mercredi 31 mars 2021

Printemps

 Avant que le soleil ne se soit fait trop pressant, qu'il ait tout écrasé de ses rayons brûlants, cette prose de Philippe Jaccottet, pour goûter le "Vert" d'un printemps, trop bref.

"Vert et blanc : couleurs heureuses entre toutes les couleurs, mais plus proches de la nature que les autres, couleurs champêtres, féminines, profondes, fraîches et pures, couleurs moins sourdes que réservées, couleurs qui semblent plutôt paisibles, rassurantes ..."

P Jaccottet    "Cahier de verdure" nrf Gallimard p30

dimanche 28 mars 2021

Viatique / 4

Perles en bout de branches, le pépiement des oiseaux tout près, la rivière derrière. Des sons de cloches au loin. Le jour s’est agrandi.

Parmélie et lichen gris autour de fleurs prêtes à éclore mais qui restent encore en retrait. Rien ne presse. Restons dans cette chambre d’échos.

Une île en plein cœur d’un vaste étang. De hauts arbres encore effeuillés, que les cormorans recouvrent d’un voile noir. Il y en a un posé au sol qui ouvre grand ses ailes et laisse le vent ensemencer ses pensées.

 


 

 

mardi 23 mars 2021

La Semaison (1968-1979)

Ne pas éclairer, ne pas allumer la lampe, pour connaître le moment du jour, sa vraie lumière, goûter sa naissance et son effacement.

À la fenêtre, lire les signes, la page du ciel. Tout l'est est couvert de bourrelets gris bordés de noir dans le bas, et les couleurs d'une aube fade ne sont visibles qu'en plein sud, là où l'ouverture en forme de verre, de calice, du ciel, touche l'horizon. La fumée des premiers feux, la fumée du difficile lever des vieillissants, tourbillonne, blanchâtre; l'asphalte humide miroite entre les dernières feuilles, on entend des bruits de moteur et un cri de coq, isolé. 

Philippe Jaccottet

samedi 20 mars 2021

Viatique / 3

un arbuste aux fleurs blanches, le premier sur le côté du chemin au milieu d’arbres d’hiver encore. son manteau blanc le rend précieux, cette ruche de pétales bien serrés inciterait la main à l’effleurer. à l’arrière plan la rivière roule les pensées lourdes d’hiver.

                                           *

même étoffe blanche qui recouvre quelques arbres alors que les autres n’endossent encore aucune tenue de printemps. ne sais pas comment nommer ces arbustes qui donnent une tonalité joyeuse au jour. reste un peu de cet enjouement sur le visage.

                                           *

saisir l’envol d’un héron, rien d’autre. à la fois sa lourdeur et cette légèreté qui le fait s’élever. il s’éloigne suspendu entre ciel et sol jusqu’à dessécher le regard.

lundi 15 mars 2021

D'après un texte de "Cahier de verdure" de Philippe Jaccottet


Cette fois, il s'agissait d'un simple caillou, une petite pierre arrondie, vert fluo sur le dessus. Nous l'avons ramassée pour conserver sa beauté comme dans un musée et la sauver du fossé, précieusement nous l'avons mise dans notre poche. Nous n'avons pas coupé de branches des pruniers, couvertes de minuscules fleurs aux corolles blanches et duveteuses, nous savions que dans nos pièces trop chauffées, elles ne résisteraient pas longtemps. Le petit caillou a pris place, à côté d'autres, sur le bord extérieur de la fenêtre. Deux jours plus tard, il était devenu un caillou gris ordinaire. Cette merveilleuse pellicule verte était un être vivant, un lichen que nous avons fait mourir. "Lichen : champignon, associé à une algue poussant là où aucune plante ne peut vivre -en haut des montagnes, sur les rochers du bord de mer, sur la lave refroidie… Future mousse et future plante, début d'une vie végétale. Quand il pourrira, ses débris formeront un sol, assez riche pour que la mousse et d'autres plantes grandissent" nous dit le dictionnaire








dimanche 14 mars 2021

Viatique/2

Au réveil regarder les petites feuilles du rosier derrière la fenêtre. Elles ont cette teinte rougeoyante qu’elles perdront en s’élargissant et en s’affirmant. On dirait juste qu’elles hésitent encore à s’offrir au jour, qu’elles se glissent avec douleur dans cette renaissance.

     *                                                                                                

La trouée dans la forêt s’est prolongée jusqu’au chemin qui part perpendiculairement. Ce vide d’une largeur importante, une cinquantaine de mètres peut-être, crée un abime et casse cette idée de cocon que j’éprouvais marchant dans cette forêt. Repousser les pensées d'éphémère.

                     *                                                             

Dans l’angle de la terrasse, des taches d’un mauve fatigué , de violet vif et d’un rose pigmenté d’améthyste. Tapis de violettes et primevères amassées, donnant l’idée d’une collection faite naturellement. Le regard s’attarde et rêve sans ombre.

