jeudi 30 novembre 2017

Cartographie 4

Suite du chantier sur la cartographie! La mission du jour était de se pencher sur les ruisseaux ou rivières de notre carte, d'en suivre un ou une, d'évoquer les échos que cela  suscite, le tout en une écriture continue, dense, un récit bloc, et la liberté de piocher des mots dans les textes offerts....

Quelques gouttes d'Elisée Reclus et son "Histoire d'un ruisseau":


L’histoire d’un ruisseau, même de celui qui naît et se perd dans la mousse, est l’histoire de l’infini. Ces gouttelettes qui scintillent ont traversé le granit, le calcaire et l’argile ; elles ont été neige sur la froide montagne, molécule de vapeur dans la nuée, blanche écume sur la crête des flots ; le soleil, dans sa course journalière, les a fait resplendir des reflets les plus éclatants ; la pâle lumière de la lune les a vaguement irisées ; la foudre en a fait de l’hydrogène et de l’oxygène, puis d’un nouveau choc a fait ruisseler en eau des éléments primitifs. Tous les agents de l’atmosphère et de l’espace, toutes les forces cosmiques ont travaillé de concert à modifier incessamment l’aspect et la position de la gouttelette imperceptible ; elle aussi est un monde comme les astres énormes qui roulent dans les cieux, et son orbite se développe de cycle en cycle par un mouvement sans repos....

Un soupçon de Jean Rodier " En remontant les ruisseaux sur l'Aubrac et la Margeride" 

 
Le rêve d’aller à travers la montagne de ruisseau en ruisseau et de ruisseau en lac, de lac en rivière, sans frontières ni restrictions que sa propre liberté.

On monte à travers les forêts, les prairies parfois encombrées de granits, le bruit des ruisseaux rapides – où l’on peut rêver d’une vie délicieuse – et où on débouche sur le plateau à l’herbe rase, aux ruisseaux lents, aux lointains bleus, au vent – endroit que l’on imagine propice à la pensée. Pour peu qu’on y demeure on comprend: c’est ici le lieu où la pensée s’absente.

et une immersion dans Julien Gracq " Au château d'Argol" :


La rivière paraissait ici rouler ses flots au fond d'un abîme naturel aux bords rapides, auxquels s'accrochaient les puissantes frondaisons d'une glorieuse forêt. Les détours continuels et capricieux du cours de la rivière donnaient à ces lieux un caractère d'isolement singulier. Autour d'Albert, les hautes murailles de la forêt sourcilleuse semblaient dévorer une partie considérable du ciel, et venir effleurer juste le bord du disque ardent du soleil pourtant élevé déjà sur l'horizon. Ces ramures animées de mouvements majestueux et uniformes étaient agitées par le vent venu de la mer toute proche, et qui apportait avec lui le grondement des vagues et le tumulte aérien des libres étendues.....



mardi 28 novembre 2017

#3, Les noms qui cheminent,

     Le nom de La Chaise-Dieu s'impose au début du voyage, sévère, sans fioritures. La Casa Déi, stricte, toute en lignes carrées, imposante comme son abbaye qui domine le paysage. Son granite gris, épais  et mystérieux enserre les âmes, prisonnières derrière les barreaux rouillés d'une quelconque maison-forte en ligne directe avec l'au-delà. Sa sonorité sèche et rugueuse laisse peu de place à la fantaisie lyrique des trompettes de la renommée qui pourtant rayonne bien au-delà du canton voire de l'hexagone. Saint Robert peut dormir tranquille, il a de beaux jours devant lui.
     Il vaut bien mieux se perdre dans les routes qui s'échappent  pour goûter à une nature qu'elle n'a pas réussi à endiguer. Partir par l'étang du Breuil, l'antichambre de la départementale 20 toute en lacis entre les prés batifolant du vert au bleu, du blanc au jaune, mariant les marguerites et les bleuets, les coucous et les boutons d'or, les épilaubes et les grandes digitales au fil des heures et des saisons.  Etroite, elle erre en somnambule entre des murets de pierre posés là en désordre les nuits de pleine lune.
     Des clôtures de guingois, quelques bêtes laissées dehors le temps d'un été, des herbes hautes mal fanées, encore une forêt sombre, puissante, un coude, un hameau sorti d'une pochette surprise "Petit Bénaud" et la pancarte improbable d'un lieu-dit "Maisonseule". Est-ce l'unique maison qui lui a donné son nom ou le lieu qui a incité à une seule construction?
La maison en hauteur de la départementale émerge des grands arbres. Ses larges baies vitrées mangent le soleil. Elle semble dormir bien campée sur ses murs faits pour résister aux vents quelquefois bien présents sur cette pente qui résiste tant bien que mal aux machines des forestiers. "Maisonseule", un nom tout en silences ébréchés, les envols des oiseaux à l'automne, le criaillement des corbeaux, le froufroutement des écureuils ou des fouines, un paradis perdu.
     La route continue de descendre, incise les verts et les marron, surplombe un cimetière inoffensif, une pancarte blanche et enfin un nom tout en rondeur "Bonneval"; bon vallon, bonne vallée, accueillant, tassé autour de sa chapelle, sa mairie, de son auberge "La Dorette" du nom de la petite rivière qui coule en contrebas, et de sa maison d'hôtes "Chez Valentin". Un hameau de carte postale où le temps semble s'être arrêté. Une carte postale où j'ai griffonné mon nom quelque part pour ne rien oublier.

samedi 25 novembre 2017

Pour mes deux chéries

Toi, en premier, disparue, (en)volée ; voilà 22 années que je m'adresse à toi toujours si proche ; en silence ; et toi ma cousine, un an que ton corps n'est plus ; toutes deux, la blonde et la brune, vous aviez tant de points communs ; vous vous étiez connues à 17 ans, vous étiez toutes deux nées en 1927 ; l'une m'a tant parlé de l'autre ; toutes deux c'est en novembre que vous vous êtes fait la malle ; à quelques jours près ; qu'importe les années puisqu'elles ne s'écoulent pas.

