Outre
la chaleur humide qui vous enveloppe dès la sortie de l'avion (nous
sommes en saison des pluies, le climat est très agréable pour un
européen qui aime la chaleur et bénéfique pour les articulations),
la circulation et l'état des routes sont frappantes et le restent,
le séjour avançant, le dos, la nuque refusant de plus en plus les
chocs perpétuels.
Dès
Cotonou, en quittant l'aéroport, il nous est impossible de rallier
Abomey par la route directe. Celle-ci est devenue impraticable à
cause des cratères continuels creusés par l'intense trafic, les
deux saisons de pluie annuelles et le manque total d'entretien (où
partent les budgets votés pour leurs réparations ?? C'est une autre
histoire, celle de la corruption lourde et omniprésente). Nous
devons donc contourner par l'Est en direction du Nigéria et passer
par Porto Novo.
Plusieurs kilomètres et une
consommation d'essence supplémentaires qui en valent bien la peine,
compte-tenues des heures en moins à rouler et de la fatigue
épargnée.
Rapidement, on est dans
l'ambiance, pas de trajets ici sans de multiples péripéties pour
des raisons de mode de vie, mentalité, pannes, barrages routiers,
sollicitations diverses, fatigue … Nous mettrons donc environ un
jour pour rejoindre Abomey à 170
kms : banque, change, courses
diverses, achats d'oranges, bananes en bord de route, zig-zag pour
éviter les trous, les chèvres, les piétons, achat d'eau minérale,
traversée de villages jour de marché, croisement ou doublement de
titans (énormes camions remontant aux années 60), arrêt dans une
coopérative pour déguster un succulent repas européanisé (riz,
poisson, frites) et pour acheter sirops et confitures locales, le
clou fut l'achat d'un réfrigérateur par mon amie. Celui-ci ne
rentrant pas dans la 505 break, malgré les multiples essais
commentés et l'aide des passants, quelqu'un hèle une mobylette, on
cherche des ficelles, le réfrigérateur est arrimé sur le
porte-bagages et le voilà parti sous nos regards un peu inquiets.
A cause de tous les trous et
obstacles sur la voie, les véhicules roulent à droite ou à gauche,
on est doublé par la droite, croisé par la droite puis on reprend
sa file jusqu'au prochain obstacle. Par chance, il fait sec
aujourd'hui. Les mobylettes et petites motos sont omniprésentes,
sans plaques, sans casques, sans assurances, elles sont partout. De
nombreux « zems » -taxi-moto que l'on reconnaît à la
couleur de la chemise du conducteur (tous orange, tous bleu, tous
jaunes, on les repère facilement)- sillonnent les villes, les routes
et vous conduisent où vous voulez pour quelques francs CFA. La moto
est aussi un véhicule familial, on s'y installe à quatre, voire
six sans vergogne, un enfant sur le moteur, le conducteur, deux
enfants derrière, la femme qui vient caler tout ça, et le petit
attaché dans le dos, le compte est bon, ou charie d'énormes charges
(tout l'art étant de les fixer) ; parfois, seulement deux personnes,
la seconde ayant placé une charge volumineuse sur sa tête.
A Lomé, capitale et centre
économique du Togo, où le trafic est particulièrement dense,
lorsque l'on s'arrête à un feu rouge, quelques minutes suffisent
pour que 20-30 motos pétaradent devant vous quand il n'y en avait
pas une seule à votre arrivée.
Lorsque l'on traverse un bourg le
jour du marché, toute la route est encombrée, piétons chargés,
charrettes, titans, animaux, enfants, autos, nombreux trous et pour
éviter tout cela « On ne badine pas avec le klaxon » me
dit Patrice.
Nous
avons fréquemment voyagé : au Nord, Dassa, Savalou ; sur la côte
Atlantique, Grand Popo, Ouidah ; au Togo et lors d'un de ces
déplacements, j'ai noté sur une demi-journée (en fait à peine 150
kms) tous les arrêts volontaires ou contraints. A peine une demi-heure
après le départ, ralentissement, un énorme titan est renversé sur
le bas côté, toute la marchandise a roulé sur la voie. Plus loin,
un barrage routier : nous transportons des caisses de matériel
scolaire que nous devons livrer, celles-ci sont visibles et des
policiers veulent contrôler. Les barrages routiers sont nombreux :
policiers, douane, mieux vaut être en règle, déférent et avoir
quelques billets à tendre. Parfois, une corde tendue en travers de
la route, ce sont des réparateurs de route improvisés qui ont
décidé de prendre une pelle, de remplir d'un peu de terre quelques
trous pour gagner quelques pièces. Mieux vaut rouler sur la ficelle
qu'ils abaisseront à la dernière seconde, car ils sont fréquents,
tenaces et hargneux si vous ne cédez pas à leurs pressions, sans
omettre les coupeurs de route, individus malhonnêtes qui vous
arrêtent, vous menacent pour quelques billets. Nous n'avons eu à
faire qu'une seule fois à eux : nous étions seules, Renée et moi,
assises dans la voiture au bord d'une route en pleine campagne,
notre chauffeur étant allé se soulager dans la brousse. Ca nous a
coûté quelques sous, une des nombreuses raisons pour lesquelles
mieux vaut s'abstenir de rouler la nuit. Une heure plus tard, nous
nous arrêtons dans une ONG pour décharger le matériel scolaire que
nous devons livrer : chants d'accueil des enfants « Bonne
arrivée... », attente des « officiels », discours,
sortie du matériel, photographies pour preuves, discours, visite de
l'ONG, chants d'adieu des enfants...
Puis, il faut se détourner de
notre route et aller visiter Séverine qui a besoin de lunettes que
nous avons en nombre dans notre coffre : paroles de bienvenue,
d'amitié, verre d'eau qui circule, essais, re-formules de départ.
Première panne : Patrice ouvre
le capot, observe, « C'est la courroie » conclue t-il,
qu'à cela ne tienne, posté en bord de route il hèle un zem, se
fait conduire jusqu'à la bourgade voisine où il avait déjà repéré
un mécanicien, reviennent à trois sur le zem, cinq minutes, c'est
terminé. Le mécano repart avec le zem, coût total : deux milles F
CFA (trois euros), zem compris. Il est midi, nous avons quitté
Abomey à 7h30. Mais quelle vie palpipante et riche nous avons vécu
pendant ces quelques heures. La route béninoise nous immerge dans un
univers aux multiples dimensions, en une expérience heuristique,
kaléidoscopique, nous la vivons avec les tripes, le dos, la vue,
l'ouïe, l'odorat, chaque sollicitation entraînant une infinités de
ramifications où se mêlent l'espace, le temps, les sens … Le
spectacle se déroule tant sur qu'aux abords des routes, on y croise
la mort, la vie, dans toutes leurs couleurs et leurs zones d'ombre.
Comment ? Dormir ? Comme dans ces voyages où l'on repose la tête
mollement posée sur un appui tête dans un réceptacle presque neuf,
insonorisé, aseptisé et air conditionnarisé, devant un paysage qui
défile à toute allure où le seul spectacle sont les panneaux de
signalisation et les péages d'autoroute ?
1 commentaire:
On pense à "L'explosion de la durite" de Jean Rolin, chacun a sa manière, mais les projets sont comparables. Dire objectivement à partir de sa propre subjectivité, le monde tel qu'on le voit, tel qu'on le traverse, tel qu'on l'expérimente, mais avec la plus grande honnêteté possible.
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