
Rideaux sombres occultant murs et fenêtres, tout est clos et ouvert sur l’intérieur. Chapelets de boules de papier pendeloquant entre les tentures noires démesurées, visages de terre, aux yeux abaissés et reclus en eux-mêmes, recouverts des lambeaux de mues successives. Pénétrer ainsi, pas après pas alenti, dans les replis de ce qui peut se nommer soi. Que s’écartent les heures dans l’embrasure des temps. Que s’enjambent les seuils des ombres amassées. Que se déplissent blanches les brumes de naissance. Que se lèvent les vents sous le dessein des mots. Que crépitent les cris entre les lèvres closes. Que s’ouvrent les rideaux sur un paysage intérieur. Que des visages entre les draps de suie naissent à la lumière. Ce qui frémit là dans l’intérieur de ce coffret intime que l’on tient hermétiquement à l’abri de regards indiscrets, cette petite brume irisée de silence où l’on imagine des mains presque transparentes, aux veines bleuies, dont les années ont affirmé leur force et leur détermination à mettre au jour sans faiblir les petits riens qui permettent la naissance du tout. C’est, à partir de là, de ces extraits de récits délicatement choisis dans la moêlle des livres, parchemins palimpsestes soigneusement noués, que tout peut arriver. Tous ces fragments de lectures recopiés, entassés entre d’autres pages, noircies de l’encre du devenir, tout ce qui se fera chair pour un nouveau corps. Le verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous. En hébreu, le mot basar a deux sens : non seulement la chair, la viande, mais aussi tout l’être vivant, la personne humaine dans son entier. Ce corps qui, patiemment se sculpte, prend forme, se déforme, se reforme tout au long d’une vie. Ce corps ligaturé de mots qui disent ce que l’on tente d’être. Nous sommes tous le titan Atlas. Tous, nous portons notre histoire et l’histoire de nos aïeux sur nos épaules. Tous, nous ployons sous le poids de leurs vies. Cette statue en nous se crée, déploie sa musculature, la ligne de ses os, s’insère, se niche entre nos vertèbres, faisant ployer notre dos au fil des ans, écartelant nos mâchoires, façonnant notre langue, donnant un relief singulier aux mots qui s’échappent de nos bouches, un accent, une intonation dont notre conscience n’a pas toujours pris la mesure du phénomène. En nous donc, cette sorte de caryatide s’est nichée, modifiant et sculptant notre squelette, notre anatomie, notre démarche, notre philosophie. Réaliser cette présence intérieure, faite de mots et de chair de terre, en accepter l’étrangeté et la force données. Décider de composer avec elles et faire grandir l’être intérieur.
Voici la version 2 correspondant à la série de photos 3 de L'œil et la source. Voir la version 1 ici
Dans la version 2 des textes que j'écris, avec les trois mêmes photos, mon protocole d'écriture est différent. C'est un texte de plus de 400 mots présenté en un seul bloc de prose. Il y a un titre d'un seul mot qui apparemment commence par le préfixe in ou im: implicite, incertitude, impalpable. Pour l'instant ce sont les seules contraintes.
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