Je viens de terminer  « Le monde sans vous » de Sylvie Germain et comme je ne saurai mieux le dire :

« Il n'est pas vain de s'adresser à quelqu'un, qu'il soit proche ou lointain, nommé ou ignoré, vif ou mort. Tout appel lancé, même sans boussole, sans grande force, sans certitude, dans l'invisible et le silence, doit bien finir par effleurer un auditeur. Vous êtes mes auditrices des limbes...

… La prose aussi est un dialogue, un serrement de mains, une accolade. Et dans ses maladresses, ses manques, ses bégaiements, il peut parfois lui arriver de se faire étreinte, fugacement. Une étreinte sans prise, inespérée ; une caresse. La prose - un bonjour tremblé d'adieu, un adieu toujours en veille...

... Quant aux sursauts de la mémoire, on ne sait pas toujours quels heurts obscurs les provoquent. On ne connaît même pas l'étendue de sa propre mémoire, et encore moins quelles failles la crevassent, quels courants souterrains la traversent, quel magma éruptif y sommeille. Mais l'intuition poétique peut y donner accès, parfois, comme l'avait compris et expérimenté Ossip Mandelstam, qui comparait la poésie à une « charrue qui affouille le temps afin d'en faire émerger les couches profondes, le tchernoziom …

… Et pas de dernier mot, juste des mots nomades, infusé du silence même qui irradie les disparues, du grand silence qui flue de l'extrême lointain vers lequel ils s'en vont, inexorablement. Juste des mots légers comme des caresses, des signes de salutations, des sourires encore pâles, souvent brouillés de larmes, mais non dépourvus de clarté. Des mots, de simples mots sans prétention, moins pour chercher à bâtir de superbes tombeaux que pour tenter d'ouvrir en grand les tombeaux vides, et de les maintenir tels. »





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jeudi 23 novembre 2017

Aurillac- Saint-Etienne/ 1

Je lis la carte de manière hébraïque de droite à gauche, j’avance dans le sens opposé de mes ascendants, avec l’espoir peut-être de rencontrer l’un d’entre eux à quelque endroit du chemin. Je pars de Saint-Etienne et me dirige vers l’Ouest. Si je me remémore le plus ancien tracé effectué avec la 202, nous passions du centre ville à Bellevue en remontant la Grand’rue, et traversions les cités sombres et tristes d’alors: La Ricamarie qui n’avait rien d’une cité riante, le Chambon-Feugerolles qui n’était que cette ville d’usines à grandes cheminées d’où fumait toute la fatigue des ouvriers métallos, puis nous bifurquions sur Unieux, avec au Vigneron la maison du tonton Pierre saluée d’un regard rapide, et que j’imaginais travailler dans des vignes alors qu’il crachait ses poumons dans des galeries de mine. Je n’ai aucun souvenir de ce qu’il fut, il ne subsiste que des blancs entre nous sans aucune pépite de sa vie. Un grand-oncle d’arbre généalogique sans visage.

A partir de là s’ouvrait la deuxième partie du trajet, celle où la route allait virvolter et le mal au coeur s’emparer de moi: le Pertuiset – et j’ai toujours besoin de réflexion avant d’écrire son nom correctement, tant reste l’appellation enfantine qui revenait à chaque passage sur son pont: et pourquoi pas la mère Tuiset !- . Mais c’était la route du Père qui se poursuivait, on parvenait à Saint-Maurice-en Gourgois et dans l’aura de l’enfance qui recouvrait mon père prénommé Maurice, j’ai longtemps cru ce village érigé là en son honneur….Les noms à rallonge s’enchainaient et , même si on ne les traversait pas , les panneaux indicateurs s’inscrivaient avec force dans la mémoire : Rozier-Côtes-d’Aurec qu’on prononçait sans espace dans la voix me paraissait un lieu féerique alors que le suivant Saint-Hilaire-Cusson- la- Valmitte déclenchait plutôt les rires. Des noms de lieux cristallisés et vidés de leur sens originiare dont ne reste qu’une entité phonique détachée de la réalité.

Apinac marquait la troisième partie du trajet, parce que le nom de mon village apparaissait en notifiant même le nombre de kilomètres à percourir, et que même à pied, il pouvait être rejoint. De le voir inscrit sur le panneau routier: Tiranges 7 km, il prenait une forme de réalité différente, puisqu’ ainsi il existait pour d’autres personnes que nous et n’était pas simplement ce nom de village qui rimait avec mon prénom en une rime riche à la sonorité paisible. Sa lettre muette à la fin, inutile, sans raison d’être mais qui me semblait une sorte de coquillage où s’étreignaient mes souvenirs. Sur ces derniers kilomètres, les hameaux peu nombreux défilaient avec le premier village de Haute-Loire Le Villard, qui apparemment n’est pas une commune, contrairement à ce que je croyais, mais appartient à celle de Saint-Pal-en-Chalancon avec la direction de Bouffelaure à sa sortie, où je ne suis bien sûr jamais allée! Boisset lui succède : Le nom de Boisset a deux origines possibles; le nom latin Boschetum signifiant "petit bois", ou le nom buxetum désignant un lieu couvert de buis. Il est donc probable qu'un bois ou des fourrés de buis occupaient jadis le sommet de la colline sur laquelle s'élève aujourd'hui le bourg de Boisset. J’aime beaucoup l’arrivée sur ce village, le plateau qui le précède laissant aux monts de l’horizon la place pour s’étendre et la relation avec ce paysage s’installer. Il reste deux kilomètres environ avant de voir le panneau d’entrée du village: Tiranges et emprunter la Grande Allée d’autrefois.

L’origine de l’appellation  Tiranges remonte à l’époque gallo-romaine, du  nom du propriétaire  du domaine  Tiro de Tyrius. Dans la première moitié du XI° siècle le cartulaire de   Chamalières, mentionne  la donation  d’un certain Humbert  dans la paroisse de Tirangis.   Au XII° siècle il est écrit  Tiranias  en 1293  Tiranges.

