1er acte: un jour avant
La vie avait bien débuté pour Sophie et moi. Sophie, ma copine avec laquelle chaque jour nous faisions un jogging. Aujourd'hui, nous ne courrons plus. Nous élevons des poules. Moi je m’appelle Paule, je déteste. Je me faisais appeler Marie-Line à l'époque, en deux mots, pas à l’américaine ce serait vulgaire.
Le jour avant, était un jeudi d'avril. Le temps était lumineux et je venais d’acheter un nouvel ensemble « sport » aux couleurs vives. Non que nos goûts portassent sur l'extravagance, mais pour courir nous aimions nous faire remarquer. Sophie l’a adoré. Nous étions blondes, faux blond avec des mèches.
Depuis l'enfance, nous habitions le même quartier, la même rue. Depuis nos licenciements, chaque jour ou presque, nous nous retrouvions avant le petit-déjeuner, ou du temps de midi pour sauter le repas et suer à jeun. Nous partions du côté du lotissement de la Roseraie, en traversant le jardin d’enfants. Notre quartier est très en pente. Quand nous descendions la rue principale, pentue et tortueuse, qui rejoint la place du même nom, Saint-Martin, nous ne passions pas inaperçues : conducteurs, clients de la pizzeria de Paolo, tous nous regardaient avec gaîté. je crois bien nous les rendions heureux. Avec les mêmes baskets, clignotant de l’arrière au rythme de nos pas saccadés, il n'était pas rare qu'on nous criât :
- Hé, ce n’est pas Noêl !
Alors, nous feignions les vertueuses offensées.
Courir était un rituel social car nous ne rencontrions que peu de gens dans nos vies paisibles. Pas de collègues à qui raconter nos vacances, pas de mari auprès de qui se plaindre de ces collègues. Nous vivions de nos rentes c'est-à-dire d'une modeste pension versée par nos ex-époux, des indemnités chômage et d'une aide au logement.
Nous voulions éliminer nos kilos et la cigarette que nous ne manquions pas d'allumer avec volupté à la fin de la course, après avoir vérifier les pulsations cardiaques. Puis, nous entrions dans notre salon de thé préféré. . D'une certaine manière, la pâtissière a été notre complice. Elle ne nous faisait jamais de reproches malgré nos excès de sucreries. Il est vrai qu'à nous possédions de beaux bourrelets... les trois grâces, quoi. Rien de plus délicieux que d’hésiter entre gâteaux, sorbets et bonbons au chocolat, et au final goûter d’un peu de tout arrosé de thé sans sucre, cela va de soi. Nous avions un penchant pour les religieuses, pets de nonne, sacristains, et jésuites. Que Dieu nous pardonne. Il a su se venger finalement.
Notre nom de code était les « Two Too ». Nous cultivions le « trop » comme d'autres cultivent les fleurs, leur jardin, les rimes.... trop dans notre tenue, paroles, cris stupides et rires surjoués.
Les commerçants du quartier nous connaissaient bien:
-"Hé, les toutous". On leur souriait béatement suivi d’un grinçant whap! Un jour une femme agacée par notre façon d'être a beuglé : "précieuses ridicules" en insistant sur "pré". Nous, précieuses ? Nos enfantillages comblaient la solitude, l'ennui. C'était notre style. C'est bien d'avoir du style, Non ?
De guerre lasse, le quotidien étant bien norme, nous avons construit un rêve, une illusion, un fantasme. Nous tomberions amoureuses et nous nous ferions aimer d'un homme beau, blond, timide, qui progressivement se dégourdirait les neurones et le corps grâce à nous ; nous l'amènerions courir, puis découvrir nos passions gourmandes, toutes nos gourmandises.
Un jour, de mars, fatalement, il a pris chair. Il est vrai que nous n'avions pas eu le choix.
Christopher notre voisin, comptable de métier. Il avait une petite bedaine qui promettait des heures de gaieté devant des glaces à la chantilly, des mousses de fruit, du chocolat fondant au caramel, des éclairs à la vanille… Ah, quand j'y pense. Nous imaginions bien. J'en salive encore en vous racontant notre histoire.
