mercredi 24 février 2010

Dictionnaire A

043

Ailleurs:  C’est une fenêtre ouverte, une faille à travers des rideaux d’ombres, dans laquelle on se faufile. S’y déposent un peu de bleu, les caresses du vent, un chant d’alouette, une odeur de foin coupé. Le chemin pour le rejoindre ne passe que par les mots.

Accroc: Cela commence par les ronces qui entament le pull d’enfant tricoté main, égratignent la peau, entament la confiance. Et le doigt s’insinue, élargit la béance et gratte plus profond jusqu’au sang de la plaie.

Avaler:  Longtemps j’ai retenu les mots dans un au-delà de moi qui les tenait cachés , prêts à être régurgités.

 

vendredi 19 février 2010

Lettre à ma Mère,

Mère,
Mère, il y a des autrefois où j'aurais sans doute dit "maman", mais aujourd'hui, je dis "Mère". Pourtant, la grandiloquence du mot sied peu à la complicité occulte que j'ai tissée de nous à nous par de ça les ans et jusqu'à l'au delà. Mais il y va de mon humeur, du chemin que je me fraie pour débroussailler le mensonge, pour défricher le silence qui t'enveloppe comme un suaire de plomb depuis cinquante ans bien sonné. Le temps fuit si vite et, telle une horloge implacable, tous les six décembre toquent glorieusement notre séparation. Je constate avec amertume leur cynisme; un an, puis un autre et encore un autre. Je vieillis affiliée au sort de l'humanité existante et toi tu rajeunis. Le fossé se creuse, le temps s'agite et s'active à vouloir nous séparer.
La terre a accompli son oeuvre et tu es devenue poussière, poussière bienheureuse, je l'espère , fidèle aux engagements que tu prenais lorsque tu étais vivante.
Mais je m'égare" mère". Ces engagements, je ne les connais de toi qu'au travers des lettres et des cartes postales, qu'au travers des petits carnets remplis de ton écriture penchée , à deviner autoritaire, au crayon de papier pour mieux gommer les phrases dont tu ne voulais pas dévoiler la teneur. Vivante et pour moi mystérieuse!
Propos banals, mots d'amour à ton mari, mon père, par pudeur à demi effacés, lettres de tendre complicité à ta soeur qui avait rejoint la capitale.
Il y a des années, quand on a bien voulu me les donner ces lettres, je les ai d'abord tenues maladroitement entre mes mains comme un cadeau douloureux, puis je les ai lues, relues encore
jusqu'à sentir couler en moi les mots qui disloquaient toute ma perception; jusqu'à sentir se diluer les phrases en un chagrin difforme incapable de franchir la barrière de ma bouche. Je les ai recopiés pour les faire miens tous tes billets; mon écriture était la tienne, ma vie te lançait un appel. Un long silence rempli de vide m'a répondu.
Combien de fois je l'ai ouvert puis refermé mon carnet et l'ai rangé avec précaution au fond d'un tiroir pour que rien ne s'en échappât, ni toi, ni ce qu'il restait de toi!
Aujourd'hui, quand j'ai le mal de toi, quand me gagnent la rage ou la mélancolie, j'aime relire toutes ces pages. La musique d'Eric Satie m'accompagne, berce ma blessure, cautérise le manque.
Si l'internet communiquait avec ton au-delà, nous nous écririons tous les jours. Tu me dirais ton goût des choses, je t'écrirais mon goût des autres.Mais courriel aux abonnés absents, je bugue sur ton adresse e-mail. Seules s'agitent sur mon écran tes particules désarticulées que j'extrapole en particules d'amour pour moi.
Je t'embrasse, tout simplement, d'un amour qui n'est pas virtuel.

dimanche 14 février 2010

lettre à ma soeur


chère soeurette,


(ce mot est inédit entre nous, je ne t’ai jamais appelée comme cela)


la consigne de l’atelier d’écriture de ce soir, a été lancée tel quel :

“écrire à quelqu’un de sa famille” ;


pour moi, le choix est simple et limité : père, mère, soeur, frère ;


c’est à toi que j’ai envie d’écrire cette lettre,

une vraie lettre,

pas un coup de fil un peu obligé du dimanche après-midi, parce que j’ai trouvé ton message sur mon répondeur ou pour prendre de tes nouvelles,

ni quelques mots convenus sur une carte postale nippone avec deux maïkos en tenue d’apparat même si je sais que tu les aimes,

une vraie lettre,

et j’ai l’impression que c’est la première fois que je t’écris ;


dans cette lettre si je l’écrivais, il y aurait plein de souvenirs de notre complicité d’enfance, nos jeux interminables, des fictions imaginaires, les personnages que nous inventions ; plus tard, nos secrets d'adolescentes, des sorties partagées, comme les petits-copains...