A l’endroit où la route se divise en deux, la voiture suit alors le chemin de droite , longe la chapelle Notre-Dame, se faufile entre des corps de maisons resserrées - je jette toujours un regard sur la droite vers cet ancien bâtiment (que je viens de découvrir à vendre) l’école des soeurs d’autrefois - puis prend la courte descente et tourne à droite dans la ruelle où un panneau récent indique Le Châpre que l’on voit avec ou sans accent circonflexe, avec deux p parfois, un s en prime ou même transformé en Chatre sur certains documents.; parfois le masculin cède la place au féminin ou se transforme en pluriel! Mais pour moi, il est singulier et s’écrit avec cet accent circonflexe qui semble protéger la maison qui m’est chair de tout danger ou malfaisance….Tout en haut sur une large pierre de granite, mon arrière grand-père a fait graver son nom: PORTE sur la maison qu’il a achetée en octobre 1877, qu’il fera agrandir en 1913 alors même que sa maison se vide de ses occupants….

Il faudrait pouvoir dire le temps absent, les voix qui surgissent à l’intérieur de ma voix, tirer les fils de ce palimpseste pour sauver et faire frémir encore ces vies laissées en héritage. Rester encore à côté de ces existences tremblées, appuyer son oreille contre la terre et récolter les mots qui s’en extraient. Scruter la carte IGN 28340, parcourir les alentours écrits là, et qui ont donc une réalité : la Moutière, le Garet, le Verdier, Chaumont, Bois de Cour, les Rois, Boissières, Drossange, La Grange du Fieu, Durand, Chalencon, tous arpentés à de nombreuses reprises et où des herbes sèches résistent au crépuscule.

vendredi 17 novembre 2017

Noms de lieux

L'Embranchement, Primarette, Revel-Tourdan, ces noms sont fichés dans ma mémoire comme des piquets sur une piste de ski, je slalome entre eux.
Quand nous atteignions L'Embranchement, nous étions presque arrivés à destination : quatre routes se coupant à angle droit, en plein vent, nues toutes les quatre, branches écartelées d'un arbre mort. A ce carrefour, des croix de pendus, il a dû y en avoir dans des temps immémoriaux. Embranchement avec sa sonorité d'enterrement, même nombre de syllabes avec ses « r » sinistres qui roulent comme le tambour. Là, s'arrêtaient les bus qui déposaient voyageurs et colis. C'est donc à la croisée de ces branches que mon père, petit, venait récupérer les lourds paquets qui ne venaient pas par le facteur ; il disait qu'il fallait marcher longtemps, le long d'une interminable route, toute droite sur quatre kilomètres. Si je suis la piste ancestrale, je vois un café où l'on ne restait pas. L'endroit n'appelle ni au repos ni à la détente, juste un passage pour les vents, les véhicules et les gens. Carrefour où l'on ne fait que passer, rien pour faire trait d'union, seulement ces angles droits, la nudité et le vent. Je n'y suis jamais allée à pied, jamais arrêtée et je priais pour n'avoir jamais à y attendre un jour le bus, ce qui n'est jamais arrivé.
Heureusement, il y avait Primarette, à cinq cents mètres, dont ma grand-mère était originaire ; village qui m'évoquait des champs de pâquerettes, la poésie tapie dans chaque syllabe avec son « i » comme autant de petits coeurs jaunes. Ces pâquerettes dont je cueillais au printemps de petits bouquets que je serrais d'un bout de ficelle avant de les piquer dans mes cheveux...
… et Revel-Tourdan avec son château et sa tour sans dents, deux communes qui furent réunies à la révolution et dont nous avions appris au lycée que l'une, avec l'arrivée des romains dans ces Allobroges, vers 120 av JC, s'était appelée Turedonum. Le château de Revel a étendu sa domination, à une certaine époque sur les paroisses alentours : Beaurepaire, Pommier, Pisieu, Primarette, Saint-Julien de l'Herme. Nous avions bien sûr des oncles et tantes dans chacune d'entre elles.

A l'autre bout du trajet, Pont-Evêque qui sonnait comme une cloche. Je croyais voir l'évêque avec sa mitre et sa longue crosse bénir les passants qui franchissaient la Gère. L'histoire dit que l'évêque percevait un péage à chaque passage. Il y avait d'ailleurs toujours sur le pont une bascule que j'associais au péage et à d'étranges transactions : dîmes, impôts, serfs ... Charlemagne, juste en face était bien la preuve que ce Moyen Age était toujours là, inscrit dans le terrain. Le pont, pendant une moitié de l'année était recouvert d'un brouillard blanc, dense comme la barbe et les cheveux de ce Charlemagne. Les matins d'hiver, nous attendions parfois longtemps le bus pour le lycée, nez et bouche enfoncés dans nos écharpes et bonnets. Il fut un jour recouvert par la Gère qui avait débordé pendant la nuit ; ce fut dans les barques des pompiers que nous le traversâmes ce matin-là et je n'en menais pas large, terrorisée par ces gros pains aux ventres gonflés qui flottaient tels des poissons morts ; c'est que tout, chez le boulanger, avait été ravagé. Je ne peux aujourd'hui traverser ce pont sans voir toutes ces scènes se superposer, la cloche du pont, l'évêque debout, immobile qui surveille si chacun paie son dû et les poissons morts échappés de la Gère. Décidément, je sais bien pourquoi j'ai fui ces lieux dès que j'ai été en mesure de choisir.



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chemin de noms

Arrachés de la carte, puis réa-graphiés en liste de noms, les lieux dessinent un parcours improbable pour un marcheur imaginaire à la recherche d'"un espace de langage" (E. Ruben). Il part du Clot du Ser au sein du Massif de l'Oisans et s'enquiert du plus court chemin pour atteindre L'Alpe du Pin.  Il se peut qu'on l'y attende pour dîner d'une viande de gibier arrosé d'un jus qu'il saucerait avec du pain perdu. Repu, il continuerait son chemin du côté de La Raja s'inventant un endroit où dormir aussi paisiblement que dans un palais flottant sur un lac du Rajasthan. A Temple Ecrin quelques ablutions et une offrande aux dieux des sommets.
Au petit matin, avant que les premières lueurs du jour affleurent l'horizon, il invoquerait le Pic du Says, avant de questionner l'Aiguille de la Dibona qui annonce toujours de bons présages. Enfin, avec déférence, il décrotterait ses chaussures de marche à la fontaine du refuge de la Lavey.