Christopher était effectivement timide, trop. Il n’osait pas nous regarder. Il n'était pas très beau, pas blond... enfin, plutôt dégarni ce qui a tendance à rendre énigmatique la teinte originale de la chevelure. Le temps passait et Christopher demeurait distant. Nous l'espionnions. L'a-t-il remarqué ? Je ne sais pas. Quoi qu'il en soit, un soir d'avril, nous avons tenté le tout pour le tout : nous l’avons kidnappé. Les jeudis il rentrait chez lui vers 20 heures trente, seul horaire qu’il ne changeât jamais alors que les autres jours de la semaine connaissaient de considérables variations mystérieuses. Il rentrait apparemment éreinté, garait sa voiture et disparaissait. Nous l'apercevions parfois par la fenêtre de la cuisine ou du salon. Ce jeudi-là, il semblait particulièrement détendu, et s'assied sur sa terrasse. Il est vrai qu'il avait la paix car, depuis trois semaines, sa femme rentrait vers 22h. Malgré la fraîcheur, il ressortit de la maison avec un plateau sur lequel nous distinguions une bouteille de vin. Il alla s’asseoir non sans avoir coupé une branche de rosier. Je conservais des anxiolytiques et des somnifères. Nous avions préparé une tisane agrémenté d'une potion décontractante et nous sommes venues la lui proposer en bonnes voisines. Partager une tisane entre amis, comme l'apéro au camping, hum... Que n’avions-nous fait ! Les effets ne se sont pas faits attendre. Christopher s’est mis à ricaner, puis à pleurer. Nous étions inquiètes bien qu'hilares. Les voisins allaient s’en rendre compte. Il a réclamé à manger, mais il a refusé la viande et les œufs ; il voulait des gâteaux. J’ai une réserve de biscuits, alors je les ai apportés ainsi que ma réserve de tablettes de chocolats, mon pot de Nutella, mes glaces à la vanille et à la lavande. Ensuite, il a vomi, partout. Ses rosiers ont eu un engrais original. Et puis, il a voulu boire, a ouvert une seconde bouteille de vin. A encore vomi, pleuré, ricané.
Nous n'en pouvions plus. Nous avons pris la décision de lui faire prendre l'air, en voiture. Il s'est débattu. Il ressemblait à une marionnette dont on tire les fils au hasard. Nous craignions le voisinage. Nous avons pu le porter jusqu’à l'arrière de la voiture de Sophie. Nous avons roulé une demi-heure. Enfin, nous nous sommes arrêtées, assommées par la musique des Clash que Sophie avait mise à fond. Le destin a voulu que nous nous arrêtâmes près d’un étang. Il dormait profondément et était très lourd. C'est fou comme un corps peut s'alourdir dans le sommeil. Nous n'avions pas vu que nous étions devant un pré en pente. On le tire, les jambes, le bassin, Sophie passe par l'autre portière, le pousse, je tire encore, il vient progressivement comme un nouveau-né. Mais alors que les épaules allaient sortir, tout s'emballe: il me repousse, enfin plutôt son corps inerte me fait m'asseoir sur le côté, et... il roule, roule, lentement, sûrement. Sophie courre derrière lui. Il ne se réveille pas. J'observe la scène. Un peu saoulée par le vin que nous avions goûté chez lui. Il fait sombre.
Nous n’avons pas entendu sa chute dans l’étang.
Nous sommes parties précipitamment.
Nous l’aimions bien notre Christopher.
Acte II: comment les two too se convertissent dans les poules
Le mois de juin suivant était brûlant, bientôt il y aurait la fête des voisins, puis la fête de la musique. Je n’ai jamais raté une de ces festivités et avec Sophie nous y venions munies de desserts. Cette année là encore. Jean, l'organisateur, était particulièrement débordé. La fête des voisins était sa fête, il l’avait ouverte à tout le quartier, pas seulement à une rue, encore moins à un immeuble. Avec Paolo le Pizzaiolo, un napolitain échoué ici mystérieusement, ils avaient une liste de consignes qu'ils distribuaient deux semaines avant le 21 juin aux habitants volontaires. Tout se déroulait devant la pizzeria de la place saint-Martin. Paolo s'y était installé car elle lui rappelait ces placettes toscanes pentues et en « entonnoir » sur lesquelles viennent s’échouer les effluves de la ville, les ballons des enfants, les ivrognes, les vélos sans frein, les dragueurs, les belles de jour, les coureuses de fond, les chevaux. D’où venait cette appellation «Saint-Martin »? Pour Jean Bonnal, la sainteté d’un tel nom commun ne pouvait s’expliquer que par la volonté de L’Eglise de sanctifier le banal, l’anodin. Son Martin à lui demeurait à jamais le squelette des classes de biologie aux genoux mobiles, il nous le disait tout le temps. Bien heureuse sa descendance lozérienne qui lui évitait de porter le patronyme de sa rue le plus couru de France.
