jeudi 31 mars 2011

Mots en Em

Militer


Dans l’oreille de l’enfance, la voix des anciens tombait par pluie fine, douçâtre quand elle faisait silence sur leurs souffrances dans les camps de déportés ; ils en étaient revenus en petit nombre, et se dissimulaient maintenant dans leur pudeur, l’estomac serré par les privations ; pluie drue de la révolte quand elle criait l’injustice de la boîte qui ferme, mal gérée, pas soutenue par « les politiques », occupée durant des mois. Les jeunes écoutaient. Ils étaient de la famille, de leurs voisins, pères, oncles d’ami-es... Militer était donc une histoire de vie et de mort, autant que de famille que de voisinage. Alors, naturellement, à l’approche de l’adolescence (13 ans ? 14 ans tout au plus ?), nourrie de cette mémoire à la volée, l’adhésion aux « jeunesses » pour continuer le lien avec les copains et copines, et avec/par eux le lien avec ces nourriciers d’éthique, avec les dénonciateurs des inégalités, avec les "gueuleurs" contre les défections politiques devant les fermetures, les restructurations. Et puis, les familles achetaient à crédit, sur le catalogue de Manufrance, découvraient les grandes surfaces, partaient une semaine en vacances, parfois, pas tous les ans.
Aux « jeunesses »... quelques réunions, quelques références au Capital, à l’Idéologie allemande mais l’essentiel n’était pas là, il tenait dans l’organisation des soirées de collage d’affiche, dans la distribution des tracts pour les manifestations qu’il s’agissait de suivre derrière la bannière (très important d’être nombreux derrière la bannière), et l’enjeu premier ? C'était les élections, les élections, rien d'autre. Quelques grands meetings avec à la tête: un fils clownesque, aimé des médias, populiste... Et les anciens ? Guère de force pour venir à ces meetings ? Le souhaitaient-ils ? Y étaient-ils, au fond dans le fond ? Un maire, ancien résistant ; cela a été bien un maire communiste, pour des choses, mais il n’a pas sauvé Manufrance, ni les autres Manu. Pour la gauche réunie cela deviendra l'héritage de la droite à battre, bientôt en 81. Alors on fait semblant de dénoncer, mais au fond dans le fond... on laisse faire. Dans les cercles intellectuels, économistes, gauche et droite sont d'accord. Traité de Lisbonne...
Dans le quartier croissait la misère ouvrière et la précarité touchant d’abord les immigrés, double peine : chômage et racisme, et leurs enfants aussi ; mais ces derniers étaient nourris au lait des anciens combattants contre la colonisation : ils ont créé des associations de lutte contre le racisme, contre l’extrême-droite, une marche immense, magnifique se terminant par une grande fête à Paris... là était le combat. Au parti ? Les immigrés prenaient le « pain des français »... Premiers doutes : les injustices ici et maintenant ne sont plus Le Combat ? Désarrois. Silence des anciens, à moins qu’ils soient partis du parti, partis de l’autre côté de la partie de jeu, partis de la vie. Ils regardaient de loin, du fond.
Petit tour dans quelques réunions chez les écologistes naissants, pour voir, et eux ? Un chef de parti local terne, propositions fades, souci électoral encore (il ira chez les écologistes de droite quelques années plus tard). Pas de défense de Manufrance ni des manus d’ailleurs. Et puis : discussion avec Le Militant, son archétypique, celui de LO donc... Donc discours prémâché, codé à l’extrême, quelle extrême d’ailleurs ? Vieux pou semblant bien apprécier les rencontres avec adolescente en quête de sens.
Débâcle. Enthousiasme mai 1981. Racisme triomphant. Silence politique sur les fermetures toujours, sur la politique de l'OCDE, sur les ouvriers, sur ces habitants précaires et ces femmes des grands quartiers : ils deviennent les responsables de leur condition économique. Nouveau discours politique : on évite les termes d'inégalités, on parle de vulnérabilité ce qui permet de renvoyer la difficulté aux individus, la pauvreté s'essentialise. Ignorées les ouvrières prises en compte dans les statistiques comme composant la population des « ouvriers ». Contre le chômage ? Si les femmes retournaient à leur foyer? Elles, travailleuses, qui font marcher à plein régime la machine économique et la surconsommation des ménages, qui composent à part égale avec les homme la population active, qui réussissent davantage scolairement, qui connaissent le double, triple travail (domestique, éducatif, professionnel).
Alors le temps passe. L’appel des résistants, tiens, les anciens sont de nouveau là, ils parlent de... la résistance civique. Les collectifs existent depuis plus longtemps, désobéisseurs parmi les fonctionnaires, les scientifiques en révolte, les infirmiers, médecins, éducateurs, instituteurs, profs, les salariés des grands groupes et les autres... se réengager dans ces collectifs. Mais adhérer pour un parti à élection ? ... ? ʕ

1 commentaire:

Ange-gabrielle a dit…

On est à Manufrance et aussi tellement plus loin, le PC qui éclate, les lâchages en tous genres,on brade, on démantèle.
Ce texte militant au réveil, après oeufs et poisson m'a ramené sur terre, là où c'est pas toujours beau
Merci