Ser et Pin, comme autant d'évocations dinatoires
Raja, coule de sens... et de sang indien
Pic du Says, celui qui sait?
L'aiguille de la Dibona, dit bon et bien
Refuge de la Lavey... donne envie de prendre une douche, de se "décrotter"

jeudi 16 novembre 2017

Cartographie 3

Troisième séance dans ce chantier sur la cartographie avec, pour se mettre en jambes, un peu de Marcel Proust ( Du côté de chez Swann):

Le nom de Parme, une des villes où je désirais le plus aller, depuis que j'avais lu la Chartreuse, m'apparaissant compact, lisse, mauve et doux; si on me parlait d'une maison quelconque de Parme dans laquelle je serais reçu, on me causait le plaisir de penser que j'habiterais une demeure lisse, compacte, mauve et douce, qui n'avait de rapport avec les demeures d'aucune ville d'Italie puisque je l'imaginais seulement à l'aide de cette syllabe lourde du nom de Parme, où ne circule aucun air, et de tout ce que je lui avais fait absorber de douceur stendhalienne et du reflet des violettes. Et quand je pensais à Florence, c'était comme à une ville miraculeusement embaumée et semblable à une corolle, parce qu'elle s'appelait la cité des lys et sa cathédrale, Sainte-Marie-des-Fleurs.

un soupçon d'Emmanuel Ruben ( Dans les ruines de la carte):

C’est avec A la Recherche du temps perdu que les noms propres ont acquis dans la littérature une couleur, une odeur, une douceur, une saveur, un écho. Pour la première fois, les noms propres ont déployé toute la palette de valeurs qu’ils peuvent avoir pour un enfant dont le regard erre depuis des heures sur un atlas. La Recherche , on le sait, est tout autant une quête de l’espace perdu que du temps perdu.

Et Pierre Michon pour terminer ( extrait trouvé dans les Cahiers de L'Herne qui lui sont consacrés):


C’est quoi le réel articulé à la langue? Dans les VM, on le trouve, par exemple, à l’état brut dans certains noms de lieux: les lieux-dits, les noms de carrefours – Croix du Sud, Croix de Laurençon- ces mots qui désignent des sites non habités, à l’écart, et cependant marqués, par une croix, une pierre levée ou un arbre remarquable. On a toujours l’impression que ces lieux sont liés à un viol, une mort violente ou une adoration oubliée, à la mémoire d’un crime ou d’un saint obscur. Le carrefour a quelque chose de violent en lui-même. Et puis j’aime les très anciennes nominations: les noms de fleuves, par exemple, qui se ressemblent partout dans le monde, sans explication possible, avec une simplicité à rendre fous les étymologistes. Je repense aussi aux noms de ces hameaux de la Creuse où se déroule l’action des VM :quand je me suis dit que j’allais nommer ces lieux en leur conservant leurs véritables noms, ceux qui apparaissent sur les cartes, quand j’ai vu que ma main acceptait de tracer ces mots-là, j’ai eu la sensation qu’ils étaient aussi forts et aussi vrais que ceux de La Recherche.
Et la consigne:
dresser une liste de noms de lieux inscrits sur notre carte de référence, s'en saisir comme de sésames poétiques; écrire pour plusieurs d'entre eux une évocation ou faire en sorte qu'ils soient déclencheurs d'échos. Le travail peut - doit - se poursuivre en creusant la matière de ces noms!

mardi 14 novembre 2017

Cartographie 2

Il est long le chemin qui mène à la carte primitive; combien de paysages traversés, appris, imaginés, reçus par transmission orale. Soulever le couvercle de la culture pour rejoindre l’origine; mais la culture fait partie du voyage; difficile de passer de l’un à l’autre sans mélange. Est-il possible de retrouver le lieu primitif de l’être soi-même?
Carte, une cartographie personnelle, essayer de rassembler de petits bouts de papiers, déchirés de cartes différentes, de lieux différents représentés; les assembler pour se raconter; raconter l’histoire; retrouver à travers ces bouts hétéroclites, coller ensemble; l’essentiel?

Ma carte est large, mais ce qui m’évoque des souvenirs ce sont de petites zones éparses; au milieu le grand torrent.

Carte d’ici, carte d’ailleurs, cartes des lieux où j’étais, cartes des lieux où je me devais d’aller, cartes des endroits où je rêvais d’aller; cartes historiques des civilisations anciennes et des empires disparus.

Dans quelle voyage me suis-je embarqué? Pas de carte, ou alors des morceaux retrouvés, au fond de quelques poches de mémoire, cachés, miraculeusement préservés. Miraculeusement ou amoureusement? Inconsciemment ou de volonté délibérée? Je ne sais, parfois j’en devine la raison (vitale), parfois non, l’ignorance m’est quelquefois nécessaire à la survie; ou du moins je crois le croire; par moment.

Éviter de se perdre soi-même.

Carte rafistolée, comme seul indicateur à la recherche d’un fond de soi énigmatique.

Quelle faille interstitielle laissera percevoir l’azur clair d’une temporalité disparue, ou turquoise, ou marine. Vaine recherche qui ne dit rien des cartes: elles peuvent, elles, débrider les souvenirs enfouis par le refoulement ou l’oubli. Quelle chronique contera le déroulement des jours et des faits, le rassemblement des mémoires et souvenirs épars, l’ouverture des tombeaux? Mémento, souviens-toi! L’injonction salutaire peut pousser au déni, l’angoisse tord le corps, le cœur est distordu; bile amer  affleurant à la reconnaissance.