Jean tenait un magasin de réparation de skis et de raquettes de tennis. Son activité se calait sur les vacances: il était un saisonnier à sa manière, prenant repos à l’automne et au printemps. La fête des voisins tombait en plein mois de la raquette et des tournois internationaux. Il était rarement de bonne humeur. Pour compliquer l’affaire, son comptable avait subitement disparu sans fournir d’adresse, et ceci depuis treize semaines. La police avait enquêté dans le voisinage, elle en avait conclu à une disparition volontaire, terme suffisamment flou pour envisager le suicide, l’abandon du domicile conjugal, une épopée folâtre, un repli monastique. Les langues des mégères allaient bon train. Ces hypothèses se heurtaient à la vision que donnait l’homme sans histoire et sans charisme. Bref, l'enquêteur avait fini par observer que son seul loisir connu était la lecture du journal, et, depuis quelques temps, son délassement quotidien sur sa terrasse. Excentricité que d’aucuns avaient commentée non sans ironie, d’autant que l’on savait sa femme « sortie » ces soirs-là. Cette dernière avait expliqué à l'enquêteur qu'elle se rendait chez un collègue de travail. Le rendez-vous avait pour objectif des obligations professionnelles, même si le collègue - quelque peu couard - avait avoué que leur relation avait pris une forme plus... disons chaleureuse au fil des séances. Le soir de la disparition, il l’avait invitée au restaurant. Après avoir bu une demi-bouteille de champagne et une cuvée de Saint-Joseph, elle avait voulu rentrer chez elle en taxi, prétextant des nausées. Le taxi l’avait donc déposée à 22h30 et, ne voyant pas son mari sur la terrasse, ni dans la villa, et après quelques aller-retour aux toilettes où son mal-au-coeur exprimait toute sa créativité, elle avait appelé sa mère, puis la police. le temps passait, jusqu'à ce jour de fête: je vais vous décrire ce que je sais, Paolo m'a tout dit, à l'hôpital.
Vers 14h, il appela Jean qui passait sous ses fenêtres munis de nappes en papier.
- Eh Jean !
- Oui Paolo, comment va ? La mairie a livré les tables et les chaises ?
- Si ! Si !
- Que d’enthousiasme pour quelques tables !
- -Ah Jean si tu savais…
- - Ben non je ne sais pas… tes mystères encore, allez… je suis une tombe tu le sais.
- Ah… Nos amis catcheurs (d'autres voisins de la rue Saint-Martin) qui travaillent aux pompes funèbres "Martin père et fils", reviennent d’Alger.
- - Je ne savais pas qu’ils étaient partis…
- Je leur ai payé un voyage de détente
- Sympa. Coupa Jean impatient. Je suppose que tu as tes raisons, des raisons raisonnables disons…
Paolo me dit qu'il se tut à ce moment, faisant son cinéma pour faire durer le suspens, faisant son "italien", puis n'en pouvant plus :
- Tu connais Aicha, elle travaille chez moi, comme serveuse ?
- Oui bien sûr… charmante…
Le napolitain hésite, reprend :
- Bon c’est une longue histoire, je la fais courte pour toi… Elle avait un mari, et il vit encore…
- Je la croyais veuve avec ses gosses.
- Bien sûr. C’est ce qu’elle dit. Mais en vérité l’époux est parti quand son fils cadet est né, il est retourné en Algérie et s’est remarié. Elle croit qu'il a été expulsé de France et en veut terriblement aux agents de la préfecture. Moi j’ai enquêté… disons… mon intuition me disait que l’histoire n’était pas claire et puis… avec l’aide de mes sources italiennes à Alger, enfin tu vois ?
- Je crois voir oui. Et bien ?
- Et bien une fois l'adresse de l'époux retrouvé, j'ai embauché les catcheurs pour lui faire passer un petit mot, qu'il n'a pas voulu lire dans un premier temps.
- Il y a un... second temps ?