 

lundi 8 mars 2021

Viatique/ 1


 

Le sol tapissé de lichens, du chevelu long ou court, des pelotes que l’on prend délicatement entre ses doigts pour ne pas les briser, dont on évalue la légèreté telle une boule de coton. Tignasses desséchées, presque minérales, dont le vocable lui-même est source de fascination. Ce sont ces feuilles d’hiver dont parle Thoreau. Mes yeux s’accrochent sur leur carcasse ailée.

                                           *

On dirait que la nature – enfin ce qui devant moi se déploie – est encore dans une sorte d’attente, presque prête mais pas tout à fait; on n’est que le premier mars, c’est encore l’hiver même si la douceur nous a fait ôter les lainages. Mais ici, rien n’ose encore se laisser éclater. Soudain, en bordure de pré , une fleur jaune que l’on nomme coucou. Isolée Et, même si la fleur est sans regard et sans voix ( comme l’écrit Jaccottet) l’on pourrait paraphraser pour elle les mots d’Antigone : j’ai cru au printemps la première aujourd’hui.

                                       *

Une trouée dans cette forêt souvent traversée. Une large trouée qui défigure le paysage connu et aimé. La sensation de site protégé, abrité est fragilisée. En une journée un engin de coupe a transformé ce lieu, laissant penser que l’épaisseur de la forêt n’est rien d’autre qu’une illusion. Un passage: non. Une brèche, bien plus profonde, à laquelle le regard devra s’habituer.

vendredi 5 mars 2021

Balade à 4 mains et 1 oeil


Aperçu du château, le toit de la chapelle

tuiles patinées de vert, de bronze et de bruns,

écorces écaillées rongées d'un temps

qui ne s'écoule plus ... et pourtant vivantes.

 

 


Les tuiles arrondies

par le poids des années

voûtent le dos pour accueillir

les lichens immobiles

Le temps qui passe

polit les pétroglyphes

devenus invisibles

érodés d'usure et de fatigue

L'ocre-vert-gris, entre-deux suranné

à la porte du ciel et de la Terre

frémit

fléchit aux vents

et regarde la plaine

en attente des lendemains.

mercredi 3 mars 2021

Cahier de verdure


 

Je pense quelquefois que si j’écris encore, c’est, ou ce devrait être avant tout pour rassembler les fragments, plus ou moins lumineux et probants, d’une joie dont on serait tenté de croire qu’elle a explosé un jour, il y a longtemps, comme une étoile intérieure, et répandu sa poussière en nous. Qu’un peu de cette poussière s’allume dans un regard, c’est sans doute ce qui nous trouble, nous enchante ou nous égare le plus ; mais c’est, tout bien réfléchi, moins étrange que de surprendre son éclat, ou le reflet de cet éclat fragmenté, dans la nature. Du moins ces reflets auront-ils été pour moi l’origine de bien des rêveries, pas toujours absolument infertiles.

Cette fois, il s’agissait d’un cerisier ; non pas d’un cerisier en fleurs, qui nous parle un langage limpide ; mais d’un cerisier chargé de fruits, aperçu un soir de juin, de l’autre côté d’un grand champ de blé. C’était une fois de plus comme si quelqu’un était apparu là-bas et vous parlait, mais sans vous parler, sans vous faire aucun signe ; quelqu’un, ou plutôt quelque chose, et une « chose belle » certes ; mais, alors que, s’il s’était agi d’une figure humaine, d’une promeneuse, à ma joie se fussent mêlés du trouble et le besoin, bientôt, de courir à elle, de la rejoindre, d’abord incapable de parler, et pas seulement pour avoir trop couru, puis de l’écouter, de répondre, de la prendre au filet de mes paroles ou de me prendre à celui des siennes - et eût commencé, avec un peu de chance, une tout autre histoire, dans un mélange, plus ou moins stable, de lumière et d’ombre, alors qu’une nouvelle histoire d’amour eût commencé là comme un nouveau ruisseau né d’une source neuve, au printemps pour ce cerisier, je n’éprouvais nul désir de le rejoindre, de le conquérir, de le posséder ; ou plutôt : c’était fait, j’avais été rejoint, conquis, je n’avais absolument rien à attendre, à demander de plus ; il s’agissait d’une autre espèce d’histoire, de rencontre, de parole. Plus difficile encore à saisir.

Philippe Jaccottet "Cahier de verdure" ( Gallimard 1990) 

Je vous propose un travail d'écriture (en s'adossant à cet extrait ou en plongeant dans les différentes Semaisons de Jaccottet) issu du livre de Pierre Ménard " Comment écrire au quotidien / 365 ateliers d'écriture" (Publie.net 2018):

 "Le poème  comme expérience. Saisir des événements apparemment anodins, banals, décomposés avec précision dans le texte, de manière presque démonstrative, et le plus brièvement possible, afin d’en détailler et d’en agrandir la succession et les infimes articulations, à la manière dont l'esprit s'en saisit, selon son mouvement et son rythme."