"Je nomme et l'obscur s'illumine. Les mots créent le territoire, le badigeonnent, le fixent, l'immobilisent, le fourrent dans une géographie. Il arrive qu'ils soient dépassés par les événements et que l'obscur demeure car toute terre, au fond, est innommable. Le plus vaillant des écrivains voyageurs, Nicolas Bouvier, enrage quand il rencontre un paysage si beau qu'il n'arrive pas à lui mettre des mots dessus. Un paysage qui déborde tout vocabulaire. Bouvier essaie et il essaie encore. Il rate. Une couleur, un pli de paysage le narguent. Le mots ne ramènent aucun gibier. Nicolas Bouvier est énervé. Il rage. Parfois, j'ai l'impression qu'au fond de sa colère, il y a comme de la jubilation : il a la conviction d'avoir atteint le bout des choses, non pas le bout de la route ou la dernière station de chemin de fer, [...]Ce que Bouvier a trouvé, c'est le vrai bout des choses, le point où règne la Terre, solitaire, dédaigneuse, intouchée, une Terre qui demeure inviolée. Une Terre qui précède et qui achève toute géographie. Une Terre au large de toute géographie, non par ce qu'il est difficile d'y atteindre mais parce que le langage défaille à son approche. Une Terre qu'aucun dictionnaire, et par conséquent aucune mappemonde ne peut désigner. Le Graal du géographe, de l'écrivain."
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