- Attends. Avec sa nouvelle femme il a un garçon, du même âge quasiment que le petit de Aicha. Nos catcheurs ont débarqué chez lui le lendemain de leur visite avec mes collègues italiens, à quatre ils sont su... (Paolo racle sa gorge quand il me narre tous ses mots assis sur mon lit d'hôpital) ils ont su le convaincre de verser une pension à sa fille aînée pour ses études de médecine et à son garçonnet qui va rentrer en préadolescence et est susceptible d’être traumatisé par l’absence du père.
- Tu parles, il est gai comme un pinçon ce gosse !
- Oui oui, mais bon, les traumatismes peuvent se révéler bien plus tard. Il a accepté de verser la pension avec les intérêts de retard.
- Tu parles !
- Bon... mes gars avaient pressenti la résistance de l'homme, mais avec peu d'explications supplémentaires, il a fini par accepter la responsabilité paternelle qui lui incombait. Son genou droit et sa mâchoire sauront de toute façon la lui rappeler, si sa mémoire devait choir. Le corps a ses raisons que…
- Tu es un être de raison effectivement, ironisa l'ami du Pizzaiolo.
- Viens, je te paye à boire ! Je te sens joyeux mon frère !
- Et Aicha ?
- Ben quoi Aïcha ? Elle a vu la pension arriver pour la première fois la semaine dernière et en est très heureuse, on lui a dit que le gouvernement algérien avait décidé de lui verser une allocation d’éducation de mère isolée. Les catcheurs ont même obtenu un certificat de veuvage au cas où elle voudrait refaire sa vie.
- Quelle morale ! Elle sait tout cela Aïcha?
- Oh eh non, pas fou, non une partie... je la protège tu comprends.
- Ca va, ne cherche pas d’excuses.
- Arte del amor !
- Réapprends l’italien mon pauvre ami !
Et puis soudainement Aicha a fait son apparition:
- Paolo, Jean !
- Qui a-t-il ? Demande Paolo tout sourire.
- Vous savez la nouvelle ?
- Laquelle ?
Paolo s'est senti craintif.
- Vous ne devinerez jamais !
Les hommes se taisent, gênés.
- Christopher…
- Quoi Christopher ?
- On l’a retrouvé !
- Où ? Dans quel état ?
Aicha prend un air triste:
- A la rivière. Tout vert paraît-il.
- Pourquoi vert ?
- Ben à cause des algues du lac !
- Des algues ? la rivière, le lac ? Que dis-tu ? interroge Paolo à l’haleine fétide, après les trois verres de Chianti bu en bonne compagnie.
- Les gendarmes l’ont repêché au bout du lac, quand il se déverse dans le creux de la rivière, coincé entre des racines, et à moitié dévoré… par des castors !
- C’est quoi cette histoire, qu’il a été foutre dans le lac en compagnie de castors ?
- On n’en sait rien. En tout cas bien pourri, tout gonflé et tout vert. Pas d’examen légal possible pour le moment. Trop de trous dans son cv corporel : décomposé, disparate et abstrait, foie à la Dali, vésicule biliaire pusillanime, intestins véreux, et j’en passe. En tout cas les catcheurs l’ont mis en caisse il n’y a pas une heure.
- Tu en dis des histoires !
- Mais qu’est-ce qu’il a été foutre chez les castors le con ? Réfléchit Paolo que la présence de l'animal rendait soucieux.
- Ouais… bizarre. C’est comme ça, le hasard de la vie.
- Ou du destin.
Soudain, un bruit de freins désordonnés et grinçants a résonné en écho sur la place. de cela je m'en souviens encore, ensuite c'est Paolo qui raconte:
Un corbillard grimpe difficilement la rue pentue, son moteur crache, le pot d’échappement émet des pets immondes. En contrebas Paolo et Jean nous aperçoivent avec Sophie, endimanchées pour la fête des voisins, portent à plein bras nos desserts. Ils observent le camion. Nous marchons en riant sans lever la tête. Puis tout va vite bien que les mouvements semblent s’enchaîner tranquillement, comme dans une valse ralentie par un vent en contre-sens.
Les two-too sont immobilisées en pleine rue. Elles aussi lèvent leur regard vers le corbillard. Une seconde trop tard. Une chanson langoureuse, allemande, sort brusquement des haut-parleurs installés dans le quartier. Elles sursautent, se tournent machinalement vers la place où sont installés les haut-parleurs. Elles ne voient pas la porte du coffre du corbillard s’ouvrir, se refermer dans un claquement, quelque chose en sortir et avancer vers elles avec une grande légèreté. Les voisins quant à eux observent sans y croire, sans crier. Le lourd cercueil file comme une luge, prend la courbe, se redresse, semble obstinément se diriger vers les deux femmes, puis vient les heurter violemment.
