jeudi 16 novembre 2017

Cartographie 3

Troisième séance dans ce chantier sur la cartographie avec, pour se mettre en jambes, un peu de Marcel Proust ( Du côté de chez Swann):

Le nom de Parme, une des villes où je désirais le plus aller, depuis que j'avais lu la Chartreuse, m'apparaissant compact, lisse, mauve et doux; si on me parlait d'une maison quelconque de Parme dans laquelle je serais reçu, on me causait le plaisir de penser que j'habiterais une demeure lisse, compacte, mauve et douce, qui n'avait de rapport avec les demeures d'aucune ville d'Italie puisque je l'imaginais seulement à l'aide de cette syllabe lourde du nom de Parme, où ne circule aucun air, et de tout ce que je lui avais fait absorber de douceur stendhalienne et du reflet des violettes. Et quand je pensais à Florence, c'était comme à une ville miraculeusement embaumée et semblable à une corolle, parce qu'elle s'appelait la cité des lys et sa cathédrale, Sainte-Marie-des-Fleurs.

un soupçon d'Emmanuel Ruben ( Dans les ruines de la carte):

C’est avec A la Recherche du temps perdu que les noms propres ont acquis dans la littérature une couleur, une odeur, une douceur, une saveur, un écho. Pour la première fois, les noms propres ont déployé toute la palette de valeurs qu’ils peuvent avoir pour un enfant dont le regard erre depuis des heures sur un atlas. La Recherche , on le sait, est tout autant une quête de l’espace perdu que du temps perdu.

Et Pierre Michon pour terminer ( extrait trouvé dans les Cahiers de L'Herne qui lui sont consacrés):


C’est quoi le réel articulé à la langue? Dans les VM, on le trouve, par exemple, à l’état brut dans certains noms de lieux: les lieux-dits, les noms de carrefours – Croix du Sud, Croix de Laurençon- ces mots qui désignent des sites non habités, à l’écart, et cependant marqués, par une croix, une pierre levée ou un arbre remarquable. On a toujours l’impression que ces lieux sont liés à un viol, une mort violente ou une adoration oubliée, à la mémoire d’un crime ou d’un saint obscur. Le carrefour a quelque chose de violent en lui-même. Et puis j’aime les très anciennes nominations: les noms de fleuves, par exemple, qui se ressemblent partout dans le monde, sans explication possible, avec une simplicité à rendre fous les étymologistes. Je repense aussi aux noms de ces hameaux de la Creuse où se déroule l’action des VM :quand je me suis dit que j’allais nommer ces lieux en leur conservant leurs véritables noms, ceux qui apparaissent sur les cartes, quand j’ai vu que ma main acceptait de tracer ces mots-là, j’ai eu la sensation qu’ils étaient aussi forts et aussi vrais que ceux de La Recherche.
Et la consigne:
dresser une liste de noms de lieux inscrits sur notre carte de référence, s'en saisir comme de sésames poétiques; écrire pour plusieurs d'entre eux une évocation ou faire en sorte qu'ils soient déclencheurs d'échos. Le travail peut - doit - se poursuivre en creusant la matière de ces noms!

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