Je lis la carte de
manière hébraïque de droite à gauche, j’avance
dans le sens opposé de mes ascendants,
avec l’espoir peut-être de
rencontrer l’un d’entre eux à quelque endroit du chemin.
Je
pars de Saint-Etienne et me dirige vers l’Ouest. Si je me remémore
le plus ancien tracé effectué avec la
202,
nous passions du centre ville à Bellevue en remontant la Grand’rue,
et traversions les cités sombres et tristes d’alors: La Ricamarie
qui n’avait rien d’une cité riante, le Chambon-Feugerolles qui
n’était que cette ville d’usines à grandes cheminées
d’où fumait toute la fatigue
des ouvriers métallos, puis nous bifurquions sur Unieux, avec au
Vigneron la maison du tonton Pierre saluée d’un regard rapide, et
que j’imaginais travailler dans des vignes alors qu’il crachait
ses poumons dans des galeries de mine. Je
n’ai aucun souvenir de ce qu’il fut, il ne subsiste que des
blancs entre nous sans aucune pépite de sa vie. Un grand-oncle
d’arbre généalogique sans
visage.
A partir de là
s’ouvrait la deuxième partie du trajet, celle où la route allait
virvolter et le mal au coeur s’emparer de moi: le Pertuiset – et
j’ai toujours besoin de réflexion avant d’écrire son nom
correctement, tant reste l’appellation enfantine qui revenait à
chaque passage sur son pont: et
pourquoi pas la mère Tuiset
!- . Mais
c’était la route du Père qui se poursuivait,
on
parvenait à Saint-Maurice-en Gourgois et dans l’aura de
l’enfance
qui recouvrait mon père prénommé Maurice, j’ai longtemps cru ce
village érigé là en son honneur….Les noms à rallonge
s’enchainaient et , même si on ne les traversait pas , les
panneaux indicateurs s’inscrivaient avec force dans
la mémoire
: Rozier-Côtes-d’Aurec
qu’on prononçait sans espace dans
la voix
me paraissait un lieu féerique alors que le suivant
Saint-Hilaire-Cusson- la- Valmitte déclenchait plutôt les rires.
Des
noms de lieux cristallisés et vidés de leur sens originiare
dont ne
reste
qu’une entité phonique détachée de la réalité.
Apinac
marquait la troisième partie du trajet, parce
que le nom de mon village apparaissait en notifiant même le nombre
de kilomètres à percourir, et que même à pied, il pouvait être
rejoint. De le voir inscrit sur le panneau routier: Tiranges
7 km,
il prenait une forme de réalité différente, puisqu’ ainsi il
existait pour d’autres personnes que nous et
n’était pas simplement ce nom de village qui rimait avec mon
prénom en une rime riche à
la sonorité paisible. Sa
lettre muette à la fin, inutile, sans raison d’être mais qui me
semblait une sorte de coquillage où s’étreignaient mes souvenirs.
Sur ces derniers kilomètres, les hameaux peu nombreux défilaient
avec
le premier village de Haute-Loire Le Villard, qui apparemment n’est
pas une commune, contrairement à ce que je croyais, mais appartient
à celle de Saint-Pal-en-Chalancon avec la direction de Bouffelaure à
sa sortie, où je ne suis bien sûr jamais allée! Boisset lui
succède : Le nom de
Boisset a
deux origines possibles; le nom latin Boschetum
signifiant "petit bois", ou le nom buxetum
désignant un lieu couvert de buis. Il est donc probable qu'un bois
ou des fourrés de buis occupaient jadis le sommet de la colline sur
laquelle s'élève aujourd'hui le bourg de Boisset.
J’aime
beaucoup l’arrivée sur ce village, le plateau qui le précède
laissant aux monts de l’horizon la place pour s’étendre et
la relation
avec ce paysage s’installer. Il
reste deux kilomètres environ avant de voir le panneau d’entrée
du village: Tiranges et emprunter la Grande Allée d’autrefois.
L’origine
de l’appellation Tiranges remonte à l’époque
gallo-romaine, du nom du propriétaire du domaine
Tiro
de Tyrius.
Dans la première moitié du XI° siècle le cartulaire de
Chamalières, mentionne la donation d’un
certain Humbert dans la paroisse de Tirangis.
Au
XII° siècle il est écrit Tiranias
en 1293 Tiranges.
A
l’endroit
où la route se
divise en deux,
la voiture suit alors le
chemin
de droite , longe la chapelle Notre-Dame, se faufile entre des corps
de maisons resserrées -
je
jette
toujours un regard sur
la droite
vers cet ancien bâtiment (que
je
viens de découvrir
à vendre)
l’école
des soeurs d’autrefois
-
puis
prend la courte descente et tourne à droite dans la ruelle où un
panneau récent indique Le Châpre que
l’on voit
avec
ou
sans
accent circonflexe, avec
deux p parfois, un s en prime
ou même transformé en Chatre sur certains documents.; parfois le
masculin cède la place au féminin ou se transforme
en pluriel! Mais
pour moi, il est
singulier et s’écrit
avec cet accent circonflexe qui semble protéger la maison qui m’est
chair
de tout danger ou
malfaisance….Tout en haut sur une large pierre de granite, mon
arrière grand-père a fait graver son nom: PORTE sur la maison qu’il
a achetée en octobre 1877, qu’il fera agrandir en 1913 alors
même que sa maison se vide de ses occupants….
Il
faudrait pouvoir dire le temps absent, les voix qui surgissent à
l’intérieur de ma voix, tirer les fils de ce palimpseste pour
sauver et
faire frémir encore ces vies laissées en héritage. Rester
encore à côté de ces existences tremblées, appuyer son oreille
contre la terre et récolter les mots qui s’en extraient. Scruter
la carte IGN 28340, parcourir
les
alentours écrits
là, et qui ont donc une réalité
: la Moutière, le Garet, le Verdier, Chaumont, Bois de Cour, les
Rois, Boissières, Drossange, La Grange du Fieu, Durand, Chalencon,
tous arpentés à de nombreuses reprises et
où des herbes sèches résistent au crépuscule.
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