Ce qu’ils ont dit avant, tu ne l’as jamais oublié. Ca restera tapi sous le chemin de ta peau et ton sang Monchovet, de cogénération en cogénération ne se régénèrera jamais assez pour que s’efface de la surface de ta vie ce qu’ils t'ont fait. Depuis toujours lorsque tu marchais sur le boulevard de la P. pour aller faire des courses, poster une lettre, te rendre à l’arrêt de bus, les hommes sifflaient sur ton passage. Ça, c’était il y a longtemps. Après, les hommes ne surent plus siffler, ils te jetaient les mots qui entravaient ta marche, parfois tu ne comprenais rien à leur vocabulaire aigre et gras, tu sentais seulement la pesanteur gluante de leur regard sur ton être découpé en morceaux choisis. Un jour, tu as clairement entendu « La petite Marandinière, elle voit les choses en grand ! » C’était un type élégant, un peu bizarre, qui l’avait prononcée. Autant de mots à la fois, c’était rare ! Ce type, tu le voyais parfois dans le bus, les gens l’appelaient « le Prophète. Bizarre mais pas méchant, presque distingué. Dans le bus il avait joué pour d’autres à être ton fiancé. Tu t’étais prêtée au jeu, sachant que tu descendais à la prochaine et avant lui. Et puis tu n’y avais plus pensé.
Ce soir-là, tu revenais de l’une de ces réunions où l’on espère changer le monde de son vivant, tu étais de bonne humeur, il n’était pas encore très tard. La soirée pourrait se poursuivre en lecture, en solitude tranquille.
Elle s’était poursuivie. Les types ont surgi en grappe de la galerie marchande et ne t’ont laissé aucun choix. Ils ont dit toutes ces choses gravées mais imprononçables maintenant. Et puis le prophète a lancé sa sentence : « le plus important pour moi, c’est que les mecs que je forme assurent et que mes pairs disent, avec lui, ça déchire ».
Ça avait déchiré.
en vert italique : les phrases de la boîte
1 commentaire:
très fort ! superbe, avis d'une ex-de-la-petite-marandière
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