Plan de ville, plan de quartier. Voici la carte! Vision de deux montagnes qui ouvrent un passage; le vert sombre d’une forêt alpine, le gris d’une paroi rocheuse. Autre vision de deux montagnes, noires cette fois, s’emboîtant dans le ciel; bleu, gris, rouge; le ciel; sombre parfois. Gare routière, pour me rendre chez moi certains samedis; la même gare où je changeais de car au retour le dimanche après-midi.

Au fond, qu’est-ce que je cherche? Retrouver? Savoir?

Chercher la carte: elle existe, une seule carte, tout ou presque y tient. À vol d’oiseau, entre quatre vingt cinq et quatre vingt dix kilomètres, moins du double par la route, c’est peu actuellement. C’est peu au regard de la distance ressentie alors. Sans téléphone, on communiquait par lettres, le temps d’acheminement du courrier, c’était la mesure des distances.
Le dessin de la carte révèle des creux, des bosses, les collines, les montagnes, les plaines, les vals et les plateaux; en réalité la carte est plate, lisse, s’y dessine les reliefs, par le jeu des couleurs, les effets de perspective et les courbes de niveaux pour les petites échelles.
La carte est tout d’abord une lacune varicolore d’où émergent les points d’attache de mes enfances partagées; noms de villages, de villes; bleu, le fleuve, les rivières. Des itinéraires se mettent en place, des erres anciennes me reviennent; peu à peu, des lieux se découvrent sur les parcours de liaison entre ces points, une chapelle, vieille, une colline d’où, adossé au mur d’un cimetière, je contemplais la ville; une voie ferrée, que domine ce haut mur gris supportant des maisons de passementiers aux fenêtres hautes; ailleurs une petite rue, à droite les maisons serrées les unes contre les autres, au bout l’atelier du charron, à gauche un long mur de terre jaune avec, peut-être, un soubassement de galets; la porte à claire-voie d’un jardin de mineur près d’une voie ferrée; des crassiers; le grand fleuve qui file au loin entre les arbres; et le bain du soldat dans une rivière noire. Trace perdue, revenir sur ses pas, chercher un autre passage.

Chercher à mettre de l’ordre, trier, étiqueter, revoir les distances et s’étonner des proximités, de la signifiance éclatante de certains noms,  comme surgis du néant; noms qui m’apparaissent sur des cartes que je croyais connaître; noms que mes yeux enfin dessillés retrouvent avec étonnement; noms que je ne voyais plus; soudain ils apparaissent et je les reconnais.

Garder la tension intacte, il suffit de si peu pour que l’erre ne se rompe.


Lire les chemins, en suivre les tracés sur la carte, réajuster les distances, réajuster la mémoire sur les perceptions anciennes qui remontent du fond de l’inconscient, et dire les noms, à haute voix, les prononcer, les noms des lieux: les noms des gens…

Une route de campagne, tempête de neige

Une route de campagne, tempête de neige. Elle ne reconnaît pas les paysages. Sa dernière présence ici,  c’était en été : une balade sur le plateau, là où les résineux cèdent le pas aux touffes d’herbe rases, aux touffes d’herbe rares, pas loin des tourbières et des sphaignes. C’est à cet endroit précis, à cet instant précis qu’elle a senti au creux d’elle-même, un petit chatouillis, dans sa géographie intérieure de femme.
Aujourd’hui, elle roule avec sa Diane Citroën, elle essaie de suivre la trace du chasse-neige, mais tout est recouvert ; aucun relief entre la route, le talus, le fossé. Congères sculptées, un artiste est passé cette nuit, l’œuvre est mouvante. Blanche, glaciale et subjuguante.
Sa carte IGN est dépliée sur le siège à côté d’elle, et au-dedans, le chatouillis est devenu chahutage, la naissance n’est pas loin.
Elle se hâte car dehors la burle forcit, puis soudain, plaque de verglas, toupie, fossé.
La vallée est devenue ravin et ce seront, tout près, des gorges.
Elle distingue deux yeux jaunes qui se rapprochent, rayés par les traits de la neige, tout à l’heure floconneuse puis cristalline, désormais piquante. Un bruit de moteur qui pétarade, d’immenses roues rassurantes, qui, elles tiennent la route…
« Allez vous réchauffer près du feu ma petite dame, ne prenez pas froid, il faut le garder au chaud, votre bébé ».
Derrière la fenêtre désormais, les joues la brûlent, elle essuie la buée d’un revers de main. Sa pensée vogue vers ce chemin, l’été, la cascade à quelques vols d’oiseaux, du moins elle suppose, elle ne reconnaît rien.
C’est donc là qu’il reste, ce paysan, l’hiver, alors qu’en été sa jasserie se tient à portée de regard des tourbières.
La carte restée sur son siège lui paraît bien mystérieuse et théorique, elle ne parvient pas à convertit les taches vertes au milieu du blanc, les chemins bleus et sinueux des rivières, à quoi bon, les rivières sont gelées à présent,

Elle se dit qu’il devrait exister des cartes saisonnières, surtout dans ces pays de contrastes.

en cent mots, quatrième

La grande carte colorée Vidal Lablache est suspendue au tableau par un crochet. Le département de la Loire, tout en longueur…en vert, les plaines, en marron, les montagnes ; seuil de Neulise entre plaine du Forez et plaine du Roannais, à gauche, monts du Forez, point culminant Pierre sur Haute. À droite, monts du Lyonnais ou montagnes du matin, où se situe notre village. Les départements  limitrophes ; Saône et Loire, Rhône, Isère, Ardèche, Haute Loire, Allier. On trouve même les activités principales par zone : élevage, sidérurgie, tissage…. Les fins d’études mémorisent tout pour passer le certif’. Souvenir viv…

en cent mots, troisième

Une route de campagne, tempête de neige. Ça burle... Je sillonne les petites routes avec ma Dyane beige, ma carte IGN dépliée sur le siège à coté de moi. Tournée de visites dans un secteur on ne peut plus rural. Plaque de verglas, voiture au fossé. Moi,  enceinte de sept mois de ma fille. Un tracteur arrive : « allez vous réchauffer près du fourneau, ma petite dame. Ne prenez pas froid. Gardez votre bébé au chaud… »Je regarde par la fenêtre, essuyant la buée. Lui, bravant le froid et la burle, tire la voiture du fossé, avec son tracteur. 

