Je
hais les tire-fesses. En premier lieu parce qu’ils sont toujours bondés sous un soleil d’hiver et vides quand la température
atteint les moins 20. Je prends le tire-fesse ou je ne le prends pas ? Je
prends le tire-fesse ou je ne le prends pas ? J’y vais, et j’hésite. Je
lève la main pour attraper la barre puis je renonce la laissant flotter dans un
bruit de casseroles entrechoquées. Je relève la main et à peine l’ai-je laissée
repartir qu’un surfeur passe le portillon et vient s’écraser sur l’arrière de
mes skis, déjà il jure en allemand ou en russe, déjà la file d’attente s’étire
sur 500 mètres, déjà un brouhaha d’impatience fait vibrer les câbles de la
machine, déjà le moniteur sort de la cabine et m’interpelle pour que j’aille apprendre
le maniement du téléski sur la piste orange des enfants de moins de 5 ans, déjà
me voici privée de ski pour l’après-midi, déjà un bolide me renverse, me voici à faire des signes à mes
accompagnateurs pour leur dire que je les attendrai au bar durant les 4 heures
suivantes ; me voilà déjà à payer une fortune pour le café que je consomme tous les quarts d’heure pour ne pas me faire virer par le patron, que
je dois supporter l’odeur de la raclette mêlée à celle de la transpiration,
supporter la vue des cernes blanches et café au lait, les hurlements des aficionados
qui suivent un match sur la télé du troquet, déjà je dois essuyer les éclaboussures
du chocolat chaud qu’un gamin vient de renverser, maladresse qui m’amène à
supposer que les parents ont quelques perfidies à interdire à leurs gosses de
retirer leurs moufles en plastique, quelle que soit la circonstance, sous
prétexte qu’ils n’ont pas de temps à perdre à les rhabiller avant de rechausser
leurs planches.
La
deuxième et principale raison qui m’incite à haïr les tire-fesses est que si je
réussi à attraper la perche, rien n’indique que j’arriverai au bout de la remontée
mécanique. Tandis que je démarre lentement sous la surveillance malveillante du
moniteur, survient l’inévitable arrêt du câble suivi de la secousse brutale du
redémarrage qui fait ne pas regretter d’être une fille : à part ça, mes
skis s’emmêlent, je ne lâche pas la barre les fesses à gauche, les skis à
droite, derrière moi, le père de famille qui tient son fils entre ses jambes
fait un écart tandis que le bambin roule-boule les fesses à droite, les skis à
gauche, la progéniture et moi encombrons le passage, des touristes anglais nous
décochent des mots d’oiseaux anglophones, un slalomeur dont la tête est coiffée
de frittes multicolores nous insulte en belge, enfin quand je déchausse pour
reprendre ma place dans la file d’attente il y a une
panne électrique qui va paralyser le téléski pendant une heure. C’est sans
compter que, lorsque le corps accepte de se laisser hisser le long du remonte-pente,
interviennent des dizaines de haltes inopinées provoquées par les faux départs
d’autres comparses, des heurts avec des skieurs qui traversent aveuglément pour
passer de la piste bleu à la piste rouge, de la piste rouge à la piste verte,
jouant au flipper avec les perchés que nous sommes puis, en bout de course,
vient le moment le plus délicat de l’aventure : lâcher la perche et se
laisser aller avec délice sur la piste, mais la rondelle d’appui reste
immanquablement accrochée à mon pantalon, je m’élève dans les airs en direction
de l’enrouleur des tiges métalliques croisant au passage le bambin - abandonné par son père - coincé entre deux
ressorts câblés, sous le choc, la rondelle faut et je tombe de 10 mètres de
haut dans la poudreuse.
Résultat :
à la première tentative pour prendre le tire-fesses j’ai engagé une guerre
internationale russo-franco-allemande, à la seconde tentative un enfant a été
abandonné à l’assistance publique (ou bien à la halte-garderie de
la station), à la troisième j’ai grandement amélioré mon vocabulaire zoologique
anglo-belge, à la quatrième j’hérite d’un traumatisme crânien dont personne ne
parle dans les médias. En moyenne j’ai passé cinq heures à déchausser et rechausser
avant d’entamer l’unique descente de la journée. Et quand, à la nuit tombante, je
retrouve mes compagnons, ils se félicitent du bel après-midi qu’ils ont passé sur
leurs planches et m’annoncent que, demain, ils m’emmènent faire une sortie en
ski de randonnée.
La
prochaine fois, je vous parlerai des descentes en skating.
3 commentaires:
Super !!!!!
trop bon, vous devez m'entendre rire de chez vous - et je suis de l'autre coté de l'atlantique, pourtant ! souvenirs de tire-fesses, je croyais qu'il n'y avait que moi pour les détester !
merci Lise, de l'autre côté de l'Atlantique vous avez certainement de quoi aussi nous réjouir en nous racontant les grands froids que vous venez de subir !
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