Le catalogue de Manufrance fut donc le premier. D’autres suivirent car on ne peut guère se satisfaire que d’une seule étreinte. Dans la nudité entrebâillée de ses pages, j’ai appris à soulever les voiles d’un univers sans risque, à errer voluptueusement dans cette langueur qu’exige le songe. D’autres catalogues généralistes, La Redoute , Les Trois Suisses ont donc pris la relève. J’ai feuilleté, comparé les qualités, jugé les promotions, rêvé d’endosser ces tenues mirobolantes offertes à mon regard, calculé mes réductions, consulté la page des mesures, évalué les tours de taille, bassin ou poitrine, rempli des bons de commande que je raturais, faisais patienter quelques jours sur un coin de bureau, oubliais et redécouvrais quelques semaines plus tard, parfaitement obsolètes… Ce temps passé dans les méandres de pages glacées, à suivre le fil d’une recherche qui n’est pas celui qu’on pense, avec un sentiment d’oubli, de liberté reconquise, suffisait à mon bien-être.
Parallèlement, j’accumulais les catalogues de maison d’éditions de livres. Il me fallait toujours le dernier paru sur lequel je me précipitais afin de cocher les livres en ma possession – rayés rouge – , les livres lus mais que je n’avais pas - simplement précédés d’une croix rouge –, les livres lus et possédés – avec croix et trait rouges – , les livres qu’il me fallait absolument - cernés d’un trait rouge - , ceux qui pourraient encore attendre - cernés d’un trait vert - . Le bonheur suprême résidant dans la totalité des titres d’un auteur raturés. Je comptabilisais le nombre de croix, vérifiant ainsi ma progression de lectures… Je notais ensuite sur un petit papier, qui serait glissé dans mon sac, la liste de livres à acheter ou à emprunter à la bibliothèque. Et c’est là que s’insinue quelque peu la poésie, au coeur de cette plongée apparemment rébarbative …Car ce sont les mots qui guidaient mes désirs, les mots des titres m’entraînant dans ces replis d’ombres où le jour peut recommencer.
Tendre comme le souvenir / L’espace d’un cillement
Au-delà de l’absence / Le bleu du ciel
Traduit du silence / La complainte du sentier
Me serais-je éloignée du catalogue de la Manufacture d’armes et de cycles de Saint Etienne ? Pas tant que cela… Le vagabondage offert , la richesse d’un vocabulaire que l’on ne maîtrise plus guère, la densité des pages et la variété des produits proposés étaient dignes d’un dictionnaire , d'une encyclopédie, d’un roman russe, ou des collages surréalistes…
Derrière la porte / Fragments d’un paradis
Voyage de l’autre côté /Le stéréoscope des solitaires
Désuétude , pas vraiment, vu le nombre de catalogues qui envahissent ma boîte aux lettres....Mais soyons moderne, le catalogue des catalogues aujourd'hui , c'est bien évidemment Google, où la poésie s'infiltre aussi pour celui qui sait lire entre les lignes....
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