Nonobstant la surprise induite par la proposition, le plaisir de laisser courir le stylo sur la page presque blanche (hormis les deux visages, l'un vert, l'autre bleu, se faisant face en bas à gauche de la dite page), le plaisir d'écrire était bien là, fidèle au rendez-vous.
Et elle, elle était là dans la rue, arrivée quelques heures plus tôt. Comment ? Elle ne le savait pas encore. Hébétée. Le regard dans le vide. Elle le laissait croire. Ecrire. On le lui avait dit. Qui ? Quelqu'un au téléphone. Ecrire, pourquoi ? Elle s'était laissée guider par cette petite voix intérieure. Elle parlerait des murs. Elle écrirait un jardin, des odeurs. Elle verrait bien. Ecrire, le mot la fascinait même si là, elle ne savait pas ce que l'acte allait signifier. Elle ouvre le portail, fait quelques pas dans l'allée, écoute un instant le son de la radio provenant du bureau sur la gauche, continuant quelques pas encore suivant les hauts murs de la maison, tandis que son regard redécouvre le jardin et la terrasse ombragée, poursuivant sa marche plus lentement dans l'allée, une allée qui n'a plus de limite sinon celle qu'elle décidera de lui donner, au cas ou si elle le souhaite, mais elle se dirige vers le fond du jardin qui n'a plus de fond, un fond effacé laissant place à un paysage qui reste à dessiner de rivières villages montagnes prés de lavandes, de marchés et d'antiquaires, le jardin n'a plus d'allée ni de retour en arrière, ni de bifurcation ni d'angles morts, le jardin trace sa route. Elle la suit.
Laissons pour un moment notre héroïne dans cette expectative émue qui précède parfois l'écriture ou tout autre acte créatif. Elle ne sait pas ce qui l'attend vraiment, elle croit qu'il s'agit d'une proposition classique, on vous fournit un ou plusieurs textes, un ou deux thèmes et libre à chacun de se prendre pour Rimbaud, Mauriac, Claudel ou Jaccottet ... Emmaz. Elle sera très surprise par ces textes où les feuilles s'envolent, s'additionnent, se croisent pourquoi pas se soustraient.
La route s'avance à présen dans la maison et elle la suit. Les murs gardent la présence des tableaux décrochés. Elle se souvient du grand tableau noir et rose-rouge de l'amour mais préfère ne pas s'attarder sur ce fantôme de souvenir. Sur l'un des murs si souvent contemplé à l'endroit des goûters et des écritures, il y a ce tableau avec des girafes en feu et un personnage qui joue de la harpe, tournant le dos à la beauté du ravage. Elle qui a si souvent peigné la girafe, elle ne peut détacher son regarde de cette scène, si douce et si sauvage à la fois. C'est un peu l'âme du lieu, pour elle, le doré des chevelures, la musique muette, une certaine paix malgré tout.
La séance d'écriture a eu lieu dans cette maison sans tableaux, la girafe n'est plus mais elle a subi une sorte de métamorphose : des mots se sont alignés sous sa plume sans qu'elle soit vraiment consciente que c'était elle qui les déposait sur le papier. Entre le moment où elle est entrée et celui où elle va ressortir, quelque chose a eu lieu : la vie s'est ouverte, a tremblé un peu et la nuit semble avoir reculé.
Codicille :
Moi, la maison, en lisant par dessus les épaules de celles et ceux qui ont successivement tenu la plume pour parler de moi, je prends conscience que je n'existe pas vraiment en tant qu'entité, je suis jardin-maison, maison-jardin, comme si nous n'étions qu'un seul et même corps. Ca me convient assez bien. L'écriture a su saisir ce que les deux habitants ont fait de moi et maintenant, je vais commencer une nouvelle vie. Qui écrira ce qu'elle va être ? Je conserverai leurs voix, leurs souvenirs, leurs secrets bien au creux de mes murs et les mêlerai à tous ceux dont j'ai déjà emmagasiné les voix.
Une bien belle compagnie aussi colorée dans les sentiments que dans les mots
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire