Parfois
on dérape sur certains mots, comme si les creux et les sinuosités
des lettres donnaient un surcroit de vie à quelques lieux, ou
quelques êtres revêtus d’un peu d’importance. Un mot se risque
dans la rumeur de la langue, vient se frotter aux éclats d’un
monde et se coagule entre les lèvres. Drossanges n’était pour moi
qu’une maison qui rimait d’or avec mon prénom et le nom du
village, où tous les étés je venais boire un verre de grenadine,
grignoter un biscuit , m’étonner du vagabondage des poules dans la
cuisine et laisser ma main caresser le dos du chien aux poils fauves
qui portait le doux nom de Furlot. Des cousins germains de ma
grand-mère, Firmin et Marie, vivaient là, dans cette maison isolée
au bord de nulle part. On libérait les chèvres de leur enclos et
on les menait dans le grand pré derrière la maison où des frênes
formaient une haie qui a disparu, comme beaucoup d’autres. Mon
frère et moi détachions quelques feuilles pour les offrir à ces
bêtes qui les affectionnaient. On se disait que les chèvres nous
aimaient. Et Furlot aussi qui se couchait à nos pieds.
Il n’y avait là rien d’autre
qu’un réel, à langue égarée. Et même si les souvenirs
s’éliment un peu à la marge, je n’ai pas en mémoire ce
ruisseau qui se nommerait aussi Drossanges . Sa source et son
embouchure me sont étrangères; apparemment c’est un affluent de
l’Ance coulant sur 3,21 km. Il appartient à cette hydrographie
muette mais néanmoins porteuse de nom, suintant entre des touffes
d’herbe, au fond de ravins inaccessibles où s’écoule une vie
dont on ne sait pas grand chose. Sur la carte IGN, il semble couler
en pointillés, sans être nommé . Il pourrait naître au sud de
Bois de cour, tout près d’un des chemins où mes pas me guident
régulièrement… et je ne savais pas. Je fais un arrêt en image
figée sur cette ligne de démarcation entre une réalité imprécise
et un rêve tout neuf. Je tente de suivre son chemin sur l’écran
d’ordinateur, le perd, le retrouve, le perd à nouveau, découvre
alors un autre ruisseau celui de Boissières avec qui raisonnablement
il doit s’accoupler avant de se fondre dans l’Ance et plus en
amont dans la Loire…
Le
nom de Drossanges se doit d’être désormais partagé entre une
maison qui ne rouvre plus porte et fenêtres depuis de longues
années, et ce cours d’eau qui suinte encore quelque part où je
n’ai pas laissé glissé ma main, ni abandonné quelque vaisseau de
papier. Ce nom vibre doublement entre pierre et eau, à la lisière
de mon regard, Il s’amplifie de mots naufragés sur les rives de la
mémoire. Pas très loin, sur le versant opposé, je lis ravin du
jugement où l’on ne peut
accéder et cela vaut peut-être mieux. Est-ce l’écriture,
couverte de jadis,
qui agrandit la carte ou la
cohabitation intime avec les mots d’une carte qui pousse des portes
inconnues ?
2 commentaires:
Dis-donc, on risque de tomber nez à nez avec des anges, dans ton pays, ça en est caffi !
Toujours et encore éblouie!!! J'aurais envie d'être la petite fille qui va siroter la grenadine même si le temps a couru trop vite du passé à l'ordinateur!...
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