Il en est de certaines photographies comme de la réalité elle-même. De loin, tout paraît simple, ordonné, les masses s'équilibrent, l'ensemble fait sens clairement. On y voit de grandes lignes de forces, accentuées par les couleurs. La vision est claire. Là où tout se complique, c'est lorsque l'on approche. Comme dans le monde réel, plus je zoome, plus je viens tout près, plus je mets le nez dedans, plus tout devient complexe.
Le ciel étoilé d'été, observé en plein mois d'août, expose ses grandes constellations qui permettent à l'homme depuis des siècles de se repérer dans la nuit, où qu'il soit sur mer ou sur terre. De grandes figures nommées, répertoriées, positionnées. Aussitôt que je les observe à la lunette astronomique, les figures disparaissent, restent des points lumineux bien difficiles à focaliser. L'homme en créant des télescopes de plus en plus puissants, en se rapprochant toujours plus, trouve le chaos, une bouillie primordiale constamment entrain de se désintégrer. Nous passons de l'évidence à l'incompréhension.
De loin, un bouquet de mariée, de la vie rouge bouillonnante, une échancrure de vie dans le gris du bitume ; de près, un oiseau écrasé, du sang expulsé du corps par la violence. Là, un enfant au bain, plus près un étrange regard et une peau diaphane figés dans une pose immuable. Ce qui semblait vie rouge et explosion d'allégresse est de la mort et l'enfant inquiète, dérange qui le regarde un peu de près.
Je sais avec certitude que sous cette neige bleutée, immaculée qui m'éblouis de sa blancheur se cache quelque chose qui apparaîtra au dégel. Quant à cette chevelure qui appelle les caresses, cascadant sur des épaules, ce n'est qu'en retournant la photo que je réalise que je ne la regardais pas dans le bon sens, et le sens disparaît -mon sens-, je dois réorienter ma compréhension. J'agrandis l'image, je zoome encore : apparaissent des creux, cavernes sombres. J'écarte de mes mains cette paille, mais n'ose pénétrer plus avant, l'ombre est trop épaisse, je vais être happée, y perdre le nord.
4 commentaires:
zoom... déjà avec le texte de la boule de neige, le texte dit lors de la séance, tu me donnais à voir, alors, plutôt un dessin d'animation, un petit personnage se cognant, poussant (vainement) les bords de plastique de la boule; ici c'est + cinématographique, zooms, flous, réglages de la caméra. J'aime beaucoup ces textes "images", images vivantes.
"Je dois réorienter ma compréhension"... c'est toute une ouverture pour la suite des photos, d'autres possibilités, d'autres "grand angle" pour des textes trés visuels.
Pour novembre (et décembre, janvier, février...) :
"Me voilà violemment ramené sur la terre des hommes, sur la terre d'êtres qui tombent amoureux, se courroucent, s'attristent et s'aiment, qui désirent et méprisent, âmes de chair et d'os. Désarmé, chamboulé, j'entame mon expédition avec pour seul bagage un désir puissant de glisser un peu de joie entre mes esclavages". Alexandre Jollier, Le philosophe nu, Seuil, 2010, p. 18.
Et si l'on rajoute une vision de myope (sans lunette) cela donne encore d'autres abimes... Toujours est-il que ces photos donnent de bien beaux textes!
Enregistrer un commentaire