vendredi 25 mars 2016

Turlurette


« Aujourd'hui un air en tête qui ne me quitte pas, dansant la gigue, tournant et retournant inlassablement en ritournelle du soir au matin, quelque chose qui s'enroule et dont je ne peux sortir. Ou d'autres jours un air de malheur tournant en boucle dès le lever, jouant sa rengaine de pipeau et agissant comme un appât pour mieux m'attirer dans l'ornière, quelque chose d'irrémédiable comme une condamnation. Dans les deux cas, l'étrange sensation de ne plus être ce que je croyais être : D'où vient ce décalage ? Qui remonte ce ressort ? Que sont ces entrelacements intérieurs involontaires et incontrôlés ? Un marionnettiste s'est-il emparé de mon corps et de mon esprit pour me faire chanter et ressentir à sa guise ? Ne suis-je qu'un jouet chantant, dansant, virevoltant ou un corps pesant, sachant d'avance que la journée ne m'appartiendra pas ? Qu'est-ce qui, de mon passé remonte et m'interpelle ? »

mercredi 23 mars 2016

Aujourd'hui toucher ...


... la vie, toucher les coeurs ; toucher et être touché par la beauté d'un regard, par un appel de désespoir, touché comme un bateau qui va couler ou un avion s'écraser. Touché en plein coeur et presque dans un cri de joie comme lorsqu'enfant, nous jouions à la bataille navale et que nous atteignions notre but. Toucher du bout des doigts, effleurer ta peau et reconnaître ton visage dans le noir, touché par ton odeur qui s'est incrustée en moi et n'a jamais quitté mon souvenir. Emu par la caresse d'un regard qui va tout droit à l'âme. Ne pas se contenter de frôler la vie mais la prendre à pleines brassées, la mordre à pleines dents, être ébranlé par sa beauté et la souffrance. Fondre de plaisir quand tu me touches. »

samedi 19 mars 2016

Berlin bleibt doch immer Berlin

Une cour intérieure dans Berlin-est. Vue de ma fenêtre : trois immeubles de briques rouges. Le mien identique aux trois autres referme la cour. Des immeubles de huit-dix étages, austères, sans crépi, dans un parfait alignement comme on en a tant vus dans les films, ces immeubles que l'on voyait dans tous les pays de l'Est et qui n'ont, de lieux de vie que le nom. Fenêtres alignées, sans linge qui sèche, sans fleurs ni plantes, on n'est pas à Naples tout de même.
Le regard plonge au fond de la cour comme dans un puits. Tri sélectif oblige, un grand espace propre et rangé où s'alignent les poubelles aussi nombreuses que les types de déchets. De nombreuses bicyclettes, noires toutes, sans fioritures ni multiples vitesses sont stationnées le long des porches.
C'est pourtant dans un appartement d'un tel immeuble que nous avons choisi de passer notre semaine de vacances à Berlin. Nous logeons dans la Bernauerstrasse, cette rue qui a été coupée en deux par le mur. Nous sommes tout à côté de la Zionskirche, église tristement célèbre : ses salles paroissiales furent perquisitionnées par la Stasi dans la nuit du 25-11-87 car ses sous-sols abritaient une fameuse bibliothèque bien connue de l'opposition. On y disait des poèmes, on y organisait des débats, les livres officiellement interdits y circulaient sous le manteau. Des jeunes gens qui s'y trouvaient furent arrêtés ce qui allait susciter une incroyable vague de solidarité dans le pays. Nuit et jour, des jeunes faisaient brûler des cierges devant la Zionskirche afin d'obtenir la libération de leurs amis. Les habitants du quartier apportaient du café chaud et des sandwichs -tradition qui se perpétuait lors de notre séjour, pour les sans-abris -. Nous sommes tout près de la Rosa Luxemburgplatz, de la Volksbühne (célèbre théâtre populaire de style Art Nouveau où fut fondé le théâtre politique, héritier de Bertold Brecht) et de Karl Liebknechtstrasse. Aujourd'hui encore, lors des manifestations ce sont encore et toujours les mots de Rosa Luxemburg que les manifestants brandissent sur des pancartes « La liberté c'est d'abord la liberté de penser des autres ». Que pouvions-nous faire d'autre à Berlin qu'arpenter ces arrière-cours, ces rues ?
Les appartements de ces immeubles ont été rachetés pour une bouchée de pain par de jeunes étrangers débrouillards, courageux et inventifs. Notre logeur, un jeune espagnol, s'exprime encore mal en allemand et dans un anglais presque pire. Lui et sa famille ont entièrement refait plusieurs de ces appartements, les rendant spacieux en faisant tomber quelques cloisons, les éclaircissant par le choix de murs et carrelages clairs et les rendant confortables par des meubles modernes légers.
Lorsque nous rentrions de nos visites, frigorifiés – cet hiver-là, les températures frisaient les moins dix-sept à Berlin- nous devions monter à pied nos neuf étages. Tout en comptant machinalement les marches de l'escalier « eins, zwei, drei, vier, fünf, sechs, sieben », me revenaient en tête chaque jour, à chaque étage, de petites comptines que me chantait mon grand-père allemand et dont j'avais totalement oublié l'existence. Ce sont les mélodies qui revenaient en premier, je commençais par les fredonner, et au fil des jours et des étages, les paroles incomplètes d'une strophe surgissaient. Le lendemain, je l'avais en entier et un second couplet venait s'accrocher au premier. C'est ainsi qu'au fil de la semaine, je redevins bilingue : tout un passé que j'ignorais posséder m'avait rattrapé.

