Indépendamment de nos désirs, c'est ici que nous avons échoué, après presque un an de recherches vaines et quand l'Agent a emprunté la rue, nous nous sommes regardés car ensemble nous avons aussitôt su que ça y était, peut-être cette fois-ci était-ce la bonne.
Elle, elle arrivait d’en-bas, avec ses longs cheveux roux évanescents, un peu essoufflée, mais sans plus, sa petite quarantaine impulsait en elle une énergie débordante et rayonnante. Un peu étonnée de voir cet agent face à elle – car lui, arrivait par le haut de la rue –, elle nous regarda, l’un après l’autre, cherchant à comprendre pourquoi nous lui avions donné rendez-vous et qui était cet homme qui arrivait en même temps qu’elle.
Elle se trouve maintenant devant un haut portail qu’elle pousse timidement d’abord puis énergiquement car il résiste. Comme s’il voulait retenir les secrets qu’il abrite mais elle sait lui parler, lui dire qu’elle ne vient rien voler, qu’elle vient juste voir ce qu’il en est du jardin, de la maison dont on lui a parlé alors il se décide à entrouvrir son battant, elle avance d’un pas, d’un autre, encore d’un autre avant d’être happée par la glycine qui déborde de parfums violets, d’exhalaisons divines, de grappes enivrantes qui la conduisent jusqu’aux marches de pierre jusqu’à l’herbe sauvage qui pousse nonchalamment sur la pente presque douce où les coquelicots voisinent avec les marguerites, où le camélia discute avec le rhododendron pour l’emmener là où les fleurs s’arrêtent.
Elle redécouvre l’emplacement des groseilles sans groseille à cette époque de l’année. Ce qu’elle ne sait pas c’est que la nuit apporte l’esprit des anciens maîtres du lieu dans ce jardin. Il hume le camélia, caresse les feuilles du rhododendron, fait des bouquets de marguerites, taille la haie. Puis s’en revient dans la chambre là-bas, aux premières lueurs du jour.
Elle pousse enfin la porte d’entrée et pénètre à l’intérieur de la maison, dans l’entrée un bureau d’écolier sur la droite, plus loin une porte qui donne sur une pièce où règne la lumière orangée du couchant et là, elle le voit, ses vitres tendrement reflètent cette lumière de fin de journée, la couleur de miel de ses portes pleines du bas donne la réplique au verre lumineux des portes hautes, le délicat dessin des boutons de bois sombres des tiroirs. Ce meuble, je le veux, se dit-elle.
Je le veux mais ne saurais où le mettre, chez moi il n’y a plus de place, ou sinon il faudrait que je me métamorphose. Ce sera pour une autre vie, une vie avec des fantasmes de vide, et de placards bien rangés. Ce meuble, il ira vivre sa vie ailleurs, et moi, je ne reviendrai pas de sitôt dans cette rue, deviner le jardin, les groseilles et le camélia. Je penserai à mes amis, et à tous ces moments lumineux et tranquilles, engrangés dans mon cœur.
Codicille: Je suis là bien arrimée au sol depuis des décennies, des hommes, des femmes ont vécu là pendant des années, ou bien venus pour une journée ou quelques heures; je les ai protégés, écoutés – il en fallait de la patience parfois – et je vais continuer mon travail de maison et conserver en dedans de mes murs un havresac d’images et de sons. Pour ces deux derniers, je crois que je les regretterai un peu car ils ont pris grand soin de moi et du jardin et ont ouvert leur porte à tant d’amis que longtemps leurs voix résonneront ici.
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