en cent mots, deuxième

CM1, étude des courbes de niveau ; plus elles sont rapprochées,  plus le terrain est escarpé. Sortie dans la campagne pour une leçon pratique, mise en situation, nous comparons la carte d’Etat major et les côtes, au Vigneronnage, à la Valette, et autres lieux dits, dans ce village des montagnes du matin…Pédagogie Freinet, les BT, coopérative de l’école ; un élève  a piqué les sous dans la caisse et notre voyage scolaire se transforme en un pique nique dans le petit bois à deux pas de l’école ; fabuleux,  le seul dont tous, nous nous souvenons, cinquante ans après… !

en cent mots, première

Classe de cinquième ; cours de géographie Pour quelle raison ?  Aucune mémoire de cela,  mais un fou-rire m’a secouée avec un  camarade, du coup je plonge le nez dans mon cartable pour me cacher. Mais ce manège ne dure pas. La prof, surnommée « Tatan Gégé », me surprend et me punit. Dans la salle des cartes, située entre deux classes de géo. Dans le noir, cachée entre deux immenses Vidal-Lablache. Mais, humiliation surprise, la prof de l’autre classe surgit, sans doute pour récupérer une carte,  et me trouve en larmes. Honte augmentée, car l’autre prof, c’est ma mère…

dimanche 12 novembre 2017

cartographie #2 Sans les noms #1

Je vous écris sans les noms et sans la carte. à quelques milliers de kilomètres au Nord de partout. Certains paysages ressemblent à ceux de mon carré là-bas, ou bien je me l'imagine car l'exotisme a ses limites que la nostalgie n'ignore pas. 
Je vous écris arc-boutée sur mon carnet rouge dans le ciel, avec ces nuages qui se délitent en tempête et ne survolent que du néant liquide.
Je vous écris de mes souvenirs d'un lieu qui m'a vu naître mais pas grandir, que j'ai voulu renier croyant en avoir honte. Mais le lieu de votre naissance vous emporte avec lui et laisse autant de traces en vous que vous en laissez sans doute sur lui et vous enferme tout autant qu'il vous propulse.
Je vous écris sans les noms mais en pensant à un autre atelier "Mon lieu de naissance".
Je vous écris allongée sur les nuages de mon inconscient qui dit que le père est celui qui vous élève, pas celui qui vous conçoit.Je vous écris sans savoir jusqu'à quel point c'est juste, en butant les mots sur les mots et tous leurs sens.
Je vous écris, autiste, ramassée en moi-même, avec en fond sonore une voix qui parle anglais, qui dit des mots en glaise, de ceux dont on fait les cartes, les courbes de niveaux, les couleurs des reliefs, les échelles de mesure.
Je vous écris pour vous dire, sans les noms, tout ce que la carte ne dit pas, tout ce qu'elle dit et que je ne sais pas lire.
Je vous écris depuis les sensations cachées dans les plis de la carte, les noms des monticules et les noms des dépressions, le tracé de ma route originelle, les noms de la terre mère au nom du père, qui lorsqu'on gratte un peu, vous désignent sous la fine pellicule, les noms qui évoquent des landes et des morts, d'anciens maures, aussi peut-être.
Je vous écris si loin de mon carré dont la densité de population est à peu près la même que celle où je me trouve, en comptant les vaches et quelques poissons.
Je vous éCRIs Aline, pour qu'elle revienne, et je suis revenue, sans crier gare, sur les lieux du crime.

vendredi 10 novembre 2017

Cartographie # 2 : la carte au 1/50 000.

     Que je la regarde du Nord au Sud ou d'Est en Ouest une couleur envahit l'espace de ma carte I.G.N: le vert!
     Il mange les carrés des maisons isolées, dévore les hameaux, grignote les départementales et les quelques nationales pour mourir en frange de l'agglomération gagnée de haute lutte au moyen-âge sur les fourrés, les grands sapins et les grands pins à coups de défrichements successifs.
     Quand je suis arrivée là, ma première fois a été l'indécision: l'envie de rebrousser chemin tant cet univers était noir! Chaque chemin qui s'ouvrait, c'était l'entrée d'une grotte d'où pouvait surgir à chaque instant un monstre aux yeux rouges ou un diable crachant les flammes de l'Enfer qui aurait laissé ses empreintes sur la carte. Et l'envie de braver les éléments hostiles, de traverser le mur du sombre et de l'humidité, de pousser la porte qui permettait de comprendre l'obscurité, d'apprivoiser les frondaisons.
     La curiosité l'emporta. .Je me laissais glisser sur une départementale que j'emprunterais si souvent par la suite. La route sentait l'humus, respirait le silence entrecoupé du craquement lugubre des arbres si hauts que je les entrevoyais toucher le ciel. Des raies de lumière jaillissaient par endroits pour se poser sur les fougères exubérantes. Je baignais dans l'océan des verts: des vert-clair, vert-jaune, absinthe, lichen à des verts plus charpentés: vert mousse, brun-kaki, impérial ou Véronèse. Une vaste palette que le vert quasi uniforme de la carte rend bien trop fade.
     La route sinuait élégante et périlleuse dans une déclivité importante et s'enfonçait perpétuelle tout en obscurité et lumière tamisée. La voiture silencieuse et lente pour ne déranger ni choses ni bêtes laissait entendre le murmure d'une eau en contrebas mais impossible à identifier tant la pente était raide et capricieuse. Quand une trouée subite! C'en était fini de descendre. Une clairière grande comme un mouchoir de poche tapissée d'herbe pâle et en son centre, timide et malicieuse, la petite rivière roucoulait. Une haie clairsemée de courts roseaux et de grandes fleurs d'eau la protégeait des intrus de mon espèce. J'ignorais alors qu'elle escorterait mes longues flâneries et qu'elle embrasserait bien de mes coups au cœur. Je me contentais de suivre la boucle qu'elle décrivait, empruntais le pont qui l'enjambait, la laissais continuer son cours sur la gauche alors que la route m'emmenait vers la droite et que je grimpais à nouveau mais sur l'autre versant.  Autre point de vue mais omniprésent, le vert-forêt.
     Pendant plusieurs années, je m'endormirais en vert, me réveillerais en vert, rêverais , cauchemarderais en vert mélangeant âprement le vert maléfique du moyen-âge à celui bénéfique de l'espérance. Seulement voilà, l'espérance a failli.