jeudi 17 mars 2016

FENETRE SUR COUR-S

Cours, cours ! ni ne trébuche, ni ne vole en éclats
Cours, cours ! turbo sur ton coeur
le danger à tes trousses, mais loin déjà
les jonquilles se fanent dans l'air que tu déplaces, la route du tremblement de terre qui s'élargit derrière toi
Cours, cours ! avale ton haleine
recrache tes poumons en feu
Ton visage écarlate à portée de fusil, ce n'est que le sang qui te bat, tes tempes tamponnées de douleurs scintillantes, ajournés les sons dans tes oreilles assourdies.
Cours ! le salut est dans la ligne de fuite. Plus de distance tu mettras et plus de chance de respirer encore d'autres fois. Cours ! Loin devant
Cours ! prends tes jambes à ton cours, prends ton coeur à ton pouls. Cours ! Laisse derrière toi le velours des mensonges, les mobiles immobiles, les pannes d'oreiller.
laisse derrière toi les nuits sans rebours, les neiges sales amassées sous le lit, les repas de petite vieille à la coque, les attentes inutiles entre 2 pages de livre.
Cours !
Agrippe toi au paysage, aux arbres qui n'attendent rien de toi, à cet écureuil tendre. Cours !
Ne pense plus à cette maison aux fenêtre sans jour, aux fenêtres qui emmuraient ton regard. Ne pense plus à cette femme à sa fenêtre, qui dévoilait à peine le rideau pour épier l'ombre d'un événement, la venue du printemps.
Ils ont coupé le cerisier, ils ont cisaillé le printemps.
Cours ! oublie la fenêtre, oublie la porte, oublie la cabane douillette, oublie le jardin, oublie la cour.
Cours ! courage ! Cours !

troubles dans le genre

Elle ouvre la fenêtre donnant sur la cour,
mais son geste s'arrête
sa main, suspendue dans la poussière du lever du soleil, est
épaisse
ses doigts, gonflés durant la nuit
elle les observe de plus près
pressent une conversion involontaire
soulève sa manche et des poils bruns apparaissent sur un poignet osseux, sur une peau rêche
Elle fonce dans la salle de bain
la glace reflète un visage inconnu bien que familier
une barbe courte pigmente le menton, les joues

Elle se souvient que, bien sûr, elle s'était déjà demandée quelle personne serait-elle si elle était née garçon
elle ressemblerait à sa mère, sans doute
les jeunes hommes ne semblent pas ressentir l'impérative nécessité de se distinguer du ventre maternel, est-ce vrai?
aurait-elle participé à des bagarres de cour d'école? choisit de faire un sport collectif?

