Ma chère Froufrou,
Il m’arrive une chose bien curieuse : voilà que je suis bloquée dans cette maison où je passais quelques jours pour cause d’intempéries. Pour couronner le tout un glissement de terrain a coupé la route et je suis donc seule, abandonnée à moi-même et coupée du reste du monde. Sur le coup bien sûr, j’ai eu quelques angoisses. Il n’y a plus d’électricité et mon téléphone portable ne « passe » pas par ici. Je n’ai donc pu prévenir personne et peu de gens savent où je me trouve et n’auront pas l’occasion de s’inquiéter de mon absence puisque je ne les côtoie pas au quotidien. Je ne m’inquiète guère pourtant de ma survie mais je me soucie en premier lieu de mes quelques proches qui ne vont pas manquer de m’envoyer leurs vœux et vont sans doute s’étonner de ne pas avoir de réponse au bout d’un moment. En effet
comment exister seule dans ce désert blanc, avec ce silence que je ne connaissais plus ; je regarde par la fenêtre embuée, l’étendue infinie qui ressemble à une mer de nuages vus d’avion et mes pensées m’échappent comme une vapeur ; elles ne rencontrent rien, rien qui puissent les arrêter, rien à quoi se heurter, car
les flocons tombent depuis des jours sur cette immensité, répandant sur moi la plus belle des lumières et moi si fatiguée à mon arrivée ici, si pleine de bruits et de fureurs, je reprends peu à peu le chemin immobile de la paix. Je ne sais pas, en écrivant, quand cette lettre pourra te parvenir, je l’écris un peu « à fond perdu » mais c’est parce que du fond de ma solitude blanche et encore douillette, mes pensées sont allées vers toi. Tu as si souvent été retranchée dans la solitude toi aussi, tu as si souvent été coupée du monde, que tu dois bien avoir ressenti ce que je ressens, cette sorte d’exil
m’est profondément apaisant, bienfaisant ; et pourtant en je pensais en avoir peur, peut-être parce que j’associe cet exil au vide, à la mort, la mort blanche, celle de l’alpiniste perdu dans les montagnes et qui finit par renoncer à ses semblables. Finalement, j’imagine comme cette situation peut être douce...
J’ai du bois pour la cheminée, des provisions dans les armoires et des idées à mettre en ordre. Moi qui si souvent rêve de faire retraite, me voici exaucée. Il y a pourtant quelques passages à vide, lorsque la nuit tombe et que ma chère lumière se retire, me laissant alors dace à face avec mes démons. Mais je m’en arrange aussi, allumant les bougies –que j’économise pourtant. La sensation étrange, c’est de ne pas savoir combien de temps cette situation durera : à cette altitude, la neige peut continuer de tomber pendant des jours et des jours, et que trouvera-t-on de moi alors à la fonte des neiges ?
Si l’on me retrouve congelée, je voudrais être belle ; j’aurais aimé revêtir l’un de mes kimonos japonais que j’ai oublié d’emporter dans ces contrées froides et sauvages ;
tant pis mon kimono sera de neige.
Je te quitte à présent, je sais que tu liras cette lettre à un moment si décalé de cette réalité, qu’elle ne voudra sûrement plus rien dire, quant aux faits en tous cas. Pour le fond, ma sérénité, la lumière, le silence, le rythme lent de l’exil involontaire, tout cela restera gravé en moi pour toujours, mais j’espère pour autant que tu m’y reconnaitras.
Je t’envoie toute mon affection et puisse ma paix arriver jusqu’à toi en cette instant.
NMPB
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