mercredi 8 novembre 2017

Cartes, trajets et lignes d'erre

L'espèce humaine a, au cours des siècles, emprunté des voies, tracé des sentiers sur lesquels elle est cent fois, mille fois passée et repassée. Les cartes gardent trace des trajets réitérés des hommes au cours des siècles, de leurs routes, chemins etc … De même, la carte du ciel, dressée très tôt par l'humanité, où l'homme pour se repérer a nommé « La grande ourse » etc … lui sert encore pour se repérer la nuit.
Je viens de lire « L'arachnéen et autres textes » de Fernand Deligny (1913-1996) éducateur et animateur socioculturel français, une des références majeures de l'éducation spécialisée, en particulier de l'autisme.

Lui et son équipe ont dressé des cartes des trajets des enfants autistes dans leurs aires de séjour, tout à fait sidérantes.


Monoblet, 17 septembre 1977
Lignes d'erre de deux enfants autistes "pendant la vaisselle" entre 17h15 et 18h.


Monoblet, août-septembre 1977
Déplacements d'un enfant autiste entre la cuisine et la salle à manger (à gauche) et dans le jardin (à droite). L'écart correspond à la partie non transcrite des lignes d'erre entre les deux lieux.


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et pour vous mettre l'eau à la bouche quelques citations ... 

Où il est question de réseau :

« Le mode d'être en réseau est peut-être la nature même de l'humain »
« Le réseau n'est rien d'autre qu'un ensemble permanent ou accidentel de lignes entrelacées. »
« Hasard et coïncidences sont, à vrai dire, les maîtres-mots du réseau. »
« Que le tracé de lignes de l'arachnéen soit aussi permanent que celui des lignes de la main, c'est à peu près ce que je veux dire, à ceci près que le réseau des lignes de la main se voit sans peine alors que celui de l'arachnéen est sans cesse à découvrir. »

Où il est question de l'araignée et de sa toile : « arachnéen »

« Il y a 20 000 espèces d'aragnes et chacune d'elle a sa manière de tisser dont dépend la forme de la toile. Il semble bien que l'espèce humaine soit une, le réseau a donc toujours la même forme. »

Où il est question du hasard et de l'espèce :

« En réalité, hasard est un mot tout à fait inexploré et qui est simplement utilisé pour borner notre perplexité »
« L'arachnéen resurgit à tous moments de l'histoire, d'autant plus surprenant et déconcertant que les tenants de la société, au lieu de s'en prendre au hasard qui fait les choses, ne voient dans tout réseau que l'effet du concerté »
« La voie arachnéenne n'est pas tracée, tout comme la toile de l'aragne tissée sans cartons qu'utilisent les tapissiers »
« L'agir arachnéen a toutes les caractéristiques des gestes rituels. »

Où il est question des tracés de trajets, de lignes d'erre et de chevêtres :

« Grâce à cette pratique de tracer les trajets apparaît l'arachnéen des lignes d'erre qui sont traces des trajets des gamins dont le projet nous échappe. »
« Nombreux sont les chevêtres qui apparaissent dans la transparence des feuilles où sont transcrites les lignes d'erre, les chevêtres étant des où les lignes d'erre se recoupent, s'entrecroisent, dans l'espace et à travers le temps. Il est manifeste que, par bien des aspects de leur manière d'être, transcrites en trajets, ces enfants-ne font qu'un, manière de dire qui pourrait porter à confusion ; disons qu'apparaît ce qu'ils peuvent avoir de commun. »

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dimanche 5 novembre 2017

Dans un seul carré -sans les noms-

La carte pliée en deux, je replie le bord gauche puis le bord inférieur pour ne conserver qu'un carré délimité au NE par un énorme bâtiment que la légende qualifie « Hôpital public », à l'Est par une agglomération que traverse une rivière enjambée par un pont, au centre la rivière s'élargit, tout autour s'agglutinent de très nombreuses habitations recouvertes de cinq lettres majuscules dont je ne suis toujours pas parvenue à  déterminer si elles sont mon lieu séminal ou pas.
Les cartes sont encore plus invitantes ainsi repliées, plis, interstices, confins, zones cachées nous interpelant et nous invitant.
Ce que j'ai sous les yeux est plus urbain et me ramène à un autre temps que le précédent : celui du lycée, des bus attendus sur ce fameux pont chaque matin dans le brouillard, cache-nez serré autour du visage et grelottants. Je restais bouche-bée devant ces lycéennes au fort accent italien habillées comme des mannequins, maquillées, ce qui me semblait ABSOLUMENT incompatible avec le monde que j'allais rejoindre, celui de la culture, du latin, des auteurs classiques pour lesquels nous devions étudier pendant des années si on voulait un jour qu'ils nous soient accessibles. Elles résidaient en un lieudit portant un nom moyenâgeux et je n'y voyais qu'une incompatibilité supplémentaire plutôt que coïncidence. Le bus par une rue étroite, sombre, plongée dans le brouillard, bordée d'usines, chaussures, Fonderie d'argent, entreprises textiles et d'immeubles décatis où habitaient ces ouvriers que je voyais entrer au boulot en courant. Parfois, je la remontais à pied, le plus rapidement possible sans vraiment comprendre pourquoi ici la population parlait arménien, italien, arabe, nous disions d'ailleurs en parlant de certains immeubles « l'immeuble des arméniens ». Parfois, quand nous souhaitions rentrer à pied plutôt que de longer cette rivière souvent pleine de miasmes, nous pouvions emprunter un chemin dit « Chemin vieux » mais il fallait le cacher aux mères qui n'y voyait que satyres rôdant dans les fourrés aussi ne le prenions-nous qu'à plusieurs, pouffant de leurs peurs qui pourtant donnaient toute sa saveur à ce chemin bordé de mûres sauvages.

