeurs. Elle verrait bien. Ecrire, le mot la fascinait même si là, elle ne savait pas ce que l'acte allait signifier. Elle ouvre le portail, fait quelques pas dans l'allée, écoute un instant le son de la radio provenant du bureau sur la gauche, continuant quelques pas encore suivant les hauts murs de la maison, tandis que son regard redécouvre le jardin et la terrasse ombragée, poursuivant sa marche plus lentement dans l'allée, une allée qui n'a plus de limite sinon celle qu'elle décidera de lui donner, au cas ou si elle le souhaite, mais elle se dirige vers le fond du jardin qui n'a plus de fond, un fond effacé laissant place à un paysage qui reste à dessiner de rivières villages montagnes prés de lavandes, de marchés et d'antiquaires, le jardin n'a plus d'allée ni de retour en arrière, ni de bifurcation ni d'angles morts, le jardin trace sa route. Elle la suit.

Laissons pour un moment notre héroïne dans cette expectative émue qui précède parfois l'écriture ou tout autre acte créatif. Elle ne sait pas ce qui l'attend vraiment, elle croit qu'il s'agit d'une proposition classique, on vous fournit un ou plusieurs textes, un ou deux thèmes et libre à chacun de se prendre pour Rimbaud, Mauriac, Claudel ou Jaccottet ... Emmaz. Elle sera très surprise par ces textes où les feuilles s'envolent, s'additionnent, se croisent pourquoi pas se soustraient.

La route s'avance à présen dans la maison et elle la suit. Les murs gardent la présence des tableaux décrochés. Elle se souvient du grand tableau noir et rose-rouge de l'amour mais préfère ne pas s'attarder sur ce fantôme de souvenir. Sur l'un des murs si souvent contemplé à l'endroit des goûters et des écritures, il y a ce tableau avec des girafes en feu et un personnage qui joue de la harpe, tournant le dos à la beauté du ravage. Elle qui a si souvent peigné la girafe, elle ne peut détacher son regarde de cette scène, si douce et si sauvage à la fois. C'est un peu l'âme du lieu, pour elle, le doré des chevelures, la musique muette, une certaine paix malgré tout.

La séance d'écriture a eu lieu dans cette maison sans tableaux, la girafe n'est plus mais elle a subi une sorte de métamorphose : des mots se sont alignés sous sa plume sans qu'elle soit vraiment consciente que c'était elle qui les déposait sur le papier. Entre le moment où elle est entrée et celui où elle va ressortir, quelque chose a eu lieu : la vie s'est ouverte, a tremblé un peu et la nuit semble avoir reculé.

Codicille :

Moi, la maison, en lisant par dessus les épaules de celles et ceux qui ont successivement tenu la plume pour parler de moi, je prends conscience que je n'existe pas vraiment en tant qu'entité, je suis jardin-maison, maison-jardin, comme si nous n'étions qu'un seul et même corps. Ca me convient assez bien. L'écriture a su saisir ce que les deux habitants ont fait de moi et maintenant, je vais commencer une nouvelle vie. Qui écrira ce qu'elle va être ? Je conserverai leurs voix, leurs souvenirs, leurs secrets bien au creux de mes murs et les mêlerai à tous ceux dont j'ai déjà emmagasiné les voix. 

 

 

une bien belle bande, aussi colorée dans les sentiments que dans les motss q
Une bien belle compagnie aussi colorée dans les sentiments que dans les mots


 

Maison, ma belle maison...

 Après plusieurs mois de suspension, voici le retour de l'atelier d'écriture d'à la brise:

Ce fut un bel après-midi de septembre à plusieurs mains et cerveaux autour de la maison d’Ange Gabrielle qui nous a accueillis pour une belle dernière fois!  

Un atelier décliné en sept étapes, dévoilées au fur et à mesure.  Chacun commence avec la première proposition, un incipit ça tombe bien, puis passe sa feuille à son voisin de gauche, surtout pas celui de droite sinon ça fait des embouteillages, puis se plonge dans la deuxième consigne, après avoir pris connaissance de ce que son voisin a écrit en incipit, et ça tourne ainsi à chaque nouvelle proposition! Donc sept écritures différentes dans un même texte, et à la fin sept récits!

1/ rédiger une phrase incipit en commençant par une préposition en restant vague sans précision de personnages, ni de lieu pour l’instant.