(grande soeur et petite soeur en vadrouille)


aujourd’hui, nous vivons loin l’une de l’autre, nous nous voyons peu, presque jamais en tête à tête, les confidences se font rares et les mots se disent en famille ;

pourtant je rêve souvent à toi,

(je pense même que tu es celle dont je rêve le plus)

et puis, je ne cesse m’entourer de femmes-amies avec lesquelles je me sens bien, comme nous l’étions enfants, comme si j’essayais de récréer ce premier lien si harmonieux qui fût le notre...


je t’embrasse tendrement,


ta soeur





réponse à Yann

vendredi 12 février 2010

Lire


Par ces matins de neige, une phrase à savourer avec les tartines

"Quand on lit, on suit une route qui nous éloigne de nous-mêmes pour rentrer en nous-mêmes d'un autre côté"

Elisabetta Rasy "L'obscure ennemie" Seuil

mercredi 10 février 2010

Les mots en A

Avaler : descendre jusqu'à l'embouchure, peut être jusqu'à l'embrochement. Ce faisant, donner son aval. Se munir de pagaies, de fourchettes, de lubrifiant, de clochettes.Ne pas tout gober non plus, mais ne pas manger l'autre. Ne pas oublier d'enlever la peau. Ne pas se prendre pour une bouche d'égout.

Ailleurs : Ailleurs ce n'est pas forcément mon Amérique à moi, d'ailleurs, l'Amérique, sans Howard Zinn, ce n'est plus tout à fait l'Amérique. Ailleurs est un pays mouvant, personne n'est d'accord pour dire où il se trouve, ailleurs n'existe pas. Mais ceux qui en rêvent, disent que chez les Ayeurziens, l'herbe est plus verte, le sable est plus fin, le ciel est plus bleu, les cerises plus rouges, la pluie est plus fine, la coke est plus blanche (si j'ai oublié des métaphores colorées, c'est que j'utilise une vieille édition de dictionnaire dans laquelle l'arc en ciel n'avait pas encore était découvert). Tout y est plus et tout y est. Mais c'est loin comme dans un rêve dont il ne reste au réveil qu'une trace oubliée.

 Accroc : début de la faim.

dimanche 7 février 2010

Lettre à Béa




Béatrice,



D'accord, j'entends les consignes, des lettres, des lettres... mais j'en écris de moins en moins.
Toi, tu as inspiré Dante, mais moi qui m'inspirera ? Et à qui écrire ? Mon père ? Ma mère ? Ils ne sont plus là depuis longtemps et ne répondent plus de rien. Mon frère ? Il ne m'a jamais répondu et on ne se parle pas. Ma soeur ? On se téléphone chaque semaine et elle lit toutes mes pensées par blog interposé. Restent mon fils et ma fille. Il fut un temps où l'on s'écrivait... je crains qu'aujourd'hui ils ne croient que j'ai tout à coup perdu la tête et diagnostiquent un Alzheimer précoce. Assez des soins, ces temps-ci il faut que je me protège. A mon homme assis dans la pièce à côté? La loupe de l'écriture déformerait tous mes propos, c'est déjà si difficile de se comprendre par la parole.
Je corresponds depuis plus de vingt-cinq ans avec Henri, un vieux monsieur maintenant. Nous avons déroulé ce fil d'or de notre amitié toutes ces années -parfois douloureuses- Même cette correspondance-là est entrain de se relâcher. Il est si âgé qu'il a peine à répondre et peu à peu tout s'effiloche. J'espace les lettres, je les remplace par des appels...

Alors ? Il reste encore une vieille tante allemande qui me régale de ses caractères gothiques, mais que comprenons-nous l'une de l'autre ? Entre les barrières de la langue, le tremblement de l'écriture dû au grand âge, les caractères gothiques que je devine plus que je connais ?

Après tout peu importe ce que nous comprenons, l'important est ce lien, le maintien de ce lien, que nos deux mains tiennent ce fil fragile du bout des doigts, ce fil de soie que je vois se dérouler est sécrété par la fine patte d'araignée de mon crayon, en volutes, courbes et lignes. Il s'étire, le sens se dilue et se perd, mais le lien résiste, de plus en plus ténu jusqu'à ce que mort s'en suive.