Par contraste, tout là-haut dans la lumière perchés sur la colline, les imposants bâtiments de l'hôpital dont le père de mon amie de coeur était le directeur, personnage encore plus important et effrayant que les bâtiments, dans sa 404 verte, toujours accompagné de sa belle secrétaire dont nous savions toutes -sans le savoir- qu'elle était sa maîtresse. Arrivés au Pont Neuf qui enjambait LE Fleuve et que nous ne traversions jamais, nous apercevions face à nous, tout là-haut, perché au sommet d'une colline, une église et sa vierge, où plus tard j'irai avec mon amoureux pour dominer LE fleuve, embrasser les toits, rêver à l'avenir radieux qui nous attendait forcément, nous embrasser dans le mistral que nous adorions alors, emportés à la proue d'un bateau en partance, naviguant très loin et tout là-bas, dans les champs par delà le fleuve, des immensités d'iris se balançaient dans la lumière. 

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vendredi 3 novembre 2017

rêverie en relief

Elle est hantée par le vent qui la traverse .
Elle laisse l’ œil errer à la surface .
Elle offre au doigt sa peau à déchiffrer .
Elle immerge le lecteur sous des arches de temps.
Elle creuse les recoins de flaques d’ombres.
Elle conjugue les silences abandonnés sur les bas-côtés
                                                                                           Elle terre ses secrets.

Elle colore de rêveries les plaines d’un vert vif .
Elle charpente de vertèbres brunes les monts et les sommets.
Elle ajuste l’œil à l’abime.
Elle noie quelque chagrin dans une lumière bleutée.
Elle s’échoue sans façon sur les plages d’un jour .
Elle esquisse des formes où s’effilent des arbres.
                                                                                         Elle terre ses secrets.

Elle funambule sur le fil des émotions.
Elle plonge dans un infini improbable.
Elle prend langue dans les lieux-dits
Elle délivre la grammaire d’un devenir.
Elle déploie un éventail d’ailleurs où se perdre.
Elle délimite la frontière des regrets.
                                                                                          Elle terre ses secrets.

Elle emmêle les voix du passé.
Elle plie, elle déplie, elle replie.
Elle pleut au plus ras.
Elle fuit aux essentiels.
Elle donne à triturer des tessons de terre.
Elle laisse la suie au creux de l’écriture.
                                                                                        Elle sourit au ricochet du poème.



jeudi 2 novembre 2017

libellés dans les messages

Attention aux doublons dans les libellés : Atelier 2017-2018 et atelier 2017-2018. j'en ai vu d'autres aussi. Bises. MPB
(messages éphémère qui s'autodétruira...) - 

mercredi 1 novembre 2017

On n'a pas le droit de dire les noms cartographie#2

On n'a pas le droit de dire les noms. Je les connais cachés dans mes gènes sans toujours savoir que c'étaient là qu'ils habitaient, comme un patrimoine en vrac, sans savoir exactement où les situer par rapport au berceau. Le premier pli fait comme une douche en Y faisant couler du vert et du plus ou moins marron avec les veines bleues du fleuve chéri dont l'une des boucles est coupée car au-delà des limites.
"La déclinaison magnétique correspond au centre de la feuille, au 1er janvier 2007. Elle diminue chaque année de 0,14 gr". Bigre, c'est bon à savoir !
En bas du 2ème pli, mais au Nord du 4ème carré, c'est "Là", avec ce drôle de nom qu'on n'a encore moins le droit de dire, car dans un autre contexte, c'est un gros mot. Tandis que là, ça veut dire "pierres", ça commençait déjà là, l'épopée. Sur la carte au 1/25 000 ème, je vois presque la maison où je suis née. C'est si précis qu'on voit même les ronds-points. Dans les 3ème et le 4ème plis, un espace presque blanc, comme glacé au sucre, si blanc par rapport aux autres reliefs, si l'on en croit les dégradés, et il n'y a aucune raison de ne pas les croire- qu'on pourrait le penser au dessous du niveau de la mer. La veine bleue continue son chemin, se glissant dans une gorge, faisant croire qu'elle se partage alors qu'elle reçoit un affluent, mais toujours cette manie, ce faux-ami de lire du haut en bas.
Cette grande entaille orange, c'est une nationale qui coupe ici un village en 2.
"Equidistance des courbes : 5m"
Dans un coin du 3ème pli, le lac (dans la légende : Nappe d'eau permanente")un lac de cratère, donc tout rond. Autour, du vert et encore du vert, pointu. Ce sont les forêts de conifères. Un 1er janvier pour fêter ça, nous nous y étions rendus, respirer l'air de l'an neuf, marcher sur une timide pellicule de neige qui ne figure pas sur la carte.
Quelques signes sont difficiles à déchiffrer, à l'extrême nord ouest, je décide qu'il s'agit d'anciens vestiges de voies carrossables, je verrai qu'en faire plus tard.
En scrutant bien on aperçoit parfois une chapelle ou une croix solitaire, fichée au bord de la route ou bien plantée en sentinelle reconnaissante à 1076 m d'altitude.
Relevant certains noms de lieux, je fais des "Ah !" je fais des "ça alors !"
parce que leur contigüité m'étonne et me réjouit mais qu'en même temps ça bouleverse complètement ma géographie primitive.
Un jour il faudrait relever le nombre de fois où les lieux sont des pierres des roches et des cailloux.
Carte 2736 E 1cm =250 m