Est-ce la moiteur du
climat, l'état léthargique dans lequel l'humidité ininterrompue
laisse le corps, la perte de tous repères habituels qui font
retentir si fort en moi les nuits africaines ?
Chaque nuit me prenait
dans un sortilège. Aussitôt couchée, tout bruit semblant avoir
cessé, je m'aperçois bien vite que le silence est habité par un
brouhaha lointain et incessant. Vagues musiques dans le lointain,
caquètements, bêlements, sarabandes de souris et de margouillatss sur ma
tête, tambours, paroles de femmes … La moiteur du corps et des
draps, les bruits-musique en fond sonore, le sommeil arrivant
basculent mon esprit dans un état de confusion mentale. Mon corps ne
m'appartient plus, mon esprit non plus. Je suis ensorcelée, prise
dans les rets d'un maléfice ou est-ce subjuguée par un charme,
tous ces sons lointains ayant l'effet magique d'incantations. Ces
sensations totalement inhabituelles à mon corps, mon cerveau
brouillent tout. Perceptions, souvenirs se mêlent, fusionnent. Tous
mes repères s'évanouissent, ne reste rien à ma rescousse, ni
connaissances, ni certitudes, ni croyances. Hallucinée, l'esprit
flottant, tout mon être est en semi-conscience, hors de tout
contrôle de la raison. Fascinée, charmée, vaguement effrayée,
tout m'échappe. Dans un état de demi-sommeil différent du rêve,
ma porosité au monde, mon déboussolement est total. Déliée, sans
défense, envahie par le monde, tout peut arriver.
Certaines nuits, éclate
une altercation. Des cris explosent, des hurlements fusent. Les
femmes hurlent, les ados rétorquent, des enfants pleurent et
derrière tout cela toujours les mêmes battements de tambours, les
vibrations de basses d'une musique, les frôlements, bêlements.
Rythmes et volumes vont crescendo puis tout à coup s'apaisent en un
diminuendo comme si une entente était en vue. Quand, tout à coup –
un chef d'orchestre dirige t-il les opérations ?- rythmes et volumes
enflent sans que ne se perçoive aucune réelle agressivité.
Emportée par cette fête des voix, je me suis souvent questionnée :
altercation impromptue ou danse organisée ? Questions / Réponses ?
Choeur hommes / Femmes ?
… Et puis
chacun-chacune salue, j'entends les pieds frotter le sol, on rentre,
la bagarre est finie jusqu'à la prochaine fois, on se salue.
5 heures du matin, au
réveil d'une nuit ensorcelante, de « pensées » molles,
de rêves érotiques, j'entends, avant le jour un oiseau lancer son
chant, mais les bruits domestiques qui commencent l'empêche de se
déployer dans le silence. Chants des coqs, poulies des puits
grinçantes, couinements des portes métalliques, bêlements des
chèvres plus forts, tintements des bassines métalliques
entrechoquées, doux chuintement des courts balais de palmier que
passent les jeunes filles dans les cours, repoussent doucement le
voile de la nuit. Quelques jeunes enfants pleurent. Le muezzin a déjà
poussé ses appels. Dans deux heures, il fera jour et les sons vont
s'amplifier.
Certains matins,
lorsqu'il a plu la veille au soir, sont comme un commencement du
monde : les coqs chantent, en silence les enfants calmés balaient la
cour détrempée, le déjeuner est de pain frais livré à six
heures par Blandine, de confiture de mangues, de petites bananes et
d'un ananas juteux juste ouvert. La pluie a apaisé le monde, les
hommes, les esprits. Règne un calme inouï. On dirait un début de
monde, tout neuf, tout frais, tout calmé, lavé. Les femmes vident
les cases, les nattes sortent au soleil pour sécher. On recommence à
zéro.
Finis les sortilèges.
Qui a parlé d'envoûtements ? Les palmiers se balancent dans un ciel
infiniment bleu.
La cour se réveille |
Lever |
Sous le palmier |
Estelle au puits |
Tatasonga au nord de Natintingou |
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