Et puis, je sais bien que sans écrire à personne, j'écrirai toute ma vie, à Béa, à toi mon amour que je ne connais pas, à ce quelqu'un tapi en moi à qui parle ma voix. Et si tous ces fils entrelacés ne sont pas faits pour être lus, ils n'en sont pas moins des antennes lancées en vrille pour tâter d'un monde inconnu. Ils ne cassent pas et tissent en moi et autour de moi un cocon qui m'apaise, me construit, m'emmaillotte et rend ma vie aussi précieuse qu'une chrysalide de ver à soie.

lettre à Joséphine

Joséphine,

Sais-tu que j'ai souvent pensé à toi en me revoyant dans la pénombre de cette chapelle ...
Enfant de douze ans, obligée d'aller tous les matins à l'office à la lueur des cierges, j'observais les cornettes des religieuses qui décrivaient des ombres chinoises sur les murs laiteux de la chapelle, l'officiant montait, descendait de l'estrade, récitait des prières que je n'écoutais pas mais auxquelles le répondais sans me tromper. Je baissais la tête, la relevais au moment opportun, j'allais même communier au moment voulu, je n'avais pas froid, pas chaud, pas faim (je n'avais pas déjeuné), j'étais ailleurs. L'ailleurs pouvait être un filet de lumière qui filtrait à travers les planches disjointes du plancher, un point de couleur sur le tapis de l'autel, une toile d'araignée qui avait été tissée entre les plis de la robe d'un saint, ou un bruit, une burette que l'enfant de choeur faisait s'entrechoquer et qui me donnait des idées de cascades de ruisseaux qui dévalaient des rocailles et qui venaient anéantir cet endroit trop parfait et froid.
Joséphine, me croiras-tu, dans cette prison, j'étais libre, je ne pouvais pas parler, mais pourtant j'ai tenu toutes les conversations du monde avec ses saints journaliers, ses martyrs aux noms bizarres, Sainte Blandine dans la fosse aux lions, Saint Irénée et les autres, je les ai tous connus, ora pro nobis je ne savais même pas ce que cela voulait dire mais pourtant je les ai répétés maintes fois,
Torpeur comme un canard qui sort de l'eau et s'ébroue, ite missa est avec tout le monde, les religieuses sortent les premières, leurs mains disparaissent dans leurs larges manches, les enfants viennent ensuite, moi je viens de passer un moment peuplé de mille tableaux de mille facettes et Dieu dans tout cela...
Joséphine laisse Dieu tranquille, moi j'étais en représentation, je ne ressentais rien j'étais actrice,
Quelle vie, me diras-tu. Mais si, tout peut se faire, il suffit d'être ailleurs, demain je reviendrai sur ce banc froid, et pendant trois quarts d'heure je vivrai autrement, tu sais regarde mes genoux ils portent la marque de la rainure du banc,
Au revoir, Joséphine, réponds-moi si tu en as le temps, moi je continue de t'écrire par la pensée, je suis maintenant couchée dans ce lit en 70, aux draps blancs, l'édredon me recouvre, je n'ai pas froid, je fais attention de bien laisser mes bras le long de mon corps car la religieuse en passant me rappellerait à l'ordre, même au lit il faut avoir une attitude digne. Sais-tu avant de dormir, on a dit une prière, je me souviens c'est à peu près cela :
"Dans mon lit je me couche, dans mon lit je me rends, je prends Dieu pour mon père, la Sainte Vierge pour ma mère, les anges pour mes frères,
Je pense que je n'ai oublié personne, bonne nuit petit Jésus"

Je t'embrasse Joséphine

Publié par Jeannine

vendredi 5 février 2010

réponse à T

Si je m'attendais à recevoir de vos nouvelles ?
Bien sûr que je vous ai reconnu au théâtre, mais ce que je n'arrive pas à comprendre, Monsieur le philosophe, c'est ce qui a pu vous faire croire qu'à un moment de mon existence j'étais proche de vous ? vous me dites que je ne suis rien mais sachez que pour moi aussi vous êtes le néant et vous m'avez toujours été indifférent avec vous de vieux démons me reviennent,  vous êtes un tiède et dans la Bible le Christ nous dit que les tièdes il les vomit de sa bouche, et c'est ce qui m'arrive pour vous.
Vous me parlez de mon maquillage, de ma tenue vestimentaire, mais cela me regarde, pourquoi donc  portez vous  votre regard  que vous croyez de braise sur moi, rassurez vous je ne suis pas un buisson ardent, je ne vais pas vous consumer, passez votre chemin, Monsieur le Prédicateur.
Vous osez insinuer  que je suis malheureuse moi Effina parce que je ne ris pas bêtement comme vous ?  que je ne me trémousse pas comme vous je ne suis pas un mannequin et j'en ai bien conscience, vous avez vous aussi mon cher un profil bien bedonnant.
Vous  avez votre vie , j'ai la mienne, et je n'ai pas envie de vous en parler.
Vous faites allusion à une lettre que j'aurais reçu, dans les temps anciens, soyez sûr qu'il y a prescription et que j'en ai oublié le contenu.
Bien sûr que j'ai vieilli, mais vous aussi ? charitablement  je ne vous souhaite  pas la prostate mais votre assurance pour le futur est désopilante moi mes kilos en trop je les assume, il me semble qu'il n'en est pas de même pour votre crane dégarni, d'autre part votre dentition ne me semble pas irréprochable essayez donc de voir du côté des implants il doit y avoir de très bons dentistes dans votre ville.
J'ai bien l'honneur, Monsieur T, de vous saluer, et je souhaite que nos chemins soient comme deux parallèles qui ne se rencontrent jamais.
                                              Effina
Publié par Jeannine

