Je sais que tu dois rentrer dans la journée. Il y a déjà plusieurs semaines que tu es de plus en plus souvent et de plus en plus longtemps en déplacements. A dire vrai, tu ne rentres guère plus que le week-end, parce que quelque chose encore t'y oblige.
Tu arrives vers midi, je t'ai mitonné un repas léger comme tu les aimes, je me suis faite belle et je t'attends. Tu entres, déposes ton cartable, ta valise, ôte ton écharpe rouge et ton imperméable noir que tu accroches consciencieusement dans l'armoire. Tu ne me sautes pas au cou selon ton habitude, déposes un baiser sec sur mes lèvres et quand je te demande « Où étais-tu tous ces jours-ci ? », tu me dis « Hé bien, je vais te dire la vérité. J'étais chez une femme, elle s'appelle Irène, j'ai dormi chez elle. Je voudrai que nous nous séparions, mais je souhaite continuer à travailler avec toi. Je trouve qu'à nous deux, la boîte tourne bien, on se complète parfaitement, tu es bonne partout où je suis mauvais, et je réussis partout où tu te débrouilles moins bien. Nous faisons un bon tandem, les clients sont satisfaits et il n'y a aucune raison de ne pas continuer ».
Je le regarde, sonnée, ne rougis ni ne blémis, aucun des muscles de mon visage ne se contracte , je respire profondément, calmement, abdominalement comme je l'ai appris, le regarde longuement n'en croyant pas mes oreilles ; en réalité , j'attends qu'à tout moment il éclate de rire et me dise « Mais non, ma chérie, c'est une plaisanterie stupide, ce n'est pas vrai »
Je me lève, nous étions jusque là, tous les deux assis au soleil, à la table de la cuisine, vais dans notre chambre, prend le petit père Noël en peluche accroché à notre lit – c'est le premier cadeau que tu m'as fait, lorsque nos yeux étaient encore rivés l'un à l'autre au restaurant, au point de ne pas savoir ce que nous mangions-, attrape la paire de ciseaux de cuisine et délibérement lui coupe la tête au-dessus de la poubelle et sans un mot, laisse tomber les deux morceaux. A ton regard, je comprends que mon geste te déboussole, sans doute as-tu prévu des cris, des pleurs, des arguments. Je me regarde agir mécaniquement, aller à pas tranquille vers les étagères de verre que tu m'as confectionnées, saisir le magnifique gros oeuf en pierre, composé de cinquante pièces parfaitement ajustées et qui tient debout sur son socle, offert un jour d'anniversaire de rencontre, disjoindre chaque pièce dans un bruit d'osselets et leur faire rejoindre la poubelle dans un joyeux tintamarre. « Mais qu'est-ce que tu fais …? ». Je suis déjà repartie pour revenir avec ce beau pommier en bois, puzzle en deux dimensions, avec ses branches vertes, couvertes de magnifiques pommes rouge-vif ; d'un geste sec, je le démantibule et lui aussi part rejoindre les morceaux précédents dans la poubelle. Je me rassieds et m'entends te dire qu'il est hors de question que je continue de travailler avec toi, que oui nous allons nous séparer, et que vu que tu es gérant de la Société, tu veuilles bien me convoquer pour un entretien de licenciement, et que tu as intérêt à bien réfléchir aux raisons que tu vas invoquer. Tu ne me crois pas. J'ouvre la porte et te demande de préparer quelques affaires, t'annonce que je ne reviendrai pas sur ma décision.
Au moment de sortir, tu m'embrasses, me serres dans tes bras et me dis « Tu sais, tu fais partie de moi maintenant... ». Je n'écoute plus, déjà la porte est refermée...
3 commentaires:
moi je trouve que tu es bien dans les clous de la consigne. en revanche je trouve que le paragraphe : "tout à coup je vis la scène..." pourrait être tout simplement supprimé. on comprend suffisament qui il est et où se situe ton indignation que dailleurs tu explicites très bien ensuite en évitant l'analyse.
le défilé des cadeaux est très pittoresque, ainsi que les cadeaux eux mêmes!
J'ai bien relu le tout et suis entièrement d'accord avec ta suggestion, j'ai donc supprimé le paragraphe en question et en ai profité, à la lecture du texte de Marie, Pierre, pour tout mettre au présent et dans un style direct
Merci pour l'aide
C'est un texte très visuel que tu as écrit là!
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