Mâchoires fracturées, ligaments des genoux déchirés, coudes et poignets fracassés. Le couvercle s'ouvre déversant sur les corps à terre des Two Too celui, dégoulinant, puant et vert – Aicha avait donc raison - de ce pauvre Christopher. Les voisins bouchent leurs oreilles quand retentit le long et lugubre hurlement des femmes aux chaussures clignotantes.
Les habitants arrivent lentement près des corps enchevêtrés. Abasourdis, muets, craintifs, un mouchoir sur le nez, certains font le signe de croix. Mais la fête ne s’en arrête pas moins ; elle prend ce soir-là des intonations bavardes, abreuvées par des hypothèses farfelues, des ragots diaboliques. De mémoire d’anciens habitants, jamais on aura autant bu à une fête des voisins.
Les jours qui suivent rétablissent la routine mais une brise chaude continue à agiter les esprits. La chaleur de l’été ne faiblit pas, pas plus que les bavardages. Les gendarmes mènent l’enquête en dehors de leurs temps de repos et d’apéro. Ils ne trouvent aucun indice ne sachant pas d’ailleurs pas comment orienter leur enquête. Deux semaines après l’incident de la rue Saint-Martin, la rumeur s’inquiète. Qui va indemniser les Two Too ? Comment est mort Christopher ? Nous sommes cloîtrées à l’hôpital ne pouvant pas répondre aux questions du jeune commissaire parisien mis sur l’affaire, un vrai blond, beau et pas timide. Mais avec nos mâchoires brisées, nos bras inertes, nos poignets invalides, et nos jambes en suspension au-dessus des lits, nous ne pouvons pas répondre, même si Paolo ne nous avait pas dit, de sa voix ferme, de nous taire coûte que coûte. Bientôt le commissaire se lasse, nous ne le revoyons pas. Les assurances s’affolent, se disputent. Qui est coupable ? Qui est responsable de l’accident ? Les experts pressent la mairie. Le maire n’aurait pas dû autoriser l’emprunt de cette route escarpée aux corbillards. Le maire renvoie l’affaire sur les pompes funèbres qui rejettent la responsabilité aux deux croque-morts forts en catch. Paolo ne peut supporter cette indécision et puis il a une tendresse (et une dette) envers les catcheurs. Il fait appel à un ancien ami sicilien reconverti dans la magistrature française. Après des études des plus médiocres il a su faire se faire une clientèle parmi les mafias de Marseille à Lille, en passant pas mal de temps à Grenoble.
Cet ami du droit découvre que Christopher possédait, outre une maigre assurance vie octroyée à sa femme, un petit pécule de 500 000 euros sur un compte à son nom, en Suisse, rapportant 5% d’intérêt par mois depuis… plusieurs années. L’épouse n’est pas au courant. Informée, son mal-au-cœur se rappelle à elle, regrettant au passage de ne pas avoir accepté un dernier verre chez son collègue de travail le soir de la disparition de son époux.
L’avocat convainc le juge que l’involontaire mais néanmoins quasi-assassin des Two Too… est le mort, Christopher. Adjugé. La rente permettra aux deux femmes de se faire oublier du quartier en déménageant en pleine campagne pour monter un élevage de poules et d’oies, vous savez donc tout, ou presque : le maire a touché une aide conséquente pour refaire la rue et la place, il en a profité pour l'interdire aux corbillards. Etrangement, Paolo a reçu une forte indemnité pour réhabiliter son restaurant, il en a profité pour épouser Aicha. Les Catcheurs sont repartis en lune de miel dans un hôtel 4 étoiles en Tunisie grâce à leurs indemnités de licenciement versées par les pompes funèbres et à un petit pécule tombé du ciel sur leur compte en banque.
Peu à peu le quartier a oublié Christopher, paraît qu'on cause toujours de nous, j'en suis heureuse. A la nouvelle fête des voisins on s'est remémoré Christopher, qu’on aimait bien ; à la seconde on s'est demandé si nous allions continuer dans les poules et ne pas revenir dans le quartier. A la troisième... elle est à venir, je n'en sais rien.
Quoi qu'il en soit, nous l'aimions bien Christopher, cependant rouler était son destin. Tant pis.
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