être dans une école de garçons
être un garçonnet serein ou nerveux
être dans des groupes de pairs, emprunter ou s'échanger des masques de virilité
être père

comment dire "je"?
comment s'accorder avec un unique "é"?
comment faire partie d'un genre universellement admis ?


Les troubles le fatiguent et malgré l'agitation
il s'allonge sur un lit, en pleine journée
les rêves soufflent
le sommeil emprisonne


Il ouvre la fenêtre donnant sur le jardin,
mais son geste s'arrête
sa main, suspendue dans la poussière du coucher de soleil, est




dimanche 13 mars 2016

Aujourd'hui il a dit ...

 « Aujourd'hui il a dit rien. Ces visages m'ont juste regardée, se sont contentés de me regarder. Ils n'ont pas prononcé une seule parole pendant une heure trente. Leurs yeux, leurs regards, leurs gestes, leur tenue vestimentaire étaient assourdissants de présence et d'interpellation. Ils criaient, me happaient, me faisaient signes ou sourires. Mon âme tremblait de leurs souffrances ou souriaient de leurs joies. Je comprenais leurs appels, je percevais leurs désarrois, je n'étais pas dupe de la comédie qu'ils se jouaient parfois. Mais j'étais là, acculée à mon siège, spectatrice comme dans la vie, assourdie par leurs présences. Incapable de leur répondre, je regardais et me contentais de regarder. Regarder, écouter ne suffit pas, laisser l'autre hurler sa douleur singulière sans lui dire qu'on la partage, sans lui tendre la main c'est le tenir hors de l'humanité et s'en extraire soi-même. »

Ce texte m'a été inspiré par "Singspiele" le spectacle de M Marin vu hier à La Comédie de Saint-Etienne

jeudi 10 mars 2016

Les principes à l'épreuve


" L'histoire de chacun se fait à travers le besoin d'être reconnu sans limite ; l'amitié désigne cette capacité infinie de reconnaissance. Imaginer que ce besoin soit constamment celui d'autrui, que l'autre comme nous-même soit livré à cette exigence et acharné à obtenir réponse, qu'il se dévore lui-même et qu'il soit comme une bête si la réponse ne vient pas, c'est à quoi on devrait s'obliger et c'est l'enfer de la vie quand on y manque. Le chemin de la reconnaissance, c'est l'infini : on fait deux pas, on-ne-peut-pas-tout-faire, mais personne n'ose justifier autrement que par un petit cynisme le recul devant une telle tâche ... » 

Actuellement à la Comédie de Saint-Etienne, "Singspiele" un spectacle de Maguy Marin. 
Cette phrase bouleversante de Robert Antelme se trouve dans l'en-tête du dépliant présentant le spectacle.

"Les principes à l'épreuve" article paru le 14 juillet 1958 dans la revue « Le 14 juillet » créée par D Mascolo et J Schuster repris dans « Robert Antelme – textes inédits » sur « L'espèce humaine » Essais et témoignages » Editions Gallimard.

dimanche 6 mars 2016

Aujourd'hui idées parasites

 Mireille, l'animatrice de sophrologie, m'a appris il y a des années, grâce à une image, à parvenir -parfois et quand je l'ai vraiment décidé – à me débarasser des images parasites. Il suffit de se détendre, de se concentrer et de les regarder passer comme des nuages dans un beau ciel sans s'y attarder ni leur donner la moindre importance. Juste les regarder filer et prendre conscience du phénomème. On appelle ça « la pleine conscience ». En effet, il en passe ainsi sans cesse et par milliers dans notre cerveau. Nous n'y pouvons rien, notre cerveau est ainsi fait que, tel sur un écran de télévision, les images défilent en grand nombre et sans discontinuïté. Il ne sert à rien de vouloir les arrêter car nous en sommes dans l'impossibilité. J'aime aussi beaucoup cette belle fable : Je ne peux empêcher les oiseaux de mauvais présages de passer au-dessus de ma tête mais je peux les empêcher d'y faire leur nid. »

samedi 5 mars 2016

Chamouraï













Un lieu où se reposer dans une ambiance Chat-leureuse, entouré de félins endormis et paresseux pour la plupart (en tout cas lorsque j'y étais). Non recommandé pour notre Laura-Solange car, bien évidemment, ils se réveilleraient pour venir se frotter à ses jambes.

