Mado c'est à toi que je
m'adresse : je sais que tu es retournée dans ce « bleu »
dont tu nous parlais constamment et que tu as passé ta vie à
essayer de peindre.
Aux pages 22 à 24 de ton
beau livre *, tu décris au plus près et au plus simple avec tes
mots à toi ce lieu que tu souhaitais rejoindre. Tu as toujours voulu
retrouver cet état comme tu l'écris et que dire de plus que tes
mots à toi, je te cite :
« Il y eut cet
instant dont je suis revenue alors que j'aurais tellement voulu ne
pas en revenir. Cet instant que je vais tenter de dire : quelque
chose soudain craque, la corde a craqué comme des amarres qu'on
lâche ; je suis deux. Je dis oui. J'accepte inconditionnellement,
j'accepte complètement, totalement de mourir. « Quelque chose
en moi » accepte. Je lâche, ça lâche, je suis d'accord, je
meurs ; « une volonté venue d'ailleurs » me fait tout
lâcher, je suis deux : une en bas, une en haut ; et instantanément
je « tombe » mais pas en bas, en haut, je tombe, je me
trouve dans le bleu … Du bleu profond – vif, beau, décorporée,
je n 'ai plus de corps, je suis envolée ailleurs en pleine
conscience … et c'est une immensité infinie. Plus de corps, je ne
sens plus rien physiquement – je dirais plus tard ils auraient pu
me couper en tranches, en morceaux -, je ne sens plus rien de
physique, plus de souffrance, mon corps n'est plus là mais j'ai
conscience de tout, je les entends parler, je sais que c'est moi et
pas moi, que je n'ai plus de corps physique, état de plénitude
infinie, de vide infini, de solitude sereine infinie, de silence et
de calme infinis, de paix, de RIEN, d'élargissement dans une paix
immense, quelque chose de serein, de silencieux, d'absolument
silencieux, de vaste, solitude ineffable et sereine, c'est bleu, il y
a une présence et pourtant rien. Je ne suis pas et pourtant je
suis. Je suis un immense cerveau, le cerveau unique de l'univers. Le
monde n'existe plus mais il existe quelque chose en démultiplié,
une seule immensité dont j'ai parfaitement conscience. Je suis en
vie avec un regard qui voit à trois cent soixante degrés. J'ai
conscience, je les entends parler … Je fais partie ou plutôt je
suis cette immensité et ce silence, je suis seule, unique,
indiciblement bien. Je suis TOUT. Je suis ce vide et ce plein, ce rien
et ce tout cette « éternité ». Ce n'est pas possible de
l'expliquer il n'y a pas de mots pour ces images et cet état.
J'étais sortie du corps et du monde matériel. Je ne sais si cela a
duré quelques secondes, quelques minutes ou plus ... »
J'ajouterai seulement ces
quelques mots aux tiens si forts.
Ceux-ci ont été écrits
par Hélène Cixous quand je lui ai appris ta mort : «
Madeleine s'est mise en liberté. Naturellement nous la garderons
vivante. »
Et ceux-là par deux
amies rencontrées cet été : « Madeleine est partie et le
bleu elle l'a retrouvé avec toute la sérénité, le rien, le tout
qu'elle a décrit si fortement »
* « Algérie le
soleil et l'obscur » Madeleine Chaumat éditions La Rumeur libre
3 commentaires:
"Ce bleu qui nous enduit le coeur nous délivre de notre condition claudicante. Aux heures de chagrin, nous le répandons comme un baume sur notre finitude. C'est pourquoi nous aimons le son du violoncelle et les soirées d'été: ce qui nous berce et nous endort. Le jour venu, l'illusion de l'amour nous fermera les yeux." Jean-Michel Maulpoix ( Une histoire de bleu)
Et ajouter seulement que son livre m'a bouleversée...
Je revois l'émotion profonde qui étreignait son visage alors que Raymonde donnait vie à ses mots sur la scène de"L'Atelier 44" sur les pentes de la Croix Rousse à Lyon. Il me semble que c'était hier...
Je me sens à votre proximité, vous quatre, cinq ou six, toute de bleue vêtue. Avec pas mal de brume autour des yeux.
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