C'est dans une maison
qu'on est seul. Et pas au-dehors d'elle, mais au-dedans d'elle, quand
toute l'ombre se pose sur les épaules, quand les lèvres se taisent,
les yeux s'ouvrent tout
grand et s'apaisent, quand la poitrine se dilate librement à
l'abri des regards.
C'est dans une maison que
solitude rime avec quiétude, que le dehors s'efface et que nos rêves
affleurent. Alors, tous les inconnus qui nous habitent peuvent enfin
peupler ce feutré conte d'hiver qu'est notre for intérieur. L'air
se fait plus dense, l'obscurité et le silence envahissent tout
l'espace de leurs ailes de papillons de nuit qui volètent comme un
groupe de jeunes gens sur un boulevard le soir en bord de mer.
C'est dans une maison que
j'ai accroché la sanguine peinte par tes doigts qui me renvoie à
cette solitude silencieuse que j'aime retrouver en rentrant chez moi.
C'est depuis que tu me
l'as offerte que j'ai trouvé le centre du mandala qui était là
depuis longtemps en moi. Dedans, juste dedans. Et, sans doute,
l'écroulement silencieux du monde aurait commencé ce jour-là. Au
début, j'ai cru que ce serait douloureux, tant de silences tant
d'ombres tant de place pour ne voir que soi-même, à peine si
j'aperçois les mains de la jeune femme tant le tableau absorbe la
lumière. Après quelques mois, je pressais le pas en montant
l'escalier et vite je jetais mon manteau pour qu'on se regarde dans
les yeux.
Ce sont les jours de
neige où j'aime particulièrement la retrouver. Quitter tout ce
blanc dehors, cet aveuglement, le gel et le froid et me blottir dans
sa chaude obscurité accueillante. C'est un peu comme si je quittais
Wall Street, ses rumeurs, ses paris, ce monde d'argent et de luttes
pour rejoindre – telle Alice traversant le miroir – un monde
ouaté ouvert à tous mes fantômes. Au fil des ans, c'est dans ma
chambre, face au miroir que j'ai trouvé sa place définitive. Je la
vois en permanence. Debout dans la chambre, je lui fais face et,
couchée, c'est elle qui me guette dans le miroir. Ses joues roses et
ses grands yeux sont mon arsenic, ma mort subite, et certains soirs,
je m'endors nombreuse. Nous sommes dix dans mon grand lit, tous
veulent parler en même temps, un vrai concert de noix de coco. Qui
me croira si
je révèle que le silence, l'obscurité, la solitude
engendrent un tel vacarme intérieur ? Qu'en dirait un informaticien
avec ses oui/non, à chaque question sa réponse prévue et aucune
autre ? Moi, je m'y retrouve, plus même, j'y puise des forces et une
énergie décuplée pour affronter le dehors chaque jour. Je suis à
même chaque soir de retrouver mes pistes sans devenir paranoïaque.
Quel talent dans les
doigts qui ont tenu ce crayon ! Quelle mission s'est vue confier
l'artiste ! Se doutait -elle de tous les fantômes qu'il allait
libérer ?
Maintenant, après tant
d'années, maintenant que tous se sont exprimés l'un après l'autre,
je te vois, toi, la jeune fille, et je sais que tu souris parce que
tu es forte, calme, sereine, sans préjugés.
2 commentaires:
j'adore ton texte .. il m"emporte dans ces mondes mystérieux, à la frontières du réel, comme ceux que me fascinent tant dans les livres de henry james .. peut-être cela a-t-il été déjà dit à l'atelier (?) mais le "certains soirs je m'endors nombreuses", quelle belle trouvaille !
et ces oppositions entre vacarme et silence, intérieur extérieur, face et couchée, soi et nombreuses, comme l'a bellement écrit Natô, etc;, c'est génial, hyper construit sans en avoir l'air !!! spontanément
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