dimanche 25 octobre 2020

Bleu Guyane et retour Mon texte pour le livre Bleu Chapitre 3 de la bibliothèque bleue - La Ricamarie

Bipe, ça vient d'où ?

Bipe ça vient de rien, ça vient du nom qu'on n'arrive pas à dire

Bleu électrique

la poudre des ailes des morphos sur les paupières ouvertes sur la mort

Le regard emporte avec lui pour dernière vision la silhouette d'arbres en rangée,

le muret de pierres, la nuit qui s'épaissit en crissant

 Il tombe, il sombre

une première fois sous le gourdin

une deuxième fois sous les pierres

Et me lègue la moitié de mon prénom

Bipe ça vient d'où ?

 Sur son crâne sur son front, le sang coule puis se fige,

la réalité sépia

rangée pour longtemps dans l'enfer des placards

 

Bipe ça vient d'où ?

Des grosses pierres maculées de sang

 

Le bleu du ciel au petit matin froid d'octobre

rassemble les badauds, tenus à distance

petite foule silencieuse, dans l'attente du nom

le public du fait divers

qui reste sur le cliché

Sur son crâne sur son front, le sang coule puis se fige,

la réalité sépia rangée pour longtemps dans l'enfer des placards

 Le jeune assassin a sous les ongles un peu de terre

quelques grains de granit

sur ses vêtements une odeur de moutons, de sueur, de sang sans doute

une odeur de vinasse mal fêtée.

Sur le front un bleu bossu de s'être cogné ivre à des obstacles complices.


Il est déjà en fuite, à bord d'une diligence

Il est déjà rattrapé

Il est déjà condamné

tondu, emmené sur l'île de Ré,

Il est déjà sur le navire Le Loire, sur l'océan anthracite où il vomit les bleus de sa petite vie minuscule et le repas exceptionnellement copieux de sa ration de transporté

Il est déjà dans son bagne, à l'extrême Ouest, près de l'embouchure du Maroni,  près de la Guyane hollandaise, celle où j'ai fait frontière

agacé par les mouches à feu,

à fabriquer des émouchettes pour protéger les bêtes

desquelles lui-même ne peut se protéger

Il est déjà mort, tout ça pour ça,

13 mois le séparent de ce cataclysme, entre la mort de Pierre et la sienne

Et de sa propre embouchure sortent des papillons velus, des papillons qui font de la lumière et

qui emportent son dernier souffle au fond de la forêt

Je ne ramène plus de pierres à la maison sauf ces deux-là   témoins ou non de ce fait d'hiver-printemps-été-automne  *  Puis j'arrivais à mon tour.*;*;*    120 ans plus tard, au moins, et après avoir rencontré beaucoup de pierres, j'allais visiter la scène de crime. Toute la journée, je portais deux pierres, comme des enfants dans mes bras.     Cueillies près du mur d'origine et je me demandais ce qu'étaient devenues celles qui avaient rencontré la tête de mon arrière grand-père. Ont-elles été envoyées au bagne avec l'écraseur de crâne ? Ont-elles été enfermées au placard des pièces à convictions avec le couteau de tous les Ravaillac ?       

Dans ma tête le sang afflue et forme des vaguelettes de douleur

Les pierres là-bas ne sont bleues que parce qu'on les a peintes, sinon elle sont noires, brûlantes, luisantes, sans espoir. bordant des routes, faisant échancrure dans le paysage qui n'a pas tellement besoin de murs, d'un côté l'océan, les requins et la boue, de l'autre la forêt. piège parfait.

 Depuis le Suriname, j'ai pris l'avion pour une île de rêve, de carte postale à palmiers où les enfants portaient des uniformes dans des écoles peintes en rose ou en bleu ciel entre quelques vols de tourterelles à queue carrée.

Dans ma tête, les pierres ont peu à peu fait place aux papillons. les douleurs volettent et emportent des mots, les souvenirs prennent la poudre d'escampette, les noms coupés par des virgules et des traits de désunion

Je suis Marie et je suis Pierre,

Et Bipe, ça vient d'où ?

Bipe ça vient de ne pas savoir qui être

Maternelle et douce, tranchante et contondante, avec des reflets de colère irisés.

Bleus des coups cachés sous l'hélichryse, les immortelles et la lavande, celles qui lavent plus bleu que blanc, le linge sale des familles. il se cogne la tête, contre la pierre de sa cellule.

Il n'y a pas séjourné longtemps, ne saura jamais qu'il se retrouve un jour de 2020, sous l'encre sang de mon stylo. Destin raté de bout en bout, vie pour rien, mort pour rien, de mon jeune arrière mort à 45 ans, De qui ce Pierre tirait-il son prénom ?

Et les pierres continuent de devenir sable lentement, et les papillons bleus de Guyane, de devenir poussière métallique, et la jeune gazelle continue son voyage, avec les bestioles piquantes et les doux singes, les fleurs de paradis, les fleuves qui montent et descendent au gré des marées, tous humains enchaînés à notre voisin de galère, et les ibis rouges et les aras flamboyants, et les moutons paresseux, et les bagnes égouts.

2 pierres dont moi, pour écrire ma légende, au bureau matricule

Porter mes pierres, penser le bleu dans la tête écrasée de mon arrière.

Bleu Guyane et retour

moi lui et lui et l'autre et moi.

Trijumeau de la face en bouillie

trois humains et deux pierres

Transportation

régénération

colonisation des marges de l'Empire

Délinquants par nature ou par accident

Faire le deuil de moi même, supprimer le e le p le i le b

redevenir celle que l'on a nommée, pour le meilleur et pour le pierre.

4 commentaires:

MarieBipe REDON a dit…

Depuis qu'on écrit plus beaucoup, y a eu des changements sur blogger... Je croyais le mettre sur mon blog à moi et puis il a atterri ici. Mais comme c'est un peu avec ma carte toujours, je le laisse...

Ange-gabrielle a dit…

C'est un très beau texte et j'aurais bien aimé te l'entendre lire.
"Maternelle et douce, tranchante et contondante, avec des reflets de colère irisés"... et bien d'autres choses encore. Te bise

Laura-Solange a dit…

L'avais lu mais rapidement à la bibliothèque.Je prends le temps là de triturer tes pierres...

Linette a dit…

Je découvre ton texte aujourd'hui. Très beau. J'ai dû le relire. Il est rempli de découvertes au détour des mots-signes de toi.