Je hais devoir prendre la
route le matin. D'abord, parce que justement ce jour-là, j'aurais
aimé traîner au lit, dormir longtemps, trop, jusqu'à me lever bien
après que le soleil soit déjà haut dans le ciel. C'est ce matin-là
qu'il me fallait pour, enfin, récupérer totalement.
La seconde et principale
raison est que je dois, à peine réveillée, me faufiler dans le
trafic, trouver la bonne voie, anticiper, m'enfiler dans le tunnel
sans me faire emboutir par l'arrière ou sur l'aile gauche, freiner,
m'arrêter au feu qui passe au rouge juste quand j'arrive, me faire
klaxonner. Tout mon corps, encore tiède du lit et mon esprit
empreint de rêves et de torpeur est contraint à devenir machine,
machine à calculer, à anticiper, à gérer, tout en moi se
rigidifie, je deviens rouages mécaniques et électroniques. La
totalité du peu d'énergie disponible en moi à ces heures-là
sombre, engloutie par ce pilotage nécessitant les plus puissants
calculs. Le tableau de bord et la route m'aspirent, surveiller,
vérifier, contrôler, rétroviseurs extérieurs, intérieur et, là
à droite, un camion déboule, je me rue dans la file centrale, les
freins du véhicule à ma droite hurlent, son conducteur klaxonne et
se vrille la tempe de l'index gauche, grimace et vocifère par la
fenêtre. Ahurie, je poursuis ma course folle, le corps disloqué, je
ne suis plus que roues dentelées, cliquetis, frottements. Devenue
mécanique, l'esprit vide de toute pensée, peu à peu je prends
place dans le trafic, ne suis plus que ce conducteur. Seuls mes
réflexes sont aux commandes, métal animé d'une pulsion
locomotrice, j'avance, bouffe des kilomètres, évite les dangers,
fonce dans le trafic, poussez-vous j'arrive.
Mais le pire est encore à
venir : coup d'oeil sur l'horloge de bord, il me faut arriver avant
huit heures. Le temps s'en mêle. Ce bref instant d'inattention est
sanctionné d'un indispensable brusque coup de volant, suivi d'un
freinage in extrémis et d'un déboitement intempestif. Et voilà les
minutes qui s'égrènent et s'allient contre moi. Est-ce à cause de
la vitesse ou pour une toute autre raison exogène ou endogène
qu'elles défilent à toute allure et qu'il m'apparaît de plus en
plus évident que cette course contre elles ne peut tourner qu'à mon
désavantage ?
Résultat : Quand
j'arrive à destination, mon corps ne sait plus s'extraire de
l'habitacle avec lequel il fait corps - c'est le cas de le dire -. Il
en fait partie intégrante. Mon cerveau est totalement essoré de ses
capacités mentales autres que le pilotage automatique, et je suis
inapte à faire quoi que ce soit avant plusieurs heures. Ne reste que
le ON/OFF, Contact/ Arrêt. Le temps que du sang chaud se remette à
circuler dans mes veines, que mes neurones soient ramenés à
d'autres fonctions que les calculs, que les minutes se soient calmées
et mon rythme cardiaque ralenti. Or, c'est justement pour travailler,
réfléchir, transmettre que précisément ce matin-là, j'ai dû
prendre la route.
2 commentaires:
magnifique ! mais un conseil : choisis la marche ou le vélo!
Heureusement, je parle d'une vie antérieure laquelle si c'était à refaire ... Lalalalalère !
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