19h La nuit tombe sur Abomey |
25 juin – 22h
Récemment arrivée à Abomey, je savoure la fraîcheur de cette
nuit, la nuit étoilée, le parfum des jasmins sous cette véranda où
une vingtaine d'enfants, ados, rient, discutent, nous questionnent depuis deux soirées déjà.
L'air est doux, le chant
de leurs voix flotte doucement, je me sens caressée. Dans mon
incapacité à mettre, pour le moment, des noms sur des visages, tout
se mêle agréablement dans mon esprit, tout s'imprime en désordre,
les odeurs, les paysages, les voix, les émotions... Je suis un vase
qui s'emplit pêle-mêle et j'accueille, m'imprègne.
Des mouvements parmi les
plus grands me tirent de mon bien-être et attirent ma curiosité.
Plusieurs sortent, entrent dans la cour, rient sous cape, les petits
se resserrent tels des oisillons aux grands yeux.
Brusquement, un sorcier
accoutré, presque plié en deux, sautant de droite, de gauche, nous
conte l'histoire d'un grand roi, d'un grand roi vous dis-je, ce roi
était grand, ce roi était si grand et si puissant … et déjà,
il est de l'autre côté d'une scène qui a toujours été là et que
personne n'avait vue.
Les petits hurlent de
rire, je suis stupéfiée par cet acteur qui il y a un instant était
ce jeune adolescent timide.
Déhanchés, sans
inhibition, danseurs, acteurs, musiciens, on dirait qu'ils n'ont
jamais fait que cela.
Ils nous emmènent
maintenant à l'école : un maître - son élève, qui doit réciter
« Le corbeau et le renard ». Ils jouent consciemment sur
chaque mot qui, dans le contexte africain n'a aucun référent, donc
aucun sens, tournent en dérision ET l'apprentissage, ET le contexte
qui leur est imposé, tout en montrant leur amour de la langue et de
l'éducation.
Je suis ébahie, pleure
et rit en même temps.
Puis c'est le Sida, la
contraception, la faim, ces maux qui vont ronger leur vie et dont ils
peuvent encore rire et nous faire rire ; les voir de loin et les
parodier, les exorciser et les expulser.
Arrive un immense
Spiderman (mais où donc dénichent-ils ces nippes-costumes ?),
l'excitation des petits est exultoire.
Tout à coup, dans le
plus grand silence, Déo Gracias entonne un slam, tout doux, sans
colère, son chant monte dans la nuit « Pour toutes les
Aurélie, celles qui ont donné la vie ... ». Hymne à une
jeune lycéenne de seize ans enceinte qui pince le coeur.
J'apprendrai le lendemain qu'il est de Colonel Réel, slameur
français, dont, dans mon ignorance, naturellement je n'avais jamais
entendu le nom.
1 commentaire:
Emu, ému et sans voix, quelle leçon d'espoir ils nous donnent!
Et quelle chronique tu nous fais, des faits bruts, pas de pathos, rien d'ajouté, des faits bruts et leur charge émotionnel originelle, une description fouillée, rien n'échappe de l'essentiel, à l'œil qui sait voir et à l'oreille qui sait entendre.
Respect.
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