Il était rose et bleu le matin, orange sur le coup des midis et virait au violet vers le soir. Il dégringolait la campagne, traversait la forêt et sentait bon la mousse et la résine qui pleurait le long des troncs racornis des vieux arbres. Il serpentait comme un chien fou, sans respect pour le plan cadastral mais existant juste sous les pas des gamins qui l'empruntaient pour aller à l'école ou sous les semelles lourdes des paysans pour aller à la ville.
Mes petits pieds d'alors avaient juste leur place dans la rigole tapissée de poussière et d'épines et j'aimais les laisser traîner, abîmer mes souliers pour laisser une trace de mon passage et chaque matin je me voyais Petit Poucet le soir à la recherche des indices déjà disparus. Quelques fois, au milieu du sentier, des rochers poussaient à fleur de terre et les grandes couleuvres venaient s'y réchauffer et faire peur à mes dix ans à peine. Elles ont habité mes cauchemars pendant longtemps et aujourd'hui encore je tressaille en pensant à leur long corps lustré me barrant le chemin, à leur langue fourchue et insolente qu'elles dardaient sans aucune pudeur.
Je l'ai aimé comme un père ce chemin! Et lui, je le revois, les dimanches matins, grimpant difficilement la côte raide mais s'extasiant pourtant sur ses quatre gamins qui couraient dans tous les sens, s'amusaient à attraper les papillons, riaient d'un hanneton qui s'enfuyait à tire d'élytres. Savait-il seulement qu'il allait mourir bientôt, qu'il ne les verrait pas grandir ses petits, qu'un grand vide se creuserait là où ses semelles se posaient ?
Ce sentier, il a guidé mes pas à toutes les saisons. Je revois mes pieds de petite fille, sautillant dans des sandales en plastique. De fines particules de terre venaient se coller sur ma peau d'enfant et avec mes doigts, j'aimais y dessiner des paysages improbables. Accroupie, je traçais sur le sol des ronds, des carrés, des grands, des petits; d'une main, je creusais à vif dans les empreintes laissées par mes sandales tandis que de l'autre, on me tirait pour aller à l'école.
C'est en hiver qu'il me faisait peur. La neige était si haute que je devais mettre mes pieds dans les pieds des plus grands. Leurs pas étaient très longs, les miens étaient petits, les chutes étaient fréquentes. Mais la neige complice s'amusait alors à me chatouiller. Ses grains blancs et soyeux me titillaient le visage pour me faire oublier les rafales cinglantes qui me fouettaient le corps, les jours de grands vents. La nuit tombait vite et, quand je l'empruntais le soir, j' avais une peur bleue de l'ombre des grands arbres qui se tordaient complaisamment. Je les entendais rire des mauvais tours qu'ils me jouaient.
Douces terreurs de l'enfance qui se nourrissent du jour et de la nuit, des saisons et des heures.
Et c'est après avoir dévalé la pente, que tous les printemps, il m'offrait ses grandes aubépines. Petite, j'étais fascinée par leur couleur immaculée aux nuances de moire. Mon cartable à la main, j'avançais, protégée par leurs épines, autant d'épées prêtes à massacrer le quidam qui aurait voulu m'agresser. J'attendais avec impatience le jour où je serais ensevelie sous leurs pétales blancs qui tombaient à la moindre chiquenaude. Tombe légère, temporaire et fragile qui rassurait déjà ma peur du grand après. Adolescente, je m'enivrais de leur senteur, tranparente, sensuelle et que je voulais éternelle.
Quand je pense à elles, une mélancolie soyeuse m'envahit. J'entends un refrain qui me murmure que des pétales tournent, tournent et m'entrainent; je suis le derviche tourneur des aubépines. Plus je tourne et plus je grandis, plus je grandis et plus j'avance sur le sentier.
Après le sentier, c'était la voie de chemin de fer. Fini de gambader, finis les jeux. Elle était là, rectiligne et remplie de rectitude. Je l'ai suivie le temps de l'école puis ses traverses se sont mises en travers de mes chemins que j'ai toujours essayé d'avoir buissonniers.
1 commentaire:
Malgré les traverses de ces voies rectilignes, ta mélancolie soyeuse enchante bien des vies.
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