Quand tout bruit animal
ou humain cessait, ce moment particulier que les africains appellent
le petit soir, juste avant le coucher du soleil, j'aimais aller
m'asseoir derrière la haie, loin de toute présence humaine ; je
regardais la route, l'horizon et j'attendais.
J'avais huit-dix ans ;
ma grand-mère imaginait que j'attendais mes parents, qu'ils devaient
me manquer puisqu'ils me laissaient là dans cette ferme sans confort
pendant deux mois. Je les attendais sans doute un peu, un tout petit
peu ; ce que j'attendais surtout, était cet instant translucide et
silencieux, aux ombres si longues, où tout apparaissait si doux,
ce moment gros de la nuit à venir. J'écoutais chaque bruit se
propager en ondes longues dans le silence général, j'observais
intensément les ombres s'allonger, s'épaissir, la transparence de
l'air avant que le ciel ne s'assombrisse et que la terre devienne
plus claire que le ciel. Je pressentais que quelque chose se
préparait, allait s'offrir à moi, quelque chose de plus grand que
moi que je ne pouvais comprendre, à quoi j'aspirais pourtant de tout
mon corps et de toute mon âme. La même attente
que lorsque je regardais le soir, le crapaud dans les yeux, près du
tas de fumier, le même mystère que dans le corps immobile et
patient de la salamandre qui semblait endormie pour l'éternité. Mon
coeur de petite fille se gonflait, ni tristesse, ni joie, peut-être
un manque, un appel, non pas d'un ailleurs, mais d'un plus de vie,
d'un présent plus plein, d'instants tous identiques à celui-ci,
chaque jour, du réveil au coucher, d'une vie qui excède -non qui
jubile- constamment ouverte au monde et aux autres, comme ce moment
privilégié du petit soir.
Lorsque mon grand-père
rentrait les vaches, préparait les seaux pour la traite, que ma
grand-mère attisait le fourneau, je savais que je pouvais m'éclipser
et que moi aussi, d'importantes tâches m'attendaient. Je prenais le
chemin, allais m'asseoir dans le pré derrière la rase et
m'installais pour participer à la magie. Curieusement, que le temps
ait été au beau ou à la pluie, à cette heure-là, toujours il y
avait accalmie : le vent tombait, la pluie ralentissait et la
lumière, cette lumière que j'attendais, arrivait. Je n'ai jamais
partagé ce moment avec quiconque, n'en ai jamais parlé. Nul besoin
de partager cette vie intérieure qui déborde de soi ; elle suffit à
accompagner un chemin de vie, à nourrir son for intérieur, là où
puiser des forces quand elles viennent à manquer ...
... à suivre
3 commentaires:
inépuisable moment d'accalmie, merci de l'avoir partagé avec nous, et qui sait peut être d'avoir réveillé le mien
Quelques mots de fraicheur! Je te vois toi aujourd'hui et la petite fille que tu as été intimement liées ...
magnifique !
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