Nous
irons à Mossoul
Nous
irons à New York
Nous
irons au Bataclan
Nous
irons dans ce petit village de la Dordogne où l'on plume les oies
vivantes pour en faire des doudounes de luxe, où la police des
champignons patrouille et vous confisque votre panier si vous n'êtes pas dans ses petits papiers.
Nous
irons à Alep, chercher du savon de Marseille, nous n'irons pas à
Calais,
Circulez !
Nous
irons en Suisse, bien sûr, pays de la liberté neutre et propre, où
les bottes bien cirées ne demandent qu'à marcher
Nous
serons là, sur le pas de la porte, à humer le vent, à déduire son
orientation, à admirer la lumière de Novembre sur le bouleau doré et
plein d'oiseaux qui regardent le monde de plus haut.
Nous
mettrons un pied sur la première marche de l'escalier qui se dérobe,
travaillé dans ses minces fondations par les racines des arbres qui
se sont plantés là, tous seuls, comme des arbres émigrés.
En
fait nous resterons là sur le seuil, la valise au bout du bras qui
s'allonge sous son propre poids de valise, jusqu'à la laisser
reposer sur le palier. Les mains pendantes
Au
seuil de quitter cette maison, nous aurons une pensée pour ceux qui
sont venus de loin, l'ont habitée avant nous, l'ont construite,
même. Nous aurons une pensée pour ces gens, venus du Sud ou de l'Est
de l'Europe, ces crève-la-faim chercheurs d'eldorado preto,
transformés en taupes le temps d'attraper la silicose, ressortis à
l'air libre quand leurs poumons ne pouvaient plus l'aspirer. Nous
aurons une pensée pour ces esclaves importés par la Compagnie de la
Méditerranée qui pensaient retrouver la mer et se sont retrouvés sous terre.
Nous
resterons sur le seuil à écouter les doubles discours apportés par
le vent dans le criaillement des étourneaux
Nous
penserons qu'un jour la Terre n'était/ne sera/ n'est - qu'un seul
pays. "On tourne en rond, y a rien à faire, c'est la malédiction du système solaire" chantais-je, il y a longtemps.
Nous
consulterons le Dictionnaire des migrations, fascinées par les
flèches rouges, vertes, bleues, aux mouvements puissants et
incurvés.
Des
flèches pour les peuples errants, des flèches du Sud vers le Nord,
de l’Est vers l'Ouest, mais toujours à la lisière du méridien de
ceinture, au-delà duquel il fait froid, il fait nuit, il fait océan.
Nous
étions prêtes à partir, à quitter, à décamper, à fuir,
Parce
que le chef ne nous convenait pas, parce que les petits cons sous nos
fenêtres nous pourrissaient la vie, parce qu'il y avait décidément
trop de vent à présent, pas assez de neige, passablement de
moustiques et énormément de pyrale du buis. Nous étions prêtes à
déménager parce que les loyers étaient devenus exorbitants, le
voisinage trop 4/4 ou pas assez.
Dans
la valise nous avions mis quelques doudous, des bonnets de rechange
et des paires de lunettes aussi. Des crayons et des cahiers, de
l'aspirine et du pain dur.
La
valise est légère, elle est vieille et rafistolée, elle a beaucoup
servi. Voyages d'agréments, « escapades », tourisme
professionnel. Une valise dorée qui a connu les soutes, les
compartiments non fumeurs, les plate formes d'où l'on peut passer
ses appels téléphoniques, et le garage du dessus de l'armoire.
Nous
irons à Mossoul voir les djihadistes entraîner dans leur « martyr »
des martyrs non volontaires, et les libérateurs de rue faire des
omelettes avec des œufs humains.
Nous
irons à New York défiler avec les Américains -qui n'ont pas voté…
Nous
irons à Lampedusa, à Lisboa, à Lesbos
Nous
irons à Saint-Pétersbourg, à Libreville, à Istanbul, à
Reykjavik, à Papeete. Et si nous allions « là-bas » ?
Nous
resterons sur le seuil, ma petite fille et moi, à humer encore le
vent et puis nous resterons là, car il n'y a nulle part où aller.
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