jeudi 4 février 2010

L'effet Cyrano (6)

Sur l’île de Ré, il traversait la plage seul comme un grand, comme un seul homme, abandonnant à chaque pas un peu de son passé, plongeait dans l’océan pour se refaire, ou se perdait à l’horizon puce de sable, puis plus tard, il fonçait sur son vélo, en compagnie de ses ami-e-s, comme dans les albums de jeunesse, bandes de jeunes insouciants en vacances, fraternité des pistes cyclables, on rentre au camping, ou dans la maison de vacances prêtée par les parents d’un tel ou d’une telle, là-bas vers Trousse Chemise, dans les rues à son nom.
Dans le métro parisien, étouffé par mon regard inquisiteur, insistant, il descendait à la prochaine, toujours en état de marche, mais je voyais bien et tous les on pouvaient s’en apercevoir aussi, qu’il était troublé, par ce dévisagement, son visage ne lui appartenait plus, tellement scruté qu’il ne s’appartenait plus, n’avait plus d’endroit où se réfugier de mon regard, et reprendre le cours de sa vie s’arracher à cette inconnue qui lui voulait quoi ? Il fallait qu’il disparaisse encore de ma vue.

Lettres: troisième consigne

lundi 1 février 2010

Cher. T..;

A peine refermé ton dernier courrier que je me sens dans l'urgence d'y répondre tant ce que tu y écris ravive mon besoin de faire mourir les souvenirs encore valides que j'avais de nous.
Les mots brûlent mes doigts et mes mains s'embrasent d'une rancoeur qui n'a d'égale que la violence qui s'échappe par tous les pores de ma peau et qui voudrait te faire mal comme à mon papier blanc que je griffe pitoyablement avec ma plume.
Les mots, ceux que tu me disais d'une voix encore chaude, qui remontaient des fonds de toi et dont tu savais jouer dans les moments les plus inattendus: dans les moments d'amour que nous aimions prolonger tard le matin quand le soleil inondait ton appartement mais que tu transformais, les jeux de l'amour à peine achevés, en mots de haine contre le monde, contre l'humanité toute entière qui ne te comprenait pas, ne te comprendrait jamais et qui était à la source de tous tes malheurs. Tu geignais sur ton sort, je te consolais, les rôles étaient bien distribués. Le vieux canapé de cuir et moi recueillions ta douleur qui existait réellement puis qui se transformait en souffrance étudiée.
Que me reste-t-il de tous ces mots? De toutes ces phrases juxtaposées? D'une logorrhée si bien étudiée? Un non-sens que je vomis, que j'éructe comme un volcan sa lave et qui glisse machinalement sur notre passé que tu as su buriner.
La vacuité de tes promesses s'est transformée dans mes pensées en un immense champ de friches, vaste de ta solitude, vaste des illusions qui, seules, remplissent ta vie.
Tu as joué, tu as perdu. La terre peut maintenant trembler, j'ai laissé trop de temps à ne pas
vouloir discerner ton discours en creux, à le laisser me faire des bosses, à me laisser la bouche inerte et transformer mes larmes en pics acérés.. Je ne te sauverai pas de tes égarements, de tes errances, de tes humeurs chagrines, de ta perversité latente.
Je me sauverai de ton silence que je te signifie aujourd'hui par ce message somme toute trop long (ou trop court) pour notre rencontre que je vais classer désormais dans "mon rayon des rencontres ratées". Continue de m'oublier comme j'ai appris à bien t'oublier et considère que j'ai choisi de vivre avec un grand "V" ; tu n'as pas réussi à m'apprendre à gémir comme tu t'y préparais. Adieu en toute liberté.