La carte
pliée en deux, je replie le bord gauche puis le bord inférieur pour
ne conserver qu'un carré délimité au NE par un énorme bâtiment
que la légende qualifie « Hôpital public », à l'Est
par une agglomération que traverse une rivière enjambée par un
pont, au centre la rivière s'élargit, tout autour s'agglutinent de
très nombreuses habitations recouvertes de cinq lettres majuscules
dont je ne suis toujours pas parvenue à déterminer si elles sont mon lieu séminal
ou pas.
Les cartes
sont encore plus invitantes ainsi repliées, plis, interstices,
confins, zones cachées nous interpelant et nous invitant.
Ce que
j'ai sous les yeux est plus urbain et me ramène à un autre temps
que le précédent : celui du lycée, des bus attendus sur ce fameux
pont chaque matin dans le brouillard, cache-nez serré autour du
visage et grelottants. Je restais bouche-bée devant ces lycéennes
au fort accent italien habillées comme des mannequins, maquillées,
ce qui me semblait ABSOLUMENT incompatible avec le monde que j'allais
rejoindre, celui de la culture, du latin, des auteurs classiques pour
lesquels nous devions étudier pendant des années si on voulait un
jour qu'ils nous soient accessibles. Elles résidaient en un lieudit
portant un nom moyenâgeux et je n'y voyais qu'une incompatibilité
supplémentaire plutôt que coïncidence. Le bus par une rue étroite,
sombre, plongée dans le brouillard, bordée d'usines, chaussures,
Fonderie d'argent, entreprises textiles et d'immeubles décatis où
habitaient ces ouvriers que je voyais entrer au boulot en courant.
Parfois, je la remontais à pied, le plus rapidement possible sans
vraiment comprendre pourquoi ici la population parlait arménien,
italien, arabe, nous disions d'ailleurs en parlant de certains
immeubles « l'immeuble des arméniens ». Parfois, quand
nous souhaitions rentrer à pied plutôt que de longer cette rivière
souvent pleine de miasmes, nous pouvions emprunter un chemin dit
« Chemin vieux » mais il fallait le cacher aux mères qui
n'y voyait que satyres rôdant dans les fourrés aussi ne le
prenions-nous qu'à plusieurs, pouffant de leurs peurs qui pourtant
donnaient toute sa saveur à ce chemin bordé de mûres sauvages.
Par
contraste, tout là-haut dans la lumière perchés sur la colline,
les imposants bâtiments de l'hôpital dont le père de mon amie de
coeur était le directeur, personnage encore plus important et
effrayant que les bâtiments, dans sa 404 verte, toujours accompagné
de sa belle secrétaire dont nous savions toutes -sans le savoir-
qu'elle était sa maîtresse. Arrivés au Pont Neuf qui enjambait LE
Fleuve et que nous ne traversions jamais, nous apercevions face à
nous, tout là-haut, perché au sommet d'une colline, une église et
sa vierge, où plus tard j'irai avec mon amoureux pour dominer LE
fleuve, embrasser les toits, rêver à l'avenir radieux qui nous
attendait forcément, nous embrasser dans le mistral que nous
adorions alors, emportés à la proue d'un bateau en partance,
naviguant très loin et tout là-bas, dans les champs par delà le
fleuve, des immensités d'iris se balançaient dans la lumière.
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2 commentaires:
Bel hommage aux lieux de ton adolescence, aux frémissements cachés dans les plis de la carte.
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