2/ apparition d’un personnage, juste signifié par il ou elle, qui arrive dans la rue: comment il arrive là, d’où il vient, son état physique, mental, vêtements.. pourquoi...

3/ accumulation de pensées, de ce que le personnage voit, entend… (à la Christophe Tarkos) à l’intérieur de la maison/ jardin en une longue phrase

4/ quelque chose qu’il ou elle ne sait pas sur ce lieu

5/ il ou elle trouve un objet, quelque chose d’insolite qui le fascine

6/ phrases finales avec un mot imposé: métamorphose

7/ Codicille: la maison donne son avis sur ce qui vient d’être écrit!

 

samedi 4 septembre 2021

Lettres aux hirondelles

 Lettre de la 8° année :

Mes chères hirondelles,

" ... Il n'y a personne à qui écrire ; les lettres se perdent, n'arrivent pas ou n'ont pas de réponse et, cependant, le style épistolaire et sa voix qui console et donne de l'espoir ne doivent pas s'ankyloser et vous êtes là pour ça ! 


... Dans les plus vieux nids des palais, que n'utilisaient plus les nouvelles hirondelles, il y avait comme dans un petit bénitier un peu de temps passé resté au fond.

J'ai aussi connu vos nids, sinon les plus importants, du moins les plus heureux, accrochés aux poutres des granges, en vous voyant entrer et sortir, nerveuses et folles, comme des coups de ciseaux dans la lumière, par les hautes lucarnes du grenier accueillant et secret.

Quand vous piquez de l'auvent comme si vous vous suicidiez, vous ressemblez à des papiers découpés en forme d'hirondelle lancés du haut, mais aussitôt vous vous ranimez comme de vivants alleluias.

Votre jeu irrépressible me semblait être comme une vengeance de l'interdiction de jouer au ballon qui régnait entre les murs des nonnes. A nous, on pouvait nous interdire de jouer au ballon, mais, à vous, il n'y avait personne qui puisse vous interdire ce charivari plein de sifflements au-dessus des murs du jardin !

... En tenue de soirée, vous avez ce vol immobile qui soudain clignote d'un tremblement de joie de vivre en vol.

Là où vous me plaisez le plus, c'est quand vous foncez dans l'air, épaules en avant, ailes repliées, en faisant des S doux et zigzagants. Ce qui est presque, presque un geste angélique.

... Seuls vous effraient les jours glacés et une sensation qui nous est familière vous saisit, car il y a un frisson de froid dans notre coeur - qui est comme un frissonnement de l'hirondelle intérieure. Aussi, après le jour brusquement automnal au milieu de l'été, vous ne jouez plus pendant trois jours. "

Ramòn Gomez de la Serna,"Lettres aux hirondelles et à moi-même" André Dimanche Editeur (1° édition juillet 2006)

Je ne sais comment la 9° a paru avant la 8°, ce sont les joies et les mystères de l'informatique ... 

jeudi 2 septembre 2021

Lettres aux hirondelles

Lettre de la 9° année

Chères hirondelles,

"Ceux dont vous êtes les principales institutrices ce sont les adolescents, ou mieux, l'adolescence de la vie.

Chaque année ce qui importe ce n'est pas qu'il y ait une nouvelle génération d'enfants ou de jeunes, mais une nouvelle génération d'adolescents, puisque c'est ce qui redonne à la vie toute sa vivacité, tout son trouble, tous ses errements et ses illusions. 

Ils ne comprennent pas qu'ils doivent vous voir arriver et vous voir repartir maintes fois avant de réaliser ce qu'ils espèrent mais, vous, vous lissez cette inquiétude de leurs cheveux désespérés.

... Vous savez qu'il vous va bien ce parallèle avec l'adolescence qui veut faire un tour en barque sans avoir ni barque ni lac et qui veut faire de l'aéromodélisme en faisant tourner dans sa bouche une petite gomme arrachée au dernier paquet de fournitures qu'elle a achetées...

... Chères hirondelles, vous voyez que je vous suis dans vos leçons et que je sais secrètement que vous introduisez les jeunes à la vie et que vous leur passez le fil à l'aiguille pour qu'ils ne se blessent pas et évitent l'hémophilie de l'adolescence.

Je vous embrasse avec gratitude et affection"

Ramòn Gomez de la Serna,"Lettres aux hirondelles et à moi-même" André Dimanche Editeur (1° édition juillet 2006)