Quelle persistance dans la cuistrerie, tant de lettres pour décrire vos basses cuisines... Et oui, je n'ai rien vu, rien entr'aperçu ; dans ce brouillard et cette grisaille, tout en moi est en latence, des pensées aux sentiments. Quant à mon regard, je ne m'étonne guère qu'il vous ait subjugué. Une telle ferveur y couve depuis ce voyage à Berlin. Je rêve, en permanence, yeux grands ouverts.
Encore sur la Rosa Luxemburgplatz, toujours émerveillée par la neige qui tombe lentement et inlassablement, sur cette place blanche et son symbole en marche. Yeux grands ouverts, je plane dans cet état second où m'a plongéecette ville où tout m'est cher : la langue, l'architecture, la Spree charriant ses grands pans de glace, les bars, les maisons peintes. Mes yeux ne voient rien ni personne. Comment aurais-je pu prêter la moindre attention à un cuistre de votre genre, alors que j'ai peine à fixer mon regard et mes pensées sur ce qui se déroule devant moi ? Si je vous réponds, c'est seulement pour saisir au vol une occasion de plus de parler de Berlin, de m'y replonger. Il est si difficile de trouver une oreille réellement intéressée. Je logeais tout près de R. Luxemburgplatz où se trouve la Volksbühne (célèbre théâtre où vous n'avez aucune chance de jouer un jour) et de la Karl Liebknechtstrasse. Le 15 janvier 1919, les Freikorps les arrêtaient tous deux. Ils furent emmenés aussitôt à l'hôtel Eden "pour interrogatoire". On les rua de coups durant tout le trajet. Peu après, on les assomma à coups de crosse.
K. Liebknecht fut conduit jusqu'au Tiergarten où on le laissa descendre avant de l'abattre. R. Luxemburg fut tuée à bout portant dans le véhicule. On jeta son corps dans le Landwehr du haut du pont Liechstenstein. Militante antimilitariste, elle avait fondé avec K. Liebknecht la ligue Spartakus, qui allait devenir le Parti communiste allemand. Ame douce de la révolution spartakiste, elle dérangeait. Elle dérange encore. En 1988, à Berlin-Est, devant les Vopos allemands, les manifestants brandissais des pancartes où on pouvait lire :" La liberté, c'est d'abord la liberté de pensée des autres". Ce sont ses mots à elle.
La rue exacte où je logeais est Zionstrasse : Zionskirche est une église tristement célèbre du quartier de Pranzlauer. Ses salles paroissiales furent perquisitionnées par la Stasi dans la nuit du 25-11-87. Ses sous-sols abritaient la fameuse "bibliothèque de l'environnement" bien connue de l'opposition. On y disait des poèmes, on y organisait des débats, les livres officiellement interdits y circulaient sous le manteau. Sept jeunes gens qui s'y trouvaient furent arrêtés. Cette perquisition avait enfreint une convention tacite : l'inviolabilité des lieux de culte. Les responsables étaient loin de se douter que leurs agissements susciteraient des réactions diamétralement opposées à l'effet escompté. La perquisition déclencha une incroyable vague de solidarité dans le pays, et plus spécialement à Berlin-Est. Nuit et jour, des jeunes faisaient brûler des cierges devant la Zionskirche, afin d'obtenir la libération de leurs amis, au péril de leur liberté. Les habitants du quartier apportaient du café chaud et des sandwichs (tradition qui se perpétue aujourd'hui pour les sans-abris). L'évêque de Berlin et le pasteur de la Zinskirche se relayèrent quotidiennement pour les cérémonies de recueillement. Au dehors, les cars de police et des centaines de membres de la Stasi en civil montaient la garde. Et ce furent alors encore les mots de Rosa L. qui furent brandis.
Que pouvions-nous faire d'autre pendant ce bref séjour berlinois qu'arpenter ces rues, arrière-cours, lieux de mémoire ?
Alors, suis-je vraiment allée au théâtre comme vous le prétendez ? Je n'en ai aucun souvenir. Fantôme en marche, je vais, je viens jusqu'à ce que s'estompent peu à peu les souvenirs.
Voici encore quelques photos de -là-bas- .Tant pis pour vous.
1 commentaire:
belle boucle de consignes beau voyage au coeur de Rosa. bec cloué de T. il aura du mal à s'en remttre !
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