Sur la pierre de granite, la tache de lichen saxicole est immobile depuis des millénaires. D’autres sont là, plus loin, et recouvrent le rocher de plaques grisâtres, denses de ces petites particules qui constituent le lichen. Cet être vivant, souvent caractérisé de lépreux ou pustuleux, d’eczéma de l’arbre ou de la pierre, n’est pour moi, comme les taches et les nuages, rien d’autre qu’un projecteur de songes. Le lichen fait image. Il me propose ses hiéroglyphes à décrypter. Ma vie ressemblerait-elle à un jour de lichen* où je tenterais de déchiffrer ce que va être la matière du temps, ou à réfléchir sur ce qui fait s’irradier l’imaginaire, ce qui donne image à voir et à méditer. La broderie des lichens inciterait à voir outre le visible. De cette tapisserie sur pierre aux gravures sur roches dans les grottes préhistoriques, il n’y a qu’un fil à saisir et à se laisser happer par les dessins qu’il reste à interpréter, à replacer dans le contexte de l’histoire, ou à admirer tout simplement. Sur la peau des pierres, tout un monde pour laisser libre cours aux songes et aux transfigurations que l’on peut imaginer, créer, recréer. Les images, les photographies sont des porteuses d’histoires, révélatrices d’un en-dedans que la trajectoire de l’œil a pu détacher et provoquer ainsi une rencontre, une pensée. Cette scène du puits de Lascaux, une source pour apprendre à lire, relire, relier les temps, et prolonger les sources à l’infini. Quelque chose surgit, qui vient dialoguer avec un présent, au-delà de la disparition d’un monde. D’autres temps, d’autres réalités, mais des impressions, des imaginaires qui se côtoient, se croisent, des dérives qui s’épousent. Pourquoi faire image, si ce n’est pour aller vers l’au-delà d’un réel, faire émerger des questions, déplacer le regard, pousser la pensée sur des territoires inconnus, faire du geste de photographier un phrasé d’imaginaire. S’immiscer dans ce chaos d’images perdues, ou de souvenirs qui s’emmêlent, images diffractées d’une réalité dont on n’a plus de certitude. On tentera de reconstruire ce qui a été déconstruit par les années, de se reconstituer un paysage mental, désaliéné de ses entraves. Autour de chaque image, particulièrement lorsqu’on est auteur et acteur de la photographie, il y a une sphère émotionnelle où poser sa peau, frotter son épiderme aux visions cachées, à ses archives intérieures qui surgissent, se révèlent dans une vitalité insoupçonnée. Saisir un élan dans ce tremblement qui palpite, une ouverture vers le fragile, l’insaisissable, vers cette étincelle qui a permis au regard de s’accrocher, l’espace d’un instant.
On peut retrouver la version 1 ici
2 commentaires:
As tu lu "Éloge des mousses" d'Olivier Liron ? Ok mousses et lichens c'est différent, très beau livre qd même
Ange- Gabrielle
Non je ne connais pas encore... Bises à toi
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