Prenez
conscience qu'eux et nous vivons, dans des univers parallèles,
juxtaposés et sans rien de commun entre eux : la mouche dans une
pièce, l'acarien dans un tapis, une bactérie dans notre intestin,
un oiseau dans un arbre … et en plus, vous vous heurtez à cet
objet, ou vous le rencontrez.
Voici
quelques exemples :
Canis
Familiaris :
« Retenu
par le cuir de ma laisse, je sentais le sang battre dans ma mâchoire.
La salive emplissait ma gueule, un râlement rauque sortait de mon
poitrail. Je tirais, ahanant suffocant mettant dans mon cou toute la
puissance de mes muscles. J'avais soif de ma course pour rassasier
mon désir de sang. Le démembrer, lui, là-bas, dans son manteau, le
désosser tout entier, lui, là-bas, la proie. Nous étions quatre
tirant sur le cuir de notre laisse. Nous creusions le sol à force de
nous acharner à courir, sans pouvoir avancer, et dans notre
entêtement à aller de l'avant, nous nous dressions sur nos pattes
de derrière pour retomber, reculer, prendre un élan nouveau et
bondir au risque de nous étrangler à l'instant où la laisse, au
bout de son extension, retrouvait sa cruelle tension. Incapables de
nous soustraire à la rage qui nous envahissait, nous gémissions
contre nos maîtres. A quel jeu jouaient-ils en nous appâtant et en
nous privant tout à la fois ? Pourquoi nous affolaient-ils ? ... »
Boa
Constrictor :
« …
Ils me découvrent entouré autour de la branche de bois fixé au
milieu de ma cage de verre... J'ai dardé ma langue fendue, l'étirant
au possible à travers l'échancrure située sous mes écailles
rostrales, pour prélever le plus de particules odorantes, et j'ai pu
mesurer sa distance, sa forme, sa taille, son poids et deviner la
présence du petit félin à ses pieds. … L'homme qui me nourrit a
émit des sons, paroles diverses et multiples sans importance réelle
pour moi. Je n'ai ni tympans ni oreilles, ni conduits ni orifices,
mais je sens les vibrations et j'ai appris à les interpréter pour
traduire le langage des humains, comprendre leurs intentions et
deviner ce qu'ils tentent de me cacher. »
Musca
Domestica :
« Le
chat se rendort. Je tourne au-dessus d'eux. L'homme bouge dans son
lit. Sa sueur m'affole. Je sens ses effluves. Sueur humaine
désaltérante. Je veux étancher ma soif. J'attends.
J'attends.
J'attends.
Le
souffle lent de son sommeil trouve sa régularité. Je descends en
altitude. Le chat dort à ses pieds.
Il
dresse l'oreille. Je n'ai pas le choix. Il faut affronter ce danger
mortel. Je me pose sur la surface nue et moite de son dos, à
proximité d'un grain de beauté où la sueur s'agglutine. Je bois.
C'est vivifiant. Sa sueur est bonne. Elle goûte la terreur. Il se
redresse je m'envole l'animal bondit. Je tourne autour du plafonnier.
Le chat saute sur le plancher l'homme s'assoit dans le lit … Il y a
des vibrations, des ondes. Je chute en piqué. Je me pose sur sa
nuque. Je bois. Je bois. Je bois. Sa main me chasse. Je m'envole. Je
tourne. Je me pose sur la surface escarpée du mur la tête à
l'envers. Il se lève. Il s'habille. Je m'envole. »
Wadji Mouawad « Anima »
Léméac / Actes Sud
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