http://lechamourai.fr/

Café à chats "Le Chamouraï" 8 rue Pailleron Lyon Croix Rousse

vendredi 4 mars 2016

La soeur au fusil (détail)

De sa voix glabre, il m'interpella
Hep, vous là-bas ! avec votre air courroucé en corne de gazelle, vous n'auriez pas l'heure ?
je détournai mon attention du front de mer et regardai l'individu rasé de loin, qui s'avançait avec une démarche misérable, les bras fauchés, les cheveux au galop s'échappant de sa casquette framboise, le pantalon glissant, les godillots surpiqués.
Il se planta courtisan devant moi, et de sa bouche édentée comme l'as de pique, sortit un crachat velu et parisien.
je consultai ma montre arc-en-ciel et lui annonçait tout de go qu'il était l'heure, et que moi j'avais le temps.

Phrases volées aussitôt que prononcées


"La France j'y suis née. L'Allemagne j'en suis née.
Je prends l'allemand pour ma mère, je prends ma mère pour l'allemand.

C'est un abîme qu'on essaie de franchir par l'écriture.

Une voix c'est de la chair qui chante.

Il suffit de tendre les bras de l'âme pour toucher des murs invisibles.
Les murs intérieurs on ne les abat pas."


Hier, à la Villa Gillet, j'assistais à la conférence donnée par Hélène Cixous et Cécile Wajsbrot à propos de la sortie de leur livre d'entretien "Une autobiographie allemande". Elles étaient interrogées pat Margot Dijkgraaf.

Il est des sujets qui vous atteignent l'âme, vous bouleversent et ne vous laissent pas indemnes. Le leur, ce soir-là en était un pour moi : L'Allemagne, la langue allemande, le passé, la mémoire, demeurer, partir, revenir, exil ...
Je sais bien qu'on ne peut extraire ainsi des phrases de leur contexte sans courir le risque de profondément en altérer le sens. Je vous les livre cependant comme les vers d'un poème ou des fragments de plusieurs poèmes. Car ce sont ces mots-ci qui ont résonné en moi et continuent de creuser leur chemin.

Demeure en moi une énigme : que signifie "langue maternelle" quand, comme c'est mon cas, c'est sa langue paternelle qui en tient lieu ou plutôt quelles en sont les conséquences dans une vie ? Il me reste l'écriture pour- peut-être un jour- m'approcher d'une réponse.

jeudi 3 mars 2016

cheveux, yeux, joues, nez, bouche...

Il vient de loin, un peu raide
silhouette à peine éclose d'un marbre rose
ombre dans l'éther du coucher
Je perçois d'abord ses oreilles pointant comme deux elfes mal fagotés
puis une bouche en amande amère
des joues creusées par la houle dessinant deux puits inachevés

Maintenant il est tout proche, je pourrais presque l'effleurer par mégarde
il a un nez Guerlain
un corps de tigre à l'affût devant la menace du chasseur
une bourrasque brève soulève des reflets de lune
et ses cheveux prennent le galop

bientôt le silence avale
l'ovale du visage
                                  et demeurent un trait d'encre
son menton
                                  un pointillé de virgules
le regard
                                 deux cratères de larmes.




Atelier à la Pinède, le 24/02/16; il s'agissait d'abord de trouver des adjectifs incongrus aux parties du visage. Puis de décrire un personnage en utilisant ces adjectifs ou en s'en inspirant. On a terminé sur la création de titres (livres